Documents déclassifiés : révélations sur le coup d’État au Chili contre Allende

Des responsables américains : « Notre politique à l’égard d’Allende a très bien fonctionné ». Kissinger a plaisanté sur le fait que « le président s’inquiète que nous voulions envoyer quelqu’un aux funérailles d’Allende. J’ai répondu que je ne pensais pas que cette option soit envisagée. ». Le rôle documenté des États-Unis dans les mois, jours et heures précédant le renversement d’Allende.  Source : National Security Archive, Peter Kornbluh

Le 8 septembre 2023, Washington. – « À l’époque d’Eisenhower, nous serions des héros », a déclaré Henry Kissinger au président Richard Nixon quelques jours après le renversement de Salvador Allende au Chili, déplorant que la presse ne leur reconnaisse pas le mérite de cet exploit de la Guerre froide. Cinquante ans plus tard, alors que les Chiliens et le monde entier commémorent l’anniversaire du coup d’État militaire soutenu par les États-Unis qui a porté le général Augusto Pinochet au pouvoir, le débat sur l’ampleur de la contribution des États-Unis à ce coup d’État se poursuit. Le 6 septembre, la principale chaîne de télévision chilienne, Chilevision, a diffusé un important documentaire intitulé « Opération Chili : Top Secret », qui présente des dizaines de documents américains déclassifiés obtenus par le projet de documentation sur le Chili des Archives nationales de sécurité, y compris des documents récemment obtenus et publiés dans la nouvelle édition chilienne du livre de l’analyste des Archives Peter Kornbluh, « Pinochet Desclasificado » [Pinochet déclassifié, NdT].

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À la veille du 50e anniversaire, les Archives publient une section extraite du livre de Kornbluh – le dossier Pinochet – sur le « compte à rebours vers le coup d’État ». L’essai relate les actions du gouvernement américain, les débats internes et les délibérations politiques alors que les conditions du coup d’État évoluaient entre mars et septembre 1973. « Il s’agit d’une histoire complexe, compliquée et extraordinairement révélatrice, a déclaré Kornbluh, qui comporte de nombreuses leçons quant aux abus secrets du pouvoir américain et sur le danger que représente la dictature par rapport à la démocratie pour la communauté mondiale d’aujourd’hui. »

Compte à rebours vers le coup d’Etat

Le 12 septembre 1973, au lendemain de la prise de pouvoir violente par l’armée chilienne, des fonctionnaires du département d’État [des Etats-Unis, NdT] se sont réunis pour discuter des directives de presse à l’intention d’Henry Kissinger sur « le degré d’anticipation dont nous disposions sur le coup d’État ». Le secrétaire adjoint aux Affaires interaméricaines, Jack Kubisch, a noté qu’un responsable militaire chilien avait déclaré à l’ambassade que les comploteurs avaient caché à leurs partisans américains la date exacte à laquelle ils agiraient contre Allende. Mais Kubisch a déclaré qu’il « doutait que le Dr Kissinger utilise cette information, car elle révélerait nos contacts étroits avec les dirigeants du coup d’État. »

Dans les mois qui ont précédé le coup d’État, la CIA et le Pentagone ont eu de nombreux contacts avec les comploteurs chiliens par l’intermédiaire de divers moyens et agents, et ils ont eu connaissance au moins trois jours à l’avance d’une date concrète de la prise de pouvoir par les militaires. Leurs communications provenaient d’opérations secrètes visant les militaires après les élections législatives de mars 1973 au Chili. Le triste résultat des élections a convaincu de nombreux responsables de la CIA que les opérations politiques et de propagande n’avaient pas atteint leurs objectifs et que l’armée chilienne, comme le suggéraient les documents de l’Agence, était la solution finale au problème posé par l’alliance de l’Unité populaire d’Allende.

Jusqu’au printemps 1973, les opérations politiques et la propagande générées par El Mercurio et d’autres médias financés par la CIA se sont concentrées sur une campagne politique majeure de l’opposition visant à remporter de manière décisive les élections législatives du 4 mars, au cours desquelles tous les représentants chiliens et la moitié des sénateurs chiliens devaient être réélus. L’objectif maximal de la CIA était d’obtenir une majorité des deux tiers pour l’opposition afin de pouvoir destituer Allende. Son objectif minimal était d’empêcher l’Unité populaire d’obtenir une majorité claire de l’électorat. Sur les 3,6 millions de suffrages exprimés, l’opposition a obtenu 54,7 %. Les candidats de l’Unité populaire ont recueilli 43,4 %, ce qui leur a permis d’obtenir deux sièges au Sénat et six au Congrès. « Les actions effectuée par la CIA lors des élections de 1973 ont contribué à ralentir l’arrivée du Socialisme au Chili », proclamait un « Briefing sur les élections au Chili » rédigé au siège de Langley.

La réalité était tout autre, comme l’ont compris le siège de la CIA et son poste de Santiago. Lors du premier test national de sa popularité depuis l’arrivée au pouvoir d’Allende, son gouvernement de l’Unité populaire avait en fait augmenté sa force électorale, malgré l’action politique concertée de la CIA, une campagne massive et secrète de propagande anti-Allende et un programme de déstabilisation socio-économique dirigé par les États-Unis. « Le programme de l’UP séduit toujours une partie importante de l’électorat chilien », déplore la station locale de la CIA dans un communiqué. La CIA devait alors réévaluer l’ensemble de sa stratégie clandestine au Chili. Le 6 mars, le quartier général câblait : « Les options futures sont en train d’être examinées à la lumière des résultats décevants des élections, qui permettront à Allende et à l’UP de faire avancer leur programme avec une vigueur et un enthousiasme renouvelés. »

La station, désormais dirigée par un nouveau chef de poste, Ray Warren, adopta une position ferme sur les « options futures » qui s’avéraient nécessaires. Dans un post-mortem décisif du 14 mars sur les élections au Congrès, la station de la CIA a formulé des plans visant à renforcer l’accent mis sur le programme militaire. « Nous pensons que dans un avenir prévisible, la station devrait mettre l’accent sur les activités [secrètes], afin d’élargir nos contacts, nos connaissances et nos capacités pour parvenir à l’une des situations suivantes: »

  • Un consensus des chefs des forces armées (qu’ils restent ou non au gouvernement) sur la nécessité de s’opposer au régime. La station estime que nous devrions tenter d’inciter le plus grand nombre possible de militaires, sinon tous, à prendre le contrôle du gouvernement Allende et à le remplacer…
  • Établir une relation solide et significative entre la station et un groupe de planification militaire sérieux. Si notre nouvelle étude des groupes de forces armées indique que les comploteurs potentiels sont en fait sérieux dans leurs intentions et qu’ils disposent des capacités nécessaires, la station souhaiterait établir un canal unique et sécurisé avec ces éléments afin de dialoguer et, une fois que les données de base sur leurs capacités collectives auront été obtenues, de demander l’autorisation au HQS d’entrer dans un rôle élargi…La Suite à lire ICI
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