Ancienne du 20h sur la RTS, elle est qualifiée d’incontrôlable et n’est pas très assidue à la présentation de la grand–messe du soir. Rédactrice en chef au département Grands reportages et Magazines, elle n’est jamais associée à l’actualité car jugée trop libre. Diatou Cissé est une rebelle. Partout où elle passe, cette journaliste sortie du CESTI et formée au CFJ de Paris, amène avec elle son caractère bien trempé. Ses convictions et ses combats ne sont jamais loin : place des femmes, société civile, engagement citoyen, renforcement de la démocratie, diversité de l’information. Autant de thèmes qui interpellent cette ancienne secrétaire générale du Syndicat des Professionnels de l’Information et de la Communication au Sénégal (SYNPICS) et ancienne membre du Tribunal des pairs CORED, organe dont elle suit toujours avec intérêt les travaux. Ces combats et sa passion du métier sont même reconnus en Afrique et hors du continent puisse qu’elle a été vice-présidente de la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ), une première d’ailleurs pour une femme africaine.
Diatou Cissé connaît donc le monde des médias jusqu’au bout des ongles. C’est pourquoi dans notre série consacrée au secteur, elle était incontournable. On ne pouvait pas trouver mieux. C’est une Diatou toujours professionnelle, honnête, accessible et généreuse qui s’est prêtée à notre exercice.
Kirinapost: Comment tu vois l’évolution des femmes dans les médias depuis Annette Mbaye D’Erneville, Elisabeth Ndiaye, Ndeye Rokhaya Mbodj, jusqu’à Sarah Cissé aujourd’hui ?
Diatou Cissé: À mon avis, les femmes continuent à faire leur petit bonhomme de chemin dans les media, avec plus au moins de panache. Nous sommes représentatives, aussi bien, en nombre qu’en qualité. Elles font preuve de professionnalisme et sont dans l’ensemble bien formées. Dans les rédactions, on a investi des « bastions » naguère «masculins». Elles traitent de la politique, du sport, du numérique…rompant ainsi avec leur confinement dans le traitement du social les rapprochant à leur statut de mère et d’épouse. Même si, l’éternel féminin continue d’être exalté par un médium comme la télévision où on semble parfois miser plus sur l’image que sur le contenu. Dans les rédactions, elles bousculent les codes de plus en plus, et réclament leur statut de professionnelle d’abord, même si, certaines restent entravées par leurs rôles de genre. Ce qui expliquerait des absences, des retards, la peur de prendre des responsabilités jugées incompatibles avec une vie de famille. Même journaliste, elle gère les contraintes du sphère domestique.Socialement, nous sommes devenues plus fréquentables. Elle n’est pas loin l’image de la libertine qui nous frappait parce qu’on a une profession qui nous propulse dans l’espace public et nous met en contact avec des «sachants» qui sont très majoritairement des hommes. Il était aussi de bon ton, de se méfier de ces femmes qui n’ont ni heure de sortie, ni heure d’entrée à la maison, bref de ces femmes hors de contrôle. Il faut aussi reconnaitre que la volonté «mâle» de mâter une épouse journaliste existe toujours.
Kirinapost: Vous (les femmes) bousculez les codes mais on a l’impression tout de même que vous ne vous précipitez pas dans les rédactions de presse écrite ?
Diatou Cissé: C’est vrai. Plusieurs raisons pourraient être évoquées. La presse écrite reste très très contraignante surtout le quotidien. Les heures de bouclage peuvent être impossibles selon sa position et son environnement familial surtout de couple. Sans compter qu’elle exige beaucoup. Elle ne pardonne pas la « superficialité » car vous ne pouvez pas compenser par votre belle image ou votre bonne diction comme à la radio ou à la télévision.
« Prendre comme option télé; c’est être un brin narcissique. La télè est une plateforme pour créer des célébrités »
Il y a par ailleurs, le phénomène du star système. Les journalistes, de plus en plus, se mettent en scène. Ils sont dans la peopolisation. Il est de bon ton de se faire voir et c’est la télé surtout, qui offre une telle opportunité. La télè est devenue, encore plus aujourd’hui, une plateforme pour créer des célébrités. N’oublions pas non plus, que prendre comme option télé; c’est être un brin narcissique. C’est le lieu par excellence pour se mettre en valeur physiquement. Ailleurs dans la presse, on a pas besoin d’être toujours sur son trente un, pour ne pas dire, dans ce paraître si cher à la société sénégalaise. C’est vrai qu’il y’a aussi une touche artistique qu’on peut s’octroyer à la télé et à la radio… plus qu’en presse écrite.
Kirinapost: Il y a-t-il une façon « femme » de traiter l’information ?
Diatou Cissé: Nous savons tous que l’information rendue passe forcément par le filtre de nos convictions, de notre éducation etc. Dans le fond, toutefois, il ne doit pas avoir une façon féminine de traiter l’information, les faits étant sacrés. Maintenant dans le rendu, je pense qu’il peut avoir une touche féminine. Parlant de viol, personnellement, en tant que femme journaliste, je serai plus prudente sur le choix des mots par exemple.
« Le code de la presse est une bonne initiative mais il y a ce coup de Jarnac sur les peines excessives… on a pas légiféré pour le renforcement de la Démocratie… »
Kirinapost: L’Association des femmes de médias du Sénégal a été créée pour les femmes journalistes et techniciennes de médias. C’est une urgence ?
Diatou Cissé: C’est une bonne initiative. Elle vient de naître sur les cendres de l’APAC ( Association des Professionnelles Africaines de la Communication) qui dispose encore de sections dans certains pays d’Afrique. C’est un cadre fédérateur pour prendre en charge des les préoccupations et besoins spécifiques de ses membres. Potentiellement, cette association peut beaucoup faire dans le renforcement de capacités, dans la promotion des droits ( il y a du sexisme dans les médias aussi), le renforcement des liens et de la confraternité.
Kirinapost: En tant qu’ancienne SG du Syndicat des journalistes, comment trouves- tu le prochain code de la presse ?
Diatou Cissé: Une lecture à double niveau. Pour la première fois, la presse dispose d’une loi de référence intégrant: le statut du journaliste, de l’entreprise de presse (naguère on parlait d’organe de presse) l’auto régulation, la régulation, la publicité, les programmes etc. C’est une avancée ! On avait des lois squelettiques et très incomplètes.
« On ne demande jamais à un homme comment il concilie vie professionnelle et vie familiale. »
Le problème, c’est ce coup de Jarnac perpétré par le législateur, les peines sont parfois excessives à mon avis. De plus, elles peuvent mettre en péril un organe du fait des turpitudes d’un journaliste. Sur ce chapitre, on a pas légiféré pour le renforcement de la Démocratie mais pour régler de vieux comptes entre politiciens et journalistes. Il faut se rappeler le jour du vote, des députés, dans leur intervention étaient très remontés contre la presse en général.
Kirinapost: Boucler le journal à 00h, partir en reportage à tout moment comment tu t’organisais avec la vie de couple et les enfants ?
Diatou Cissé: Personnellement, j’ai eu trop tôt la claire conscience d’avoir le droit d’être épouse, mère et aussi une professionnelle accomplie. Il faut éviter de négocier le «non négociable » au risque de se faire piéger. Une femme journaliste ne peut pas avoir les mêmes contraintes de présence à la maison qu’une enseignante qui maitrise son emploi du temps de l’année.
Les femmes en général ne doivent pas être contraintes de choisir entre les trois dimensions de leur vie : le couple, la maternité et le travail. Aucune de ces dimensions ne devrait être sacrifiée. C’est une alchimie à réussir mais pas évident lorsqu’on vous enferme d’abord dans vos rôles de genre. Lorsque vous êtes d’abord évaluée sur vos qualité d’épouse et de mère. La preuve, c’est cette question que tu me poses Amadou. On ne demande jamais à un homme comment il concilie sa vie professionnelle et sa vie familiale. Pour nous autres femmes, c’est presque systématique.
« C’est le Président Diouf qui m’a fait de la pub en piquant une grosse colère sur ma question »
Kirinapost: Plus de 25 ans après la fameuse question posée au président Diouf, regrettes-tu ce moment ? Aurais-tu encore posé la question aujourd’hui ?
Diatou Cissé: Franchement, c’est le Président Diouf qui a fait de la pub pour moi en piquant une grosse colère. J’étais dans mon rôle de journaliste. J’ai posé une question avec les précautions d’usage. Le Président Diouf a par la suite dit à Mame Less qu’il s’attendait à cette question mais pas qu’elle vienne d’une femme de surcroit journaliste de media d’Etat ( un hiatus, j’ai toujours eu la conviction de travailler pour un media de service public). Non, je n’ai pas eu de problème avec Diouf, on s’est même retrouvé au travers de quelques échanges épistolaires qu’il signait toujours de son écriture fine : Affectueusement. Abdou Diouf, était selon moi, un grand Homme d’Etat.
Par contre, à la RTS ça a fini de conforter la direction de l’époque que j’étais une tête brulée. J’étais suspectée bien avant cette fameuse conférence de presse d’être le relais de l’opposition dans la maison. Je connais bien la technique de la mise au frigo et de l’ostracisme, j’ai été souvent écartée. Babacar Diagne, grand chantre du P.S était aux commandes. C’était de bonne guerre.
Kirinapost: 3 femmes (doyennes) journalistes qui t’inspirent ?
Diatou Cissé: Je ne sais pas trop. J’adore Tata Annette que je n’ai pas connue en tant que professionnelle. J’aime surtout son côté ancré, fille du terroir malgré ses origines métisses. Son indépendance et son côté hors contrôle, au-dessus des conformismes me parlent. Ndeye Rokhaya et moi, passons, lui faire un coucou parfois. Une autre grande journaliste qui m’inspire, je dirai ma grande soeur Sokhna Dieng pour son culot et son caractère trempé.
Kirinapost: Dans la nouvelle génération, qu’elles sont celles que tu suis ?
Diatou Cissé: Rouguiyatou Ba est de la bonne graine. Je suis contente qu’elle soit davantage valorisée, espérant qu’elle ne va pas s’enfermer dans la présentation. Maïmouna Ndour Faye a quand même le mérite de mettre en place une Télé. Elle a du bagout, je trouve. Ndeye Marième de SudFm aussi, je la trouve pro comme toute la Rédaction de Sud du reste. Non, comme j’ai dit , globalement nous nous défendons crânement. Il y a Evelyne Mandiouba également… Bineta Diallo…il y a de la bonne graine.
Kirinapost: Quelle personnalité d’hier ou d’aujourd’hui aurais-tu aimé interviewer si tu en avais la possibilité et pourquoi ?
Diatou Cissé: Sans doute Winnie Mandela, une héroïne pour moi. Mère Theresa dont l’humanité m’attendris toujours…Le cardinal Yacinthe Thiadoum. Serigne Saliou pour la lumière qu’il dégage. Pour sa grande humilité…
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