L’évolution des relations entre la République Démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda a eu un point de chute : la prise de Goma par les rebelles du M23. Une situation nouvelle susceptible de causer de véritables bouleversements dans une région riches en minerais mais fragile. Dans ce contexte, et au-delà de la question vitale des ressources qui font courir beaucoup de multinationales (et de pays), l’écrivain Boubacar Boris Diop livre sa froide analyse d’une situation dont il exhibe les origines historiques ainsi que sur le poids qu’il peut faire peser sur le Rwanda après le génocide de 1994. Source : Momar Dieng Impacts .
Cheikh Anta Diop ( photo en arrière plan) disait que le Congo pouvait développer l’Afrique © El Pais
Impacts: À voir ce qu’il se passe aujourd’hui entre le Rwanda et la République démocratique du Congo, avec la prise de Goma par les forces du M23, on a envie de dire qu’il y a encore un drame pour l’Afrique. Est-ce votre perception ?
Boubacar Boris Diop (B.B.D):Je dirais plutôt que c’est un drame de plus à un moment où de la Syrie à l’Ukraine en passant par Gaza, le Yémen et le Sud-Soudan, le feu est partout. Quant à la prise de Goma par le M23, c’est une nouvelle page de l’histoire récente de l’Est du Congo et chacun essaie d’en déterminer les causes profondes. C’est ainsi qu’on parle beaucoup ces jours-ci du découpage colonial des frontières et en particulier de la Conférence de Berlin entre 1884 et 1885 où le Rwanda a été amputé de plusieurs parties de son territoire au profit de l’Ouganda, de la Tanzanie et de l’actuelle République Démocratique du Congo. L’Afrique a été découpée comme on l’aurait fait d’un zoo gigantesque, la mentalité raciste des élites européennes de l’époque les empêchant tout simplement de comprendre qu’ils avaient affaire à de véritables êtres humains. Il y a eu d’autres ajustements territoriaux entre pays européens après la Première guerre mondiale mais pour l’essentiel c’est de Berlin qu’il faut parler. L’Afrique a été découpée comme on l’aurait fait d’un zoo gigantesque, la mentalité raciste des élites européennes de l’époque les empêchant tout simplement de comprendre qu’ils avaient affaire à de véritables êtres humains. Il faut bien dire, quitte à se faire accuser de convoquer les fantômes du passé, que le continent africain souffre aujourd’hui encore, notamment dans l’Est du Congo, de cet aveuglement impérialiste.
Impacts: Doit-on comprendre que pour vous le Rwanda peut légitimement revendiquer certaines parties du territoire actuel de la RDC ?
B.B.D: Absolument pas. En trois décennies d’affrontements d’une intensité variable, je n’ai jamais entendu le Rwanda revendiquer les territoires dont il a été privé à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième. Kagamé est beaucoup trop rationnel pour caresser une telle idée et par ailleurs dans cette affaire il s’agit surtout d’appeler au dialogue au lieu de jeter de l’huile sur le feu comme le font certains. Mais au-delà de cet héritage colonial, il faut souligner que ce qui se passe au Congo est aussi une conséquence directe du génocide de 1994. En effet lorsque les génocidaires ont été vaincus, l’Opération Turquoise les a aidés à se replier en RDC où ils ont créé les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR). L’important ici est de rappeler que ces gens sont les auteurs de toutes les atrocités commises au Rwanda et que leurs exploits ont été très précisément documentés par des livres, des films et des dizaines de rapports. Les avis sont partagés. Pour certains de ces experts, les FDLR ont vu leurs effectifs faiblir au fil du temps alors que pour d’autres elles sont plus fortes que jamais après s’être fondues dans une vaste coalition anti-Rwanda et gagné en expérience en se battant aux côtés de l’armée régulière congolaise. Elles ont pu souvent compter sur l’appui du groupe armé Nyatura, composé de Hutu congolais et acquis à l’idéologie génocidaire. Cela étant dit, dans l’imaginaire des Rwandais qui savent dans leur chair ce que signifie le mot génocide, un seul FDLR c’est un génocidaire de trop. Nous ne parlons donc pas ici d’une menace normale d’un groupe armé normal. Il existe une certaine tendance à juger des événements actuels en faisant comme si le génocide n’a jamais eu lieu et je pense que cela condamne à raisonner dans le vide. Le génocide est la chair vive de ce qui se passe dans l’Est du Congo car en interrogeant l’histoire on décèle d’inquiétantes similitudes entre la discrimination contre les Tutsi après la prétendue Révolution sociale Hutu dans le Rwanda des années cinquante et le véritable apartheid dont sont victimes les rwandophones du Congo, une discrimination nourrie par des discours de haine nauséeux et marqué par des tueries à petite échelle mais au faciès, en attendant le nettoyage ethnique généralisé.
Impacts: Vous pressentez le pire ?
B.B.D: Non. Je ne dis pas qu’un nouveau génocide anti-Tutsi est une fatalité mais le simple fait qu’il soit une possibilité devrait nous alerter. Je suis récemment tombé sur un document d’archive datant de 1965 et déjà en ce temps-là il n’était pas permis aux Congolais rwandophones de prendre part à des élections. Plus près de nous, ils ont été purement et simplement interdits de participation à la « Conférence nationale souveraine » du Zaïre puisqu’étant considérés comme des étrangers dans le seul pays où ils avaient jamais vécu. Et ces dernières années, quand la tension est montée entre le Rwanda et la RDC, il y a eu en plus des violences habituelles des scènes publiques de cannibalisme. Il suffit de se mettre un instant à la place des Rwandais qui voient ou entendent de telles horreurs depuis Kigali, Kibuye ou Butare pour comprendre leur effroi. Connaissant bien leur histoire récente, ils prennent tout cela très au sérieux, ils ont toutes les raisons de se dire que c’est reparti contre les leurs dans un pays voisin et qu’on ne les y reprendra plus.
Impacts: Cela suffirait-il à justifier l’existence du M23 ?
B.B.D: Les choses ne peuvent pas être aussi simples mais il est certain que beaucoup de jeunes combattants du M23 se considèrent en état de légitime défense. Et la plupart de ceux qui les critiquent actuellement ont détourné le regard quand on tuait les Tutsi en 1994. La Suite ICI
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