Dans cette deuxième partie de l’entretien accordé à Impact.sn, Boubacar Boris Diop, par ailleurs lauréat du Grand Prix du Président de la République pour les Arts et les Lettres en 1990, revient sur la tentation chez le président Macky Sall de briguer une troisième candidature à laquelle il n’a pas droit, comme dit et écrit par l’intéressé lui-même dans son ouvrage « Le Sénégal au cœur » paru peu avant l’élection présidentielle de février 2019. A ses yeux, son rapport au pouvoir, assis sur des méthodes brutales, ne semble pas prendre la mesure des luttes acharnées d’avant et post indépendance qui ont dessiné le visage du Sénégal qui lui a confié sa destinée en 2012.
Comment comprenez-vous les engagements de la justice et de la gendarmerie aux côtés du régime pour réprimer les manifestations politiques ?
Peut-être faut-il chercher la réponse dans la nature de l’être humain, tout simplement. Mais au fond, l’implication plus ou moins discrète de l’armée dans le jeu politique, est-ce vraiment nouveau au Sénégal ? Républicaine dans l’âme, n’ayant jamais été tentée par un coup d’Etat, elle s’est souvent trouvée en position d’ultime arbitre lors des plus graves crises politiques de notre pays. Pour ne donner qu’un exemple, c’est l’armée qui, en 1962, après quelques hésitations, a tranché en faveur de Senghor. Elle a eu le choix entre arrêter Senghor ou Dia et donner ce faisant le pouvoir à qui elle voulait. Au cours des deux alternances, Diouf et Wade ont bien compris qu’elle ne les suivrait pas aveuglément s’ils cherchaient à passer outre le verdict des urnes. Il y a donc toujours eu une hiérarchie militaire qui, sans être un pouvoir institutionnel organisé, sait tenir aux politiques le langage de la raison, assurée aussi d’avoir « le dernier mot », pour reprendre le titre des Mémoires du Général Amadou Bélal Ly. Aujourd’hui on a l’impression que Macky Sall peut tout se permettre, qu’il applique à l’armée les méthodes qu’il utilise dans le civil.
C’est quoi ces méthodes dont vous parlez ?
Tout se joue au niveau du choix des hommes. Il en est de même pour le pouvoir judiciaire qui tranche systématiquement en faveur de l’Exécutif. Mais les temps ont changé, aujourd’hui tout le monde a la possibilité de tout savoir. Les réseaux sociaux, malgré toutes les dérives qu’on peut leur reprocher à juste titre, sont pour tous un formidable outil d’information en temps réel. Dans un contexte politique délicat mais aussi très ouvert, il est dangereux de choisir, comme Macky Sall a tendance à le faire, des solutions simplistes. Cela est de nature à habituer les forces de sécurité à des méthodes de plus en plus brutales et certains magistrats à faire de moins en moins cas de leur serment. À vrai dire, on devrait commencer à se demander si au Sénégal un « Etat profond » n’est pas à la manœuvre hors de toute contrainte légale. C’est une hypothèse parmi d’autres mais moi je crois à l’existence de forces obscures, bien ou mal organisées, et farouchement décidées à ne céder le pouvoir à personne. Tout cela peut à la longue devenir gênant pour tant de femmes et d’hommes de bonne volonté favorables au régime de Macky Sall.
Il y a peut-être pour eux moyen de démissionner pour marquer leur désaccord !
Il faudrait être drôlement sûr d’avoir raison pour se permettre de dire aux uns et aux autres ce qu’ils doivent faire. Thierno Alassane Sall, un des leaders de la coalition AAR (NDLR : Alliance pour une assemblée de rupture, opposition), l’a fait en son temps et c’était exceptionnel de renoncer ainsi à une position aussi « viandée », comme aurait dit Kourouma, de ministre de l’Énergie en invoquant la clause de conscience et l’intérêt supérieur de la nation. Il est certain que ce type de décision relève du libre-arbitre de chacun et ce serait vraiment beaucoup trop facile de faire la moindre injonction à qui que ce soit. Il est plus sain de s’en tenir au principe que ceux d’en face sont de bonne foi, que l’analyse des mêmes faits sociaux et politiques peut nous faire aboutir à des conclusions radicalement opposées. C’est cela l’essence même du débat démocratique.
Cela ne m’empêche pas de constater que, très franchement, Macky Sall est difficile à défendre, que ses partisans sont de plus en plus silencieux. Autant l’opposition Yaw est bruyante, remuante, autant le président donne l’impression d’être complètement seul. Qu’est-ce que pouvez dire lorsque vous découvrez en même temps que tous les autres citoyens, qu’un simple député, notoirement proche de votre champion, s’est fait voler près d’un milliard cash à son domicile ? Et ceux qui ont sacrifié les plus belles années de leur vie à la lutte pour la souveraineté de notre pays, comment ne ressentiraient-ils pas un certain malaise en voyant Macky Sall en brader joyeusement les ressources à des puissances étrangères, en particulier à la France ? De telles questions peuvent être multipliées à l’infini.
C’est signe de quoi ?
Comme chacun sait, Macky a recruté des transhumants à tour de bras et beaucoup parmi ceux-ci sont aujourd’hui plus occupés à surveiller la direction du vent qu’à se bousculer au portillon pour prendre sa défense. Il y a en outre ce qu’on peut appeler le syndrome du dernier mandat, qui ne va jamais sans une certaine perte d’autorité du chef suprême, même dans les pays où n’existe pas la tentation de s’accrocher au pouvoir. En somme pour Sall, c’est l’heure de payer la note de la transhumance et elle est bien salée.
Vous avez dit après les événements de mars 2021 qu’ils avaient définitivement enterré le désir d’un 3e mandat chez Macky Sall…
Effectivement, j’ai fait ce pronostic sur le site « kirinapost », et des amis m’avaient alors reproché un excès d’optimisme. Les faits semblent leur donner raison en ce moment mais à la fin des fins, si Macky échoue à imposer un troisième mandat, ce sera en grande partie à cause de ces mêmes événements. Je doute que le président ait lui-même concocté l’affaire Adji Sarr mais tout porte à croire qu’il n’allait pas rater une aussi belle occasion de discréditer moralement et politiquement un de ses principaux rivaux sur la route du troisième mandat. La Suite ICI: Boubacar-Boris-Diop-essayiste
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