Depuis plusieurs semaines, le Pérou est secoué par des manifestations. Paysans et peuples indigènes demandent notamment la destitution de la présidente par intérim Dina Boluarte.
« Ils veulent nous vendre aux multinationales. Nous ne le permettrons pas ! » s’indignait au micro de la chaîne Telesur un indigène quechua, depuis la fenêtre de l’une des dizaines de voitures d’un convoi de manifestants parti de la région d’Arequipa, dans le sud du Pérou, le 16 janvier. Comme des centaines d’autres cortèges issus des quatre coins du pays, il se dirigeait vers la capitale pour exiger la démission de la présidente par intérim Dina Boluarte, qui a remplacé Pedro Castillo à la suite de sa destitution, le 7 décembre par le Congrès.
Depuis l’éviction de M. Castillo, la colère des populations rurales, descendues dans la rue, ne faiblit pas. À leurs yeux, la victoire du syndicaliste à la présidentielle en juillet 2021, sous la bannière du parti de gauche « Pérou libre », incarnait l’espoir d’un renouveau : c’était la première fois qu’un modeste instituteur issu de l’une des régions les plus pauvres du Pérou (Cajamarca) s’installait dans le palais présidentiel, historiquement occupé par l’élite blanche et conservatrice de Lima.
Il avait notamment promis de mettre fin à « l’arnaque des locaux » par les multinationales minières, d’investir dans la santé et l’éducation, et de garantir les droits des peuples autochtones. Mais cet ambitieux programme est resté lettre morte. Confronté à l’obstruction du Congrès, dominé par la droite, Pedro Castillo a tenté de le dissoudre le 7 décembre. Qualifiée de « coup d’État » par la Cour constitutionnelle, la manœuvre s’est retournée contre lui : Pedro Castillo a été renversé. Aujourd’hui, il est emprisonné au Pérou et sa famille s’est exilée au Mexique.
Les populations indigènes stigmatisées
Avec ou sans lui, les soutiens de Pedro Castillo refusent de revenir en arrière. En plus de la démission de Dina Boluarte et l’organisation d’élections anticipées, les manifestants ont ajouté une des principales promesses de campagne de M. Castillo à leurs revendications : la convocation d’une Assemblée constituante pour enterrer la Constitution de 1993. Hérité de la dictature néolibérale d’Alberto Fujimori (1990-2000), le texte a facilité la privatisation d’entreprises publiques, des coupes budgétaires, le recul des droits des travailleurs, et un cadre normatif et fiscal très favorable aux entreprises étrangères.
De sorte que de nombreuses multinationales minières se sont installées au Pérou dans les années 1990, attirées par les importants gisements de cuivre, d’or et d’argent du sud du pays. Mais elles ne laissent souvent que les miettes de leurs juteux bénéfices aux communautés locales. « Certaines des régions les plus pauvres du Pérou pauvres accueillent une importante activité minière », constate Irène Favier, maîtresse de conférence en histoire contemporaine spécialiste du Pérou.
En 2021, 39,7 % de la population rurale péruvienne se trouvait sous le seuil de la pauvreté, contre 22,3 % pour la population urbaine. « Non seulement les populations des régions minières sont plus pauvres parce qu’il n’y a pas toujours de redistribution des bénéfices des mines […], mais aussi en raison d’un grave problème pour ces populations agricoles : la pollution environnementale, précise la chercheuse. Cela rend difficiles la reproduction et l’usage de leurs outils de travail [élevage, maraîchage], et de plus leur santé est souvent atteinte. »
« Dina, meurtrière » !
Ces injustices nourrissent « une grande insatisfaction sociale en dépit de la croissance économique permise par l’exploitation minière », explique Daniel Encinas, politologue péruvien de l’université de Northwestern. Rien qu’en 2022, le Pérou a recensé soixante-douze conflits miniers. Mais les populations indigènes qui se révoltent « sont stigmatisées par l’élite de Lima comme étant des ennemis du progrès et du développement du pays […] ou des terroristes », analyse le chercheur.
Les « laissés-pour-compte » du Pérou parviendront-ils à imposer leur voix ? Pour l’heure, Dina Boluarte les réprime violemment : quarante-six manifestants sont morts dans des heurts avec la police. Mais ces derniers ne se laissent pas intimider. Ils ont bloqué l’aéroport d’Arequipa et vingt-six routes nationales, empêchant notamment trois mines de cuivre de fonctionner. En dépit des bombes de gaz lacrymogènes de la police, les dizaines de milliers de femmes et d’hommes qui ont traversé le pays pour « prendre Lima » sont entrés triomphalement jeudi 19 janvier dans le centre historique de la capitale, vêtu de leurs habits traditionnels et scandant « Dina asesina ! » (« Dina, meurtrière ! »). La Suite ICI: https://reporterre.net/Au-Perou-la-colere
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