Irwa’u Nadîm, l’Abreuvement du Commensal dans la Douce Source d’Amour du Serviteur, est un ouvrage référence pour comprendre le mouridisme et l’oeuvre de Cheikh Ahmadou Bamba. Ecrit par Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana, un des premiers lettrés a accompagné le Cheikh, il donne une idée précise sur la philosophie du fondateur du mouridisme. Il fait tomber beaucoup d’idées reçues et rend à Mame Bamba toute sa grandeur et toute son humanité.
Cette biographie éclaircit certaines questions qui font l’objet de discorde entre les chercheurs islamologues notamment l’attitude de Ahmadou Bamba envers l’éducation islamique traditionnelle basé sur l’enseignement des sciences religieuses. En effet, Cheikh Mouhammad Lamine Diop nous montre que Ahmadou Bamba n’a jamais négligé l’enseignement religieux. Car avant la trentaine, il avait déjà composé un livre de théologie musulmane (Mawahib Al-Qudûs) qu’il a enseigné à certains de ses frères du vivant de son père. Peut après la mort de ce dernier en 1883, il a écrit un de ces plus importants livres intitulé: Masälik al-jinân (les itinéraires du paradis). Pendant la période allant de 1883 à 1912, il a rédigé des manuels destinés à l’enseignement de ses disciples comme Tazawwud as-Sighar (le viatique des Jeunes) Al Jawhar al-Nafîs (Perle Précieuse), Nahj Qada al-Haj (ce qui satisfait les besoins des disciples en matière de règles de conduite)
L’auteur de la biographie nous montre également que le changement que Ahmadou Bamba a opéré dans le système éducationnel en vigueur a consisté à doubler l’enseignement islamique traditionnel d’une éducation spirituelle à l’instar des mystiques pour permettre aux élèves non seulement de connaître leur religion, mais surtout de la vivre. Cependant il a affirmé dans un bon nombre de ses écrits le caractère prioritaire du «Ilm» ou science religieuse.
À ce propos, il dit dans son poème intitulé Maghâliq al-Nîran (les Cadenas de l’Enfer). Quiconque vous interdit de vous instruire Son interdiction est erronée. Toute personne qui interdit l’instruction En ces temps ne fait qu’appeler (les gens) A une odieuse innovation car l’action Non fondée sur la science comporte des lacunes. Science et action sont deux choses essentielles Qui amènent vers les biens de cette vie et de l’au-delà. Le plus noble des deux, c’est la science Comme l’a confirmé une tradition prophétique Car tout homme qui agit sans science, Ses actions sont comme de la poussière (nulles) Celui qui détient une science sans l’appliquer Est comme un âne qui porte (des livres).
Un autre sujet sur lequel cette biographie nous éclaire est l’attitude de Ahmadou Bamba envers le pèlerinage à la Mecque. A ce propos, l’auteur a cité les propos d’Al-Haj Mbacké Bousso (1954) selon lui Ahmadou Bamba avait projeté le pèlerinage avant son départ de Touba (1895) et allait exécuter ce projet lorsqu’il a été arrêté par les autorités coloniales. Cette affirmation de Mbacké Bousso réfute catégoriquement l’idée que le Cheikh n’avait jamais pensé à accomplir ce précepte divin, et que son attitude explique la négligence par les Mourides de cette obligation religieuse, négligence qui, parmi d’autres, aurait dicté au fondateur du mouridisme une réforme visant à faire respecter aux Mourides toutes les obligations cultuelles, et que ce fut pour confirmer cette nouvelle tendance que des dignitaires mourides tels que Cheikh Anta Mbacké (M. 1941) et Muhammad al-Fadil Mbacké (M. 1969) et Mbacké Bousso (M. 1954) effectuèrent le pèlerinage en 19282
De même l’auteur nous explique pourquoi Ahmadou Bamba n’a pas célébré la prière de vendredi dans sa Mosquée de Diourbel bien qu’il y ait célébré celle de la Korité et du Tabaski. Citant Mbacké Bousso l’auteur indique que Ahmadou BAMBA n’a jamais eu l’intention d’habiter à Diourbel. Car la loi religieuse n’impose cette prière qu’à celui qui s’installe dans un lieu avec l’intention de s’y fixer définitivement. Cette explication réfute l’idée que l’abandon de cette prière était un «ijtihad» (une opinion personnelle) de Ahmadou Bamba et que son attitude a été à l’origine de l’abandon par les Mourides de cette prière, et que cette situation n’a été corrigée qu’après sa mort quand son frère Thierno Birahim, en accord avec Muhammadou Moustapha (1886-1945), le premier successeur d’Ahmadou Bamba, a restauré la prière du vendredi.
Il importe de souligner que l’abandon de cette prière ne peut résulter d’un «ijtihâd» correcte. Car «ijtihâd» ne doit être pratiqué qu’en l’absence de textes du Coran ou de la Sunna. Or la prière en question s’atteste dans de nombreux hadiths et versets coraniques3 . Aussi cette biographie écrite par un disciple de Ahmadou Bamba qui fut lui-même un savant émérite, nous montre t-elle que s’il est vrai qu’il y a eu parmi les Mourides (comme il y a en a toujours) des gens qui ont manqué à leur guide spirituel s’est constamment évertué à les instruire et leur apprendre à vivre leur foi. Et notre auteur, ayant été le confident de Ahmadou Bamba et un des hommes les plus proches de lui, est le mieux placé pour en donner témoignage.
En outre, il a été témoin de la plupart des événements dont il parle dans son livre. Pour ce qui est des événements survenus pendant l’exil de Ahmadou Bamba au Gabon (1895-1902) et auxquels l’auteur n’a pas assisté, il en a été informé par le Cheikh lui-même. C’est pourquoi cet ouvrage est indispensable à tout homme désireux de connaître le fondateur du Mouridisme et de comprendre les motifs qui l’on amené à fonder sa voie mystique, et la vocation de celle-ci, force nous est cependant de souligner que l’on ne saurait pas exagérer l’importance de cette biographie parce que son auteur, à l’instar des autres biographies du Cheikh n’a pas fait le moindre effort critique. Il est vrai a affirmé à la fin de son livre qu’il s’est contenté des informations authentiques. Mais, même ces informations portent souvent sur des sujets controversés parce que relevant du domaine des miracles des saints donc difficile à vérifier. Fait partie de ces sujets la vision du Prophète (PSL) à l’état de veille et la rencontre avec Gabriel.
Je pense que ces questions relèvent des secrets que les mystiques préfèrent au commun des croyants de peur qu’ils les nient faute de pouvoirs les comprendre. L’auteur aurait donc dû supprimer tous ces «prodiges» non seulement parce qu’ils diminuent l’intérêt de son travail aux yeux du lecteur bien averti, mais parce qu’il favorise le développement chez les adeptes mal instruits du culte des saints. Si un mystique confirmé peut concevoir la possibilité de voir Muhammad (PSL) à l’état de veille, le musulman orthodoxe non mystique admettrait difficilement une telle vision. Quant au simple adepte ou talibé, il ne manque pas d’en tirer une preuve de la justesse de son attitude à l’égard de son Maître qu’il vénère excessivement.
Un autre aspect négatif de cette biographie consiste dans les longues citations (il cite un poème de Serigne Bachirou Mbacké (M. 1966) qui occupe plusieurs pages) qui souvent n’apparaissent pas nécessaires parce que n’apportant rien de nouveau au sujet. Après avoir par exemple soutenu la supériorité du «Wird» mouride, il cite le poème de Serigne Bachir qui ne comporte rien de plus que ce qu’il a déjà affirmé. Enfin, l’auteur considère sa biographie comme une introduction à celle de son collègue Serigne Bachir Mbacké écrite entre 1934- 1935, mais qui n’était pas encore publiée. Cette dernière biographie que nous avons déjà traduite en français est certes plus exhaustive, car il s’agit d’un exposé analytique de la vie mystique du Cheikh. Mais elle demeure moins claire et moins planifiée que notre présente biographie. En tous cas, les deux livres sont complémentaires et permettent d’avoir une connaissance complète de la vie du fondateur du Mouridisme et contribuent à l’éclaircissement du rôle de l’Islam dans la société sénégalaise.
Fils de Tafsir Ahmadou Diop, Mouhamadou Lamine Diop ou Cheikh Muhammad al-Amîn est né à Dagana dans une famille de fins lettrés en1886. Très jeune il maitrisa le Coran et écrit plusieurs Kamil (Le Coran en entier). Lorsque le Cheikh fut exilé en Mauritanie, sur sa route, à Dagana chez les Diop Pathé. Au moment de prendre congé, le patriarche Tafsir Ahmadou Diop, trés peiné de voir son hôte partir vers son exil, enjoignant un de ses fils d’accompagner le saint- homme. Voilà, comment Mouhamadou Lamine Diop est arrivé dans la cour du Cheikh. Observateur, le Cheikh se rend vite compte que le jeune Mouhamadou Lamine maitrise parfaitement le Coran et son écriture. Il en fit très vite son secrétaire et termina sa formation dans les sciences islamiques. Il jouissait d’une place prépondérante auprès de Cheikhoul Xaddim. Serigne Mouhamadou Lamine Diop était son confident, relisait ses écrits et partageait son quotidien, jusqu’à son rappel à DIEU en 1927.
À partir de cette date, Serigne Mouhamadou Lamine Diop se fixa à Diourbel où il enseigna le Coran et les sciences islamiques avant d’être nommé Imam de la grande Mosquée de Diourbel, fonction qu’il occupa jusqu’à son rappel à DIEU en 1967. Serigne Mouhamadou Lamine Diop était proche de Cheikh Mouhammadoul Bachir Mbacké (fils de Cheikh Ahmadou Bamba), ils initièrent tous les deux le récital du ‘Fulkoul-Mash’hun’ (un célèbre recueil de qassidas de Serigne Touba) durant chaque mois de ramadan. Ces ouvrages les plus connus son ‘Irwa’u-N-Nadim’ (L’abreuvement du commensal) et ‘Al Minahul Miskiyyah’.
Pour en savoir plus sur Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana
Pingback: Le 19 juillet 1927 était rappelé à Diourbel, Cheikh Ahmadou Bamba • Information Afrique Kirinapost