La voie du despotisme est toujours pavée de vertu
Tous les mouvements fascistes recouvrent leurs sordides systèmes de croyance d’un vernis de moralité. Ils parlent de restauration de l’ordre et du droit, du bien et du mal, du caractère sacré de la vie, des vertus civiques et familiales, du patriotisme et de la tradition pour masquer le fait qu’ils démantèlent la société civile, réduisent au silence et persécutent ceux qui sont en désaccord.
La Droite chrétienne, noyée sous l’argent des entreprises qui comprennent leurs intentions politiques, utilisera n’importe quel outil, aussi sournois soit-il, depuis les milices armées de droite jusqu’à l’invalidation des bulletins de vote, pour empêcher Biden et les candidats démocrates d’entrer en fonction.
Le capitalisme, guidé par l’obsession de maximiser les profits et de réduire les coûts de production en sabrant dans les droits et les salaires des travailleurs, est l’antithèse de l’évangile chrétien, ainsi que de l’éthique des Lumières d’Emmanuel Kant.
L’évangile de la prospérité
Mais le capitalisme, aux mains des fascistes chrétiens, s’est sacralisé sous la forme de l’Évangile de la prospérité, la croyance que Jésus est venu pour répondre à nos besoins matériels, gratifiant les croyants de la bénédiction de la richesse et du pouvoir.
L’Évangile de la prospérité est une couverture idéologique pour le lent coup d’État des grandes entreprises. Voilà pourquoi de grandes compagnies comme Tyson Foods, qui affecte des aumôniers de la droite chrétienne dans ses usines, Purdue, Wal-Mart et Sam’s Warehouse, ainsi que de nombreuses autres sociétés, versent de l’argent au mouvement et financent ses institutions telles que Liberty University et Patrick Henry Law School.
Voilà aussi pourquoi les entreprises ont donné des millions à des groupes tels que le Réseau de crise judiciaire et la Chambre de commerce américaine pour faire campagne en faveur de la nomination de Barrett à la Cour Suprême.
Barrett a décidé d’escroquer les travailleurs de l’industrie du spectacle en les privant de leurs heures supplémentaires, de donner le feu vert à l’extraction des combustibles fossiles et à la pollution, de vider l’Obamacare de son contenu et de priver les consommateurs de toute protection contre la fraude des entreprises.
Barrett, en tant que juge de la cour de circuit [Le nombre des cours d’appel fédérales est fixé à treize, et leurs juridictions sont appelées « circuit », NdT], a présidé au moins 55 affaires dans lesquelles des citoyens ont contesté les abus et les fraudes des entreprises. Elle s’est prononcée en faveur des entreprises dans 76 % des cas.
Nos maîtres d’entreprise se fichent complètement de l’avortement, du droit de port d’armes ou du caractère sacré du mariage entre un homme et une femme. Mais comme les industriels allemands qui ont soutenu le parti nazi, ils savent que la droite chrétienne donnera un vernis idéologique à la tyrannie impitoyable des entreprises.
Ces oligarques voient les fascistes chrétiens exactement de la même façon que les industriels allemands voyaient les nazis, pour eux ce sont des bouffons. Ils savent très bien que les fascistes chrétiens vont détruire ce qu’il reste de notre démocratie anémique et de l’écosystème naturel. Mais ils savent aussi que dans ce processus, ils feront d’énormes profits et que les droits des travailleurs et des citoyens seront impitoyablement anéantis.
Si vous êtes pauvre, si vous ne bénéficiez pas de soins médicaux appropriés, si vous recevez des salaires inférieurs à la norme, si vous êtes pris au piège de la classe inférieure, si vous êtes victime de violences policières, c’est parce que, selon l’Évangile de la prospérité, vous n’êtes pas un bon chrétien.
Dans ce système de croyance, ce que vous obtenez, c’est ce que vous avez mérité. Selon les prêches de ces fascistes locaux, il n’y a rien de répréhensible dans les structures ou les systèmes de pouvoir. Comme tous les mouvements totalitaires, les adeptes sont séduits et amenés à appeler leur propre asservissement.
Comme l’a compris le propagandiste nazi Joseph Goebbels : « La propagande la plus efficace est celle qui, en quelque sorte, fonctionne de manière invisible, s’infiltre dans la vie sans que le public ne prenne conscience de la manœuvre propagandiste. »
La mèche d’amadou qui pourrait amorcer de violentes conflagrations est sinistrement cachée partout autour de nous. Il se pourrait que le déclenchement soit la défaite électorale de Trump.
Des millions d’Américains blancs privés de leurs droits, qui ne voient aucune issue à leur misère économique et sociale, aux prises avec un vide affectif, sont en proie à une rage ardente contre une classe dirigeante corrompue et une élite libérale en faillite qui les a trahis. Ils sont fatigués de la stagnation politique, de l’aspect pathétique de tout ça, des inégalités sociales croissantes et des conséquences pénalisantes de la pandémie.
Des millions de jeunes hommes et femmes aliénés de plus se sont également retrouvés exclus de l’économie et sans perspective réaliste d’avancement ou d’intégration, ont été saisis par le même vide affectif, et au nom de la démolition des structures gouvernementales et de l’antifascisme ont mobilisé leur fureur. Ces extrémistes polarisés se dirigent de plus en plus vers l’action violente.
Les trois options
Il y a trois options : la réforme, qui, étant donnée la décadence du corps politique américain, n’est pas possible ; la révolution ; ou la tyrannie.
Si l’État corporatiste n’est pas renversé, alors l’Amérique deviendra très bientôt un État ouvertement policier au sein duquel toute opposition, aussi tiède soit-elle, sera réduite au silence par une censure draconienne ou la force.
Dans certaines villes, partout dans le pays, la police a déjà, par la force physique, les arrestations, les gaz lacrymogènes, les balles en caoutchouc et le gaz au poivre, contrecarré les reportages de dizaines de journalistes couvrant les manifestations. C’est cette situation qui va devenir la normale.
Les énormes divisions sociales, souvent fondées sur la race, seront utilisées par les fascistes chrétiens pour dresser voisins contre voisins. Des patriotes chrétiens armés attaqueront les groupes accusés d’être responsables de l’effondrement de la société. La dissidence, même non violente, deviendra trahison.
Peter Drucker a observé que le nazisme a réussi non parce que les gens croyaient en ses promesses fantastiques, mais en dépit de celles-ci. Les absurdités nazies, a-t-il souligné, ont été « mises à jour par une presse hostile, une radio hostile, un cinéma hostile, une église hostile, et un gouvernement hostile qui ont inlassablement souligné les mensonges nazis, l’incohérence nazie, l’impossibilité dans laquelle ils étaient d’atteindre leurs promesses, et les dangers et la folie de leur parcours ».
Personne, a-t-il noté, « n’aurait été nazi si la croyance rationnelle dans les promesses nazies avait été une condition préalable. » Le poète, dramaturge et révolutionnaire socialiste Ernst Toller, qui a été contraint à l’exil et dépouillé de sa citoyenneté lorsque les nazis ont pris le pouvoir en 1933, a écrit dans son autobiographie « Le peuple est lassé de la raison, lassé de la pensée et de la réflexion. Ils se demandent ce que la raison a fait ces dernières années, ce que les idées et la connaissance nous ont apporté de bon. » Après le suicide de Toller en 1939, W.H. Auden a écrit dans son poème ’In Memory of Ernst Toller’: Nous sommes menés par des puissances que nous prétendons comprendre: Ils organisent nos amours ; et à la fin ce sont eux qui dirigent.
La balle ennemie, la maladie, ou même notre main
Une fois les ennemis internes éliminés de la nation, on nous promet que l’Amérique retrouvera sa gloire perdue, sauf qu’une fois qu’un ennemi est éradiqué, un autre prend sa place. Les sectes de crise requièrent une escalade constante des conflits et un flux constant de victimes.
Chaque nouvelle crise devient plus urgente et plus extrême que la précédente. C’est ce qui a rendu la guerre en ex-Yougoslavie inévitable. Lorsqu’une étape d’un conflit atteint un crescendo, celui-ci perd de son efficacité. Il doit être remplacé par des affrontements encore plus brutaux et toujours plus meurtriers. C’est cela qu’Ernst Jünger entendait en parlant de « triomphe de la mort. »
Ces sectes de crise sont, comme l’a compris Drucker, irrationnelles et schizophrènes. Elles n’ont aucune idéologie cohérente. Elles renversent la morale. Elles font exclusivement appel à l’émotion.
Le burlesque et le spectacle deviennent politiques. La dépravation devient moralité. Les atrocités et les meurtres se parent d’héroïsme, comme l’ont illustré les marshalls fédéraux qui ont abattu sans raison le militant anti-fa Michael Forest Reinoehl dans l’État de Washington. Le crime et la fraude deviennent justice. La cupidité et le népotisme deviennent vertus civiques.
Ce que ces sectes de crise défendent aujourd’hui, elles le condamneront demain. Il n’y a pas de cohérence idéologique. Il n’y a qu’une cohérence émotionnelle. Au plus fort du règne de la terreur, le 6 mai 1794, pendant la Révolution française, Maximilien Robespierre annonçait que le Comité de Salut Public reconnaissait désormais l’existence de Dieu.
Les révolutionnaires français, athées fanatiques qui avaient profané les églises et confisqué les biens ecclésiastiques, qui avaient assassiné des centaines de prêtres et forcé 30 000 autres à partir en exil, se sont en une seconde retournés pour envoyer à la guillotine ceux qui dénigraient la religion. Et à la fin, épuisées par la confusion morale et les contradictions en interne, ces sectes de crise aspirent à l’auto-anéantissement.
Les élites dirigeantes ne rétabliront pas plus les liens sociaux rompus qu’ils ne s’attaqueront au profond désespoir qui accable l’Amérique ou ne répondront à l’urgence climatique. Au fur et à mesure que le pays s’effiloche, elles vont se tourner vers les outils habituels de la répression d’État et le soutien idéologique fourni par le fascisme chrétien.
Il va nous appartenir de mener des actions collectives permanentes de résistance non violente. Si nous nous mobilisons par tous les moyens, que ce soit a travers de grandes ou de petites actions, pour lutter en faveur d’une société civile forte, pour créer des communautés qui, comme l’a écrit Vaclav Havel, « vivent dans la vérité », nous aurons alors la possibilité de repousser ces sectes de crise, de tenir à distance la brutalité qui accompagne les bouleversements sociaux, et aussi de ralentir et de perturber la marche vers l’écocide.
Cela nous oblige à reconnaître qu’il est impossible de réformer nos systèmes de gouvernance. Personne au pouvoir ne nous sauvera. Personne d’autre que nous ne viendra en défense des plus vulnérables, des diabolisés et de la terre elle-même.
Tout ce que nous faisons doit avoir pour seul objectif de paralyser le pouvoir des élites dirigeantes dans l’espoir de l’avènement de nouveaux systèmes de gouvernance qui pourront mettre en œuvre les réformes radicales qui nous sauveront, nous et notre monde.
Le dilemme existentiel le plus difficile auquel nous sommes confrontés est de reconnaître à la fois les temps sombres qui nous attendent et de quand même agir, en refusant de nous abandonner au cynisme et au désespoir.
Et nous ne le ferons que parce que nous avons la foi, la conviction que le bien attire le bien, que tous les actes qui nourrissent et protègent la vie ont un pouvoir intrinsèque, même si les preuves empiriques montrent que les choses sont en train d’empirer.
C’est parmi ceux qui résistent également que nous trouverons notre liberté, notre autonomie, notre motivation et nos liens sociaux, et c’est cela qui nous permettra de supporter tout ça, et peut-être même de triompher.
Chris Hedges est journaliste, lauréat du prix Pulitzer. Il a été pendant quinze ans correspondant à l’étranger pour le New York Times, où il a occupé les fonctions de chef du bureau du Moyen-Orient et de chef du bureau des Balkans. Auparavant, il a travaillé à l’étranger pour le Dallas Morning News, le Christian Science Monitor et National Public Radio. Il est l’animateur de l’émission On Contact de Russia Today America, nominée pour un Emmy Award.
Source : Consortium News – 20/10/2020
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
©The Conversation
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