Le percussionniste Khadim Niang et le batteur Raphaël Pannier, sortent « Live in Saint Louis, Sénégal », un album qui reconnecte le jazz contemporain à ses origines africaines.
« Live In Saint-Louis, Sénégal » fera parler de lui. Il est non seulement le premier album tiré d’un set du festival jazz de Saint-Louis, mais il est bluffant d’audace et d’authenticité.
Une rencontre entre jazz et sabar, ces percussions bien sénégalaises qui claquent et détonent, ne peut qu’être originale, surtout quand deux virtuoses du rythme sont à la baguette. Raphaël Pannier batteur sorti de la prestigieuse Berklee et qui a joué avec Bob James, Miguel Zenón, Aaron Goldberg, Steve Wilson, Chad Lefkowitz-Brown ou encore Manuel Valera, invite et s’associe au maître tambour saint-louisien Khadim Niang dépositaire des richesses et secrets des percussions traditionnelles.
Khadim vient d’une noble lignée de griots. Son grand-père maternel n’est autre que Youga Faly Ndiaye ( la défunte diva et grande chanteuse Ndeye Marie Ndiaye Gawlo est issue de cette famille ). Après sa formation auprès de son oncle Cheikh Niang tambour major à Saint-Louis, puis un passage entre 1997 et 1998 chez Doudou Ndiaye Rose, le grand maître et tambour major de Dakar, Khadim avec une main gauche percutante et corrosive devient un orfèvre du sabar. Il est doué et s’intéresse à toutes les formes de percussions et de rythmes. Il cherche à frotter son savoir à d’autres sonorités. Si bien qu’en plus des cérémonies traditionnelles dans lesquelles il preste comme tout bon griot, il intègre le groupe musical Teranga de feu Iba Ba à Saint-Louis. C’est là-bas, auprès du guitariste Guam Diarra, que Khadim découvre la mesure, le temps, la variation, entend parler de La, Do Ré, Mi… Il prend goût à la recherche et est fasciné par le travail en studio.
L’Institut Français de la ville lui facilite un peu les choses. Des directeurs comme Pierre Tissot, Didier Moniotte, Eleonora Rossi et autres, jusqu’à Isabelle Boiro, lui ouvrent les portes de l’institut, l’associent à des résidences et le font rencontrer énormément de musiciens avec lesquels des projets naissent.
La variété, la pop, la soul, le jazz et l’univers de l’improvisation, le happent. Cela tombe bien, la ville abrite l’un des plus grands festivals du continent. Depuis ses débuts, il y a plus de 30 ans, le festival jazz de Saint-Louis a accueilli des sommités du monde entier sur la mythique scène de la place Bayaa.
Khadim Niang est sollicité par les organisateurs de Jazz à Saint-Louis pour les animations durant la période du festival.
Les musiciens au programme apprécient ses performances et certains l’invitent sur leur scène.
En 2015, Birame Seck chargé de la programmation du festival jazz de Saint-Louis, lui demande d’être à l’accueil du trompettiste Wallace Rooney, tête d’affiche de l’édition cette année-là. Devant l’hôtel, Rooney et son quintet sont subjugués par la dextérité des percussionnistes. Le trompettiste n’hésite pas, il veut Khadim sur scène lors de son set. En 2016, il s’envole en France, à Lyon plus précisément, pour une résidence et une création avec le groupe Mazalda. En 2022, il joue avec le fameux bassiste Alune Wade et en 2025 avec le magnifique batteur guadeloupéen Arnaud Dolmen.
Ceikh Ndoye, le fabuleux bassiste jazz, fait appel à Khadim Niang en 2024, lorsque le réalisateur Papa Alioune Dieng lui demande de composer la bande originale de son film-documentaire Ejo Tey dédié aux relations entre le Sénégal et le Rwanda. Cheikh concote une magnifique B.O mais demande à Khadim de lui rajouter des percussions afin de faire, au mixage, un clin d’œil au Nayabinghui originaire de l’Afrique de l’Est.
Khadim Niang enchaîne les résidences, les pièces de théâtre, spectacles en tout genre et les voyages, notamment en Suisse avec la chanteuse Andrea Janser, avec qui il va créer le groupe Bouye Band. One Pac, célèbre artiste Saint-Louisien établi en Espagne et prometteur du festival Back To The Roots, l’adoube et favorise ses connexions avec les artistes ibériqures.
Au niveau national, Khadim, joue avec de grands noms de la musique sénégalaise parmi lesquels on peut citer : Souleymane Faye, Les Frères Guissé, Tapha Diarabi, Ndary Diouf, Tex ou encore Guneyi…
Quand Raphaël Pannier, qui a longtemps vécu aux États-Unis, se retrouve au programme du Festival de jazz de Saint-Louis 2023, son vieux rêve d’aller à la rencontre du Sabar, inspiré par le légendaire Tambour Major Doudou Ndiaye Rose, resurgit. Il part seul à Saint-Louis et toutes ses recherches l’orientent naturellement vers l’incontournable Khadim. Il est d’autant plus séduit qu’il constate que Khadim est passé entre les mains du grand Doudou N’Diaye Rose.Tout de suite, l’entente est parfaite et l’envie d’une collaboration naquit.
En 2024, Pannier et son quartet, composé du saxophoniste cubain Yosvany Terry, du pianiste Thomas Enhco, du contrebassiste François Moutin, d’un côté et de l’autre, Khadim Niang accompagné de huit batteurs, dont ses fils Papa Madiodio et Yoro, entrent en résidence pendant 10 jours. L’objectif est clair : ils ne veulent pas d’une juxtaposition d’instruments. Ils souhaitent plutôt qu’ils s’écoutent, échangent avant de s’entremêler et fusionner. En somme, une construction harmonieuse pour faire dialoguer les instruments.
Le résultat est au rendez-vous ! Le 19 mai 2024, le groupe au complet se produit sur la grande scène du Saint-Louis Jazz, au grand bonheur des festivaliers. L’album issue de ce set est composé de Take Five” de Dave Brubeck, «Lonely Woman» d’Ornette Coleman, «Naïma » de Coltrane, « Sine Saloum », « Hommage to Doudou N’Diaye Rose » et «Xalat bu rafet». Un travail d’équipe, de partage et d’échange.
La reprise de “Take Five”, le classique de Dave Brubeck, donne le ton de façon magistrale. Les percussions du corrosif Khadim Niang transportent le mélomane et le font voyager au pays des rythmes les plus sophistiqués. Khadim avait particulièrement à coeur de réussir la composition de « Take Five »
Autre pépite: «Lonely Woman» d’Ornette Coleman où Yosvany Terry au soprano accompagne merveilleusement la contrebasse de François Moutin et le piano de Thomas Enhco.
« Sine Saloum » d’inspiration Yoruba complètement repensé par le groupe, « Hommage to Doudou N’Diaye Rose », et « Xalat bu rafet » sont trois morceaux qui démontrent parfaitement la puissance rythmique du sabar.
Dans «Naïma», de Coltrane, les musiciens, sur une architecture rythmique pensée par Khadim, posent des duos sax- sabar et des solos piano et batterie qui valent le détour. La reprise du standard signé Coltrane est à découvrir ! Coup de cœur !
«Live in Saint-Louis, Sénégal» est sorti sur le label de Miguel Zenón, saxophoniste jazz américain d’origine portoricaine, plusieurs fois nommé aux Grammy Awards en tant que compositeur ou producteur. Miguel Zenón qui aime explorer les limites du jazz, des musiques latines et afro-caribéennes, ne pouvait ne pas sceller ce joli mariage de sonorités venues d’ici et d’ailleurs.









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