Abdoulaye Seye Moreau, hommage à un grand patriote et pivot du basket mondial

Le 27 juin 2020 Abdoulaye Seye Moreau tirait sa révérence à Dakar. Ce jour-là, dans la nuit du samedi à dimanche, s’est arrêté de battre le cœur d’un des plus vaillants fils du Sénégal. Il était à la fois un monument du basket mondial et un grand dirigeant de banque. Abdoulaye Seye Moreau, c’était surtout un grand-père exceptionnel qui venait d’être arraché à l’affection de ses petits-enfants.

Abdoulaye Seye Moreau, hommage à un grand patriote et pivot du basket mondial, Information Afrique Kirinapost

Abdoulaye Seye Moreau, modele de dirigeant et de patriote. Un des derniers mohicans

Il y a 4 ans, se retirait Abdoulaye Seye Moreau. Il avait fêté en 2019, un an avant son dernier voyage, ses 90 ans dans sa sobriété légendaire entouré de sa famille et de ses petits-enfants. Il était accessible, de bon commerce et d’une humilité troublante. Grand seigneur, son immense personnalité s’imposait naturellement à tout venant sans avoir à bomber le torse. Il tenait aux valeurs et avait acquis son statut de leader modèle pour les tenants ou aspirants des arcanes de pouvoir.

La disparition d’Abdoulaye Seye Moreau sonne comme un rappel nous signalant qu’effectivement nous sommes en train d’entrer dans une ère nouvelle : celle dans laquelle, les hommes et femmes  de grande valeur se feront de plus en plus rares. Abdoulaye Seye Moreau faisait partie des derniers mohicans. Il était de la race de ces dirigeants légendaires, rigoureux et compétents, imbus de principes moraux et humanitaires, charismatiques à souhait et qui demeuraient en toutes circonstance élégants et d’une urbanité exquise. Saint-louisien, membre la famille du patriarche Moreau Seye, il avait de qui tenir.

Abdoulaye Sèye est né le 12 novembre 1929 à Louga de parents « Domù Ndar » comme il aimait insister. Abdoulaye Sèye était fier de ses racines saint-louisiennes. Quand j’ai eu la chance de le rencontrer pour la première fois, il y a plus de 30 ans, grâce à son «bras droit», son copain et petit-fils Ogo il m’accueillit avec égard. En vérité, il était comme ça avec tout hôte qui franchissait le bas de sa porte. Il aimait recevoir chez lui et avait pour chacun un petit mot agréable.

« La chose la plus importante est d’essayer d’inspirer les gens afin qu’ils puissent être excellents dans leur vie et dans tout ce qu’ils veulent faire” disait Kobe Bryant légende du basket. Abdoulaye Sèye Moreau n’était ni cassant, ni intimidant, il était stimulant et avenant ! Indéniablement la marque des grands hommes qui te fait croire, en le fréquentant que tu étais une personne importante. Quand il sut que son grand ami Imam Abdoulaye Ba et Assane Diop Pathé, étaient mes grands-parents, il se montra encore plus attentionné à moi endroit. Comme si lui aussi devait contribuer à me former.

Abdoulaye Seye Moreau, hommage à un grand patriote et pivot du basket mondial, Information Afrique Kirinapost

Doomu Ndar, jusqu’au bout des ongles

« Abdoulaye Ba est mon ami d’enfance. Quant à Assane Diop Pathé, je vais te raconter quelque chose : c’est grâce à lui que je suis devenu, avant l’heure, le « chef de famille » des Seye Moreau. Un jour, j’étais jeune directeur de banque, je vais à un baptême dans la famille. J’arrive un peu en retard. Toute la famille Seye et là et Assane Diop Pathé est là aussi.  Il prend la parole et dit « Désormais Abdoulaye tu es le représentant et le délégué de la famille Seye. Tu célébreras les mariages, les baptêmes et tu dirigeras tous les événements. Doom bu solé dalu baayam mu jot ko mën në taxaw taxawayu baayam.Je me retourne, je vois le vieux Moreau Seye, mes papas  Abdourahmane et Mbaye Seye (Maitre Babacar Seye), tous présents, acquiescer car tous considéraient que leur enfant que j’étais avait grandi et que donc je pouvais agir en leur nom. C’était acté. C’est un peu pour te dire aussi la place qu’occupait ton grand-père dans notre famille. II y prenait des décisions qui s’imposaient» me confia-t-il comme pour sceller ou renforcer des liens familiaux. Abdoulaye Sèye Moreau adorait sa famille, était fidèle en amitié et sacralisait ses origines saint-louisiennes.

« Toi et moi, on est des Domù Ndar. On ne dit pas Doomu…d’une autre ville. Ce n’est que pour Ndar. Ne laisse personne t’appeler Ndar Ndar » me disait-il le ton moqueur un de ces soirs où l’on prolongeait la discussion jusque tard dans la nuit.

Chaque rencontre avec lui était une leçon de vie. Jeune et fougueux, il m’arrivait d’argumenter sur certains sujets, il m’écoutait toujours avec attention. Quelle humilité ! Je murmurais dans ma tête. Chaque rencontre était de sagesse et de lumière. Un jour, alors que je lui demandais comment il avait pu être tour à tour sportif, étudiant, dirigeant d’entreprise et exceller dans tous ces moments, il répondit ainsi :

« Je ne sais pas si j’ai excellé dans tous les secteurs mais ce qui est sûr, je suis d’une époque où ton père, le maitre coranique, l’enseignant à l’école française et l’éducateur sportif, vous enseigniez les mêmes valeurs. C’était comme un tronc commun. Il était difficile de sortir de ce cadre. Donc je peux dire que c’est l’encadrement qui était idéal. »

Abdoulaye Seye Moreau, hommage à un grand patriote et pivot du basket mondial, Information Afrique Kirinapost

Abdoulaye Seye Moreau, patron de banque

Orphelin très tôt, Abdoulaye Sèye Moreau fait ses études primaires à Louga sous la coupole de sa grand-mère Mame Fatou Gaye. Après son certificat, il entre au lycée Faidherbe de Saint-Louis avant d’obtenir une licence en droit privé à l’Universitaire de Dakar. À la fin de ses études, il est embauché par la société d’hydrocarbures Shell avant de rejoindre quelque temps plus tard le Crédit Populaire, future Banque Nationale de Développement du Sénégal (BNDS). Abdoulaye Seye ne sortira plus de la banque et en deviendra même le directeur Général pendant cinq ans (1985-1990).

Quant à sa brillante carrière sportive dans le basket, qui la mettra davantage sous le feu des projecteurs, elle démarre en tant que joueur en 1955 au Foyer France Sénégal (ancêtre du Jaraaf de Dakar) avec lequel, il est sacré champion d’AOF la même année. Il passera par d’autres clubs jusqu’en 1965, date à laquelle, il entame une carrière d’arbitre et de dirigeant. Il sera tour à tour, fondateur du Dakar Université Club (DUC), arbitre international (il prendra part aux championnats du monde de Cali en Colombie en 1975) et enfin président de la commission des arbitres.

Abdoulaye Sèye Moreau deviendra premier vice-président de la Fédération Sénégalaise de Basketball (FSBB) sous le mandat de Serigne Lamine Diop et de son frère Moctar Guène, il leur succède en 1975 et devient le patron du basket sénégalais durant 17 années. Sous son magistère, le Sénégal participe à deux championnats du monde femmes (1979, 1990), et remporte six CAN (1977,1979, 1981, 1984, 1990, 1993). Chez les hommes, les Lions participent aux Jeux Olympiques de 1980, se qualifient aux championnats du monde 1978 et gagnent deux coupes d’Afrique (1978 et 1980).

En 1993, Abdoulaye Seye quitte la FSBB pour atterrir  à la présidence de l’instance africaine du Basket l’AFABA (aujourd’hui FIBA-Afrique) de 1993 à 1998. En 1998, Abdoulaye Moreau prend la tête du basket Mondial en devant président de FIBA-Monde l’équivalent de la FIFA pour le football. Il est le second africain à diriger ainsi le basketball mondial après l’Égyptien Abdel Wahbi. FIBA-Monde a son siège à Munich en Allemagne et son Président, comme celui de l’IAAF ou de la FIFA est un quasi-chef d’Etat. Toutefois, Abdoulaye Seye Moreau n’ira pas s’installer en Bavière. Il préfèrera continuer à vivre à Dakar entouré de ses petits-enfants dans sa maison des SICAP. Tous ces strass et paillettes ne lui sont jamais montés à la tête. Fauteuil douillet de la Maison-Blanche ou banc public de la SICAP, il avait la même élégance partout.

Abdoulaye Seye Moreau, hommage à un grand patriote et pivot du basket mondial, Information Afrique Kirinapost

« Nit dafay am kilifë »Aboulaye Seye Moreau 

« Quand tu as dans ton entourage des hommes de la dimension de Babacar Seye, Abdourahmane Seye, Abdoulaye Fofana ou encore Assane Diop Pathé, tu gardes les pieds sur terre et tu reçois des conseils éclairés. Il est important quand on est dirigeant d’avoir des mentors, des gens capables de te faire changer d’avis parfois. Nit dafay am kilifë » m’expliqua-t-il un soir alors que nous discutions des dorures de ces grandes instances. Il m’en a raconté beaucoup sur la vie de ces institutions.

Sa vie, il la voulait authentique et discrète en bon musulman. Plaisanter avec ses petits-enfants, surveiller ce qu’on préparait pour le déjeuner et par exemple si c’était du Cébbu yapp, scruter si la feuille de laurier y était bien présente. Sacrilège, s’il y’en avait pas ! C’était cela son bonheur simple, ses essentiels, qu’il recherchait plus que tout. « À force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel » avertissait le sociologue Edgar Morin. Il avait compris l’essentiel de la vie !

Il était vraiment loin du bling-bling et des scintillements des lieux de pouvoir qu’il côtoyait lorsqu’il le fallait pour ses fonctions prestigieuses. Pour preuve, il n’amenait aucun de ses proches à l’étranger lors de ses nombreux déplacements et se contentait d’offrir des cadeaux symboliques mais jamais hors de prix, des gadgets, du fromage, qu’il aimait par-dessus tout, ou ce fameux chocolat Tomblerone.

Président de la FIBA, il se rend régulièrement à Munich pour les réunions importantes et voyage un peu partout dans le monde chaque fois que la présence du président de la FIBA est nécessaire. Pour le reste, il délègue et met en avant ses différents vice-présidents. Ces derniers ont le sentiment d’être mis en valeur par le boss et souhaitent tous qu’il rempile pour un deuxième mandat de 4 ans à la tête de la FIBA. À la surprise générale, alors qu’un plébiscite se prépare pour sa réélection, il décide de passer la main. Il ne fera qu’un mandat.

Abdoulaye Seye Moreau, hommage à un grand patriote et pivot du basket mondial, Information Afrique Kirinapost

Le président Abdoulaye Seye au cours d’un de ses nombreux déplacements à l’étranger

« Un dirigeant doit savoir partir à temps. Il est important de bien faire ce qu’on à faire et de laisser la place aux autres. Voilà pourquoi, même si certains ont tout fait pour que je renouvelle mon mandat dont le bilan était excellent, j’avais décidé de parti à la fin de celui-ci » me dit le sage.

Son bilan à la tête de la FIBA est tellement élogieux qu’au moment de son départ en 2002, il est nommé président d’honneur à vie et il intègre par la suite la commission éthique de l’instance du basket-ball mondial où il est également nommé à vie. Il était en bonne place parce qu’il fit montre d’un sens de l’éthique remarquable.

Il m’a raconté que quand il est devenu président de la FIBA, à la prise de fonctions à Munich, on lui a présenté ses bureaux, son logement et on lui a remis une carte bancaire « Open » pour les dépenses urgentes. Il garda la carte et à la première réunion post prise de fonction, parmi ses premières mesures, il déclara que dorénavant, cette carte devra être gardée par le bureau et que son utilisation serait collégiale. “Combien y avait-il sur la carte?” lui demandai-je? “Beaucoup d’argent” me répondit-il, j’insistais alors: “ une somme capable d’acheter une voiture ?”…il répondit: “ largement et plus !” conclut-il !

À son retour au Sénégal, si tant est que l’on doive l’appeler retour, Abdoulaye Seye Moreau devient Président du Comité National Olympique et Sportif Sénégalais (CNOSS) de 2002 à 2006. Enfin en 2010, le graal arrive. Abdoulaye Seye Moreau entre au «FIBA All Of Fame». Il est devenu un immortel. Une distinction qu’il dédiera aussitôt à son épouse et ses enfants qui ne le voyaient pas beaucoup à cause de ses nombreux voyages.

Complètement retiré, de la vie publique et médiatique, il continuait néanmoins de de se rendre au stadium Marius Ndiaye assister à un match de championnat et de donner des conseils avisés à la FSBB.

Comme dit plus haut, la famille était centrale dans la vie d’Abdoulaye Seye Moreau. C’est pour cela, il a toujours voulu vivre en tribu c’est-à-dire entouré des siens. Abdoulaye Seye, a voulu vivre dans la chaleur du clan au sens africain du terme. Les dernières années de sa vie, il continuait toujours à voyager puisqu’il demeurait dans une forme é tonnante et resplendissante. Il ne se ménageait pas pour transmettre à ses neveux, ses petits-enfants et arrière petits-enfants son riche expérience de la vie.

Abdoulaye Seye Moreau, hommage à un grand patriote et pivot du basket mondial, Information Afrique Kirinapost

Abdoulaye Seye Moreau, une vie en 3 mots: sagesse, éthique, leadership. Vivement un édifice à son nom !

Aujourd’hui, auprès de ton seigneur, après une vie d’une densité rare, tu es allé littéralement te reposer sur la pointe des pieds. Sans crier gare, donc tu as rejoint ton Seigneur comme tu as vécu dans la douceur et la grâce. Pouvait-il en être autrement ? Yalla bu tiatt jiitu…inchAllah sunu lamiñ du lë gaañ. Puisse la miséricorde divine t’accompagner.

Il appartient au Sénégal d’honorer ce grand patriote dont le nom est inscrit à jamais au panthéon du basket mondial. Abdoulaye Sèye Moreau, il s’appelait ! Sa vie doit être contée pour qu’elle serve d’exemple aux jeunes générations tant sevrées en modèles et en manque total de repères. Vivement qu’un édifice, une rue ou un stade porter son nom. Les sociétés véritables ne tiennent que par leurs monuments, leurs icônes. Abdoulaye Sèye en est !

Tu manqueras à des petits-enfants, mais ils sont conscients que leur pépé, qui savait si bien être présent pour chaque membre de sa famille, sans qu’un autre ne le sache, de là où il est, continue de les aimer et de les protéger. Repose en paix Doomu Ndar !

 

 

 

 

 

Share

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *