Une récente étude démontre un lien entre les aliments ultratransformés et un risque plus élevé, entre autres, de maladies cardiaques et de cancers. Le Dr Anthony Fardet appelle les pouvoirs publics à s’emparer de ce fléau. Source: Emmanuel Clévenot pour Reporterre
Près de 10 millions d’individus suivis. Jamais une étude si vaste n’avait été menée sur le sujet. Le 28 février, dans le British Medical Journal, quinze chercheurs ont démontré le lien entre les aliments ultratransformés et trente-deux effets nocifs sur la santé. Notamment, un risque plus élevé de maladies cardiaques, de cancers, de diabète de type 2, d’anxiété, de troubles mentaux, voire de décès prématurés.
Face à ce fléau grandissant, le Dr Anthony Fardet, chercheur en alimentation préventive et durable à l’Inrae [1] de Clermont-Ferrand et auteur de Bien manger est si simple — Pourquoi tout compliquer ? (éd. Thierry Souccar, 2021), appelle les pouvoirs publics à s’en emparer sans tarder.
Reporterre — Paquets de céréales, barres protéinées, boissons gazeuses, plats préparés… Tous ces produits ont un point commun : ce sont des aliments ultratransformés. Qu’est-ce qui, dans leur fabrication, se révèle dangereux pour notre santé ?
Anthony Fardet — Tous ont été artificialisés par l’ajout d’au moins un des quatre marqueurs d’ultratransformation. À savoir : des arômes ; des additifs cosmétiques, comme les colorants ou les modificateurs de goût ; des techniques industrielles de transformation, comme le soufflage ou la cuisson-extrusion ; et enfin des lipides, des glucides, des protéines ou des fibres ultratransformés, par exemple des isolats de gluten.
Les aliments ultratransformés, bien souvent, demandent moins de mastication et réduisent donc la satiété, puis l’acte alimentaire. Le consommateur mange alors en excès, notamment du sel, du sucre et du gras ajoutés.
Sans parler des xénobiotiques ingérés, c’est-à-dire des composés étrangers au corps humain que nos organismes ne rencontraient jamais auparavant. Ce peut être des résidus de pesticides, des additifs de synthèse, voire, d’après l’hypothèse d’autres chercheurs, des résidus migrant des emballages plastiques.
Ils contiennent des xénobiotiques, c’est-à-dire des composés étrangers au corps humain que nos organismes ne rencontraient jamais auparavant. CC0/ Pxhere
Et puis, autre point central, une grande majorité de ces aliments contiennent moins de composés protecteurs, tels que les minéraux, les fibres, les vitamines, et les oligoéléments.
En revanche, on ne peut pas blâmer un composé en particulier : des milliers et des milliers de combinaisons existent entre tous les marqueurs d’ultratransformation. Pour protéger notre santé, il faut réduire la proportion de l’ensemble de ces aliments dans nos régimes, et non se contenter de cibler isolément tel ou tel produit. C’est vraiment la proportion d’aliments ultratransformés dans le régime qui compte.
D’après l’étude, au Royaume-Uni et aux États-Unis, plus de la moitié des produits consommés sont des aliments ultratransformés. Ce chiffre grimpe jusqu’à 80 % pour les jeunes et les personnes les plus démunies. Pourquoi eux ?
Il y a, chez les jeunes, davantage d’ignorance sur ces questions. Le manque d’éducation nutritionnelle est flagrant. D’autant qu’en face, les géants de l’agro-industrie exercent un marketing très élaboré, visant à présenter ces produits comme bons pour la santé.
Et je ne parle pas seulement de la malbouffe, mais aussi des aliments véganes, végétariens, allégés, enrichis, sans gluten ou bio.
Parmi les aliments ultratransformés, il y a certes la malbouffe, mais aussi certains aliments véganes, végétariens, sans gluten ou bio. CC0/ Open food facts
Par ailleurs, l’ultratransformé est souvent synonyme de calories et de bon marché. Or, quand on n’a pas beaucoup d’argent, la première préoccupation est de se remplir le ventre sans dépenser trop d’argent. Les ménages les plus modestes s’orientent donc vers ces aliments, comme un grand nombre d’étudiants en voie de paupérisation.
Si la nocivité de ces aliments est prouvée, pourquoi continuer à en produire ? Les ultratransformés sont ultrarentables. Tout d’abord, parce que les marqueurs d’ultra-transformation coûtent peu d’argent. Mais ce n’est pas tout ! En exacerbant les goûts, les textures et les couleurs, les industriels signent une triple rentabilité.
Premièrement, en poussant le consommateur à en manger plus que de raison. Qui n’a jamais terminé un paquet de chips industrielles, avec plaisir, mais sans avoir réellement faim ? Deuxièmement, en poussant le consommateur à en racheter une seconde fois. Double rentabilité. Et enfin troisièmement, en ciblant les enfants dès leur plus jeune âge, on s’assure une clientèle à vie. Triple rentabilité.
« L’éducation alimentaire est la voie royale à long terme »
Il y a quelques années, l’industrie du tabac incitait les jeunes à fumer tôt. Une fois ceux-là addicts, cela pouvait en faire des clients à vie.
La logique est la même ici : je travaille en ce moment sur les goûters des petits, et plus de 90 % d’entre eux sont composés de malbouffe ultratransformée. Le mieux pour leur santé serait une poignée de noix ou d’amandes. Mais comment voulez-vous rivaliser avec des Kinder Pingui ?
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Plusieurs universitaires brésiliens ont d’ailleurs appelé les Nations unies et les États membres à élaborer et mettre en œuvre une convention-cadre sur ces aliments, analogue à celle sur le tabac. Les politiques ont-ils un rôle à jouer dans cette bataille ?
Bien sûr. Il faut agir à deux niveaux. Déjà, du côté des scientifiques, en sensibilisant la population. Via les médias, en écrivant des livres, des articles de vulgarisation, en menant des conférences et en allant dans les écoles.
L’éducation alimentaire est la voie royale à long terme. En luttant contre l’ignorance, les consommateurs deviendront les véritables acteurs de leur alimentation et pourront faire des choix avisés.
« J’ai défendu l’idée d’une taxe sur l’ultratransformation. Plus le nombre de marqueurs est élevé, plus la taxe grimpe »
Seulement, le tabac l’a démontré, prévenir des risques de cancer ne fonctionne pas toujours. Il faut taper dans le porte-monnaie, faire grimper le prix du paquet à 15 euros. Sur ce point, les politiques doivent agir. La Suite ICI
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