J’en sais que le mot cancer me souffle des prénoms de gens que j’ai accompagnés parmi les miens dans la maladie, la mort et le deuil. J’en sais ce que ceux que j’aime qui sont encore là et ceux que j’aime qui ne sont plus là m’en ont dit. A l’heure où j’en parle, j’en vis les affres du deuil et en sais aussi ce que résonne en moi leur histoire…pourrions-nous porter une attention particulière à ce que ressentent dans leurs âmes nos proches touchés de près ou de loin par le cancer? Octobre rose doit servir à cela !
Entendre ce que ça a changé en eux, ce que leur cancer leur a enseigné? Leur demander s’ils ont peur? J’aimerais qu’on lutte contre le silence, ça ne coûte rien, ça. J’aimerais qu’on lutte contre le jugement. C’est gratuit, ça aussi. Qu’on lutte contre ces phrases toutes faites qui ne veulent rien dire, qu’on lutte contre les comparaisons, contre le fait qu’on s’attarde à l’autre quand il perd ses cheveux, mais qu’on fait comme si rien n’était arrivé quand il les retrouve. Il y a trop de types, de grades, de complexité pour parler d’un cancer. Et puis il y a les diagnostics : le fatal, le surprenant, le franc, le flou et le « c’est au-dessus de ta tête plus que pour bien des gens». Mais ça, ce ne sont que des mots. Il y a ceux qui ont peur de l’« attraper », ceux qui l’ont, ceux qui sont génétiquement à risque…
Parler de cancer, c’est parler de tous ces gens. Car ils sont tous concernés par la « lutte » dont on parlera tout au long du mois d’octobre. Moi, je n’ai pas le goût d’être contre les cancers, il sont trop gros et trop nombreux pour moi, je perdrais dans le ring.
Laissons la recherche faire son travail et je me dis qu’à coups de gros investissement, un jour, on trouvera bien. Mais si on n’arrive pas à enrayer les cancers, il faudra bien qu’on apprenne d’eux. Comment faire? S’attarder au ravages collatéraux qu’ils créent est à mes yeux une bonne idée. Et ça, en plus, ce n’est pas une lutte, c’est de l’attention, ça ne coûte rien, c’est simple et ça fait du bien.
Le parcours du combattant
Le cancer s’apparente à un tsunami. Il détruit tout sur son passage et n’épargne aucun domaine de la vie. L’annonce d’un cancer du sein ou autre marque le début d’un long voyage. Il surgit le plus souvent un temps de sidération, d’absence à soi-même, dont la durée peut varier de quelques heures à plusieurs jours, jusqu’à ce que cet enlisement de la pensée cède la place à divers systèmes de défense dont l’excitation est sans doute l’un des plus remarquables.
La psyché se trouve alors envahie par un débordement en cascade d’affects désordonnés. Du vide au trop plein, dans l’excès, en proie à une avalanche de questionnements intérieurs (“pourquoi moi, qu’ai-je fait pour mériter ça, pourquoi maintenant, etc.”) d’autant plus vains que, sous l’effet du traumatisme, aucune réponse satisfaisante ne peut être trouvée.Les pensées s’entrechoquent, incapables de remettre de l’ordre dans ce bouillonnement désordonné, faisant tout au plus émerger un sentiment mêlé d’injustice et de culpabilité.
Après la descente aux enfers dans la solitude de la maladie, la lente remontée s’ensuit
C’est le début d’un long parcours de soins, harassant, qui court souvent sur plusieurs années. Examens et traitements médicaux se suivent à un rythme infernal et constituent autant d’éléments éprouvants. Un sentiment de dépossession corporelle est inévitable, induisant des fantasmes de morcellement. Livrée corps et âme aux décisions médicales, suspendue aux résultats d’examen, “accrochée” à la parole du médecin, on passe d’un sentiment de toute puissance à un sentiment d’impuissance, de l’indépendance à une dépendance de tous les instants, du sentiment de liberté à celui d’être prisonnier ou prisonnière des soins, du corps médical, de la maladie. Au moins l’angoisse massive du début trouve-t-elle ainsi une sorte d’arrimage provisoire à cette prise en charge multidisciplinaire.
Après la descente aux enfers dans la solitude de la maladie et la lente remontée qui s’ensuit, il est d’observation courante que s’instaure progressivement une disposition d’esprit propice à la réflexion, à l’élaboration parfois. Le bouleversement intense provoqué par cette atteinte à l’intégrité corporelle du sujet, relance des interrogations qui ne se limitent plus aux seules questions médicales. Rendre compte de toute la complexité qui entoure l’expérience traumatique des femmes atteintes du cancer du sein: l’autre versant du miroir
Se pose également l’équation de rendre compte de toute la complexité qui entoure l’expérience traumatique des femmes atteintes du cancer du sein, et qui, survivantes, ont à reconstruire leur féminité…
Dans l’imaginaire collectif, le sein est l’organe symbole de la féminité, alors pour ces femmes, l’ablation s’apparente à la perte d’une partie de leur identité. Après l’ablation, l’image du sein chargé de sève, capable d’éveiller le désir et d’être nourricier, fait place à une image désolante évoquant le manque et la blessure, synonyme de honte, de tristesse, d’un corps à dissimuler.
Se regarder dans le miroir est presque toujours une épreuve qui tient de l’effroi. Impossibilité de regarder ce qui manque, impossibilité de toucher aussi. Peut-on encore parler de corps ?
Une femme sans sein est-elle encore une femme ? Cette vision de manque ne réactive-t-elle pas inconsciemment la blessure narcissique lointaine ressentie par la petite fille devant le corps de sa mère paré de cet attribut qui lui fait, à elle, cruellement défaut ?
Le miroir renvoie désormais l’image d’une perte de chair, d’une dissymétrie, d’un déséquilibre corporel auquel répond un déséquilibre psychique, un sentiment d’étrangeté.
Hantée par la crainte fantasmatique de perdre l’amour de l’objet, équivalent chez la femme de l’angoisse de castration masculine selon S. Freud, sera-t-elle jamais la même dans le regard des autres, se demande la femme, dans une angoisse multiple, inextricable.
Le creux, venu en lieu et place du sein, sera désormais la marque d’une blessure, réactivant inconsciemment celle d’une autre blessure, symbolique celle-là.
Arpenter le chemin de la reconstruction
Quand vient enfin le temps de la rémission pour celles qui ont tenu le coup, on a l’impression que la vague vient de se retirer et qu’on doit tout reconstruire. De l’extérieur, il est difficile de se rendre compte à quel point les patientes et patients en rémission ont besoin de soutien, même lorsque l’épreuve semble remportée. Car ce moment tant attendu, lorsque le médecin articule enfin le mot «rémission», provoque autant de soulagement que de difficultés.
Les femmes concernées évoquent un raz-de-marée d’émotions, une fatigue accablante et la nécessité de s’écouter, pour réapprendre à conjuguer la vie au futur.
L’entourage se dit alors que la personne est guérie et s’autorise à prendre du recul. Mais dans de nombreux cas, il reste encore beaucoup de combats à mener y compris la peur d’une rechute qui hante les patients en rémission à chaque contrôle médical.
Nombre de patientes atteintes de ce cancer ressentent ainsi cette phase. Le reflet dans le miroir qui mute constamment, les traitements lourds qui s’enchaînent, la perte de confiance en soi, cette maladie bouleverse une vie. Amputées d’un sein ou des deux, elles ont dû appréhender leur féminité avec un regard neuf. Le processus de soins mis en place, depuis l’annonce du diagnostic jusqu’à la fin de la reconstruction pour celles qui l’envisagent, oblige à l’introspection et peut donner lieu à une redécouverte de la vie psychique, voire à un remaniement de celle-ci. Une réorganisation psychique allant de pair avec le processus de reconstruction chirurgicale semble alors impérative pour que la reconstruction corporelle puisse ne pas être qu’un faux-semblant et prendre véritablement corps.
Résilience et conjuration de la fatalité…
Dans cette traversée semée d’embûches, ces guerrières tenaces apprennent à accepter ce corps malmené. C’est le point d’achèvement de cette aventure longue et difficile, de cette course contre le temps, contre la maladie, pour la vie. La transformation psychique opérée est souvent revendiquée après coup par les patientes comme un mieux être par rapport au passé, qui facilite leur acceptation d’être devenue différente. Lorsque le remaniement psychique et la reconstruction chirurgicale sont en adéquation, la femme peut accepter cette nouvelle forme féminine reconstruite et se l’approprier comme une partie d’elle-même.
Les imperfections et les traces cicatricielles peuvent même être ressenties avec fierté, par certaines femmes, comme des signes sur leur corps de leur pugnacité à combattre le mal qui les habitait. Cette traversée de la reconstruction du sein et de leur féminité pourra ainsi être vue, rétrospectivement, comme un voyage initiatique vers la vie, ayant permis une sorte de re-naissance, de re-création de soi.
En ce mois teinté de rose, couleur de féminité et symbole de tendresse, elles réaffirment leur lutte acharnée contre le cancer du sein et explorent tant bien que mal l’érotisme de leur nouveau corps. Le cancer du sein n’est pas une fatalité. Dépistons nous pour garder en parfaite santé ce trésor de la vie. Soyons résiliants !
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