Un siècle. Ce n’est pas chaque jour que l’on célèbre les 100 ans d’une grande figure publique. Amadou Mahtar Mbow qui fête ses 100 ans ce samedi fait partie de la race des grands africains… des grands hommes. Naissance et enfance à Louga. Né le 20 mars 1921 à Dakar, Amadou Mahtar Mbow est un homme du nord du Sénégal. De Louga et Saint-Louis. Son père se nomme Fara Ndiaye Mbow et sa maman Ngoné Casset. Thassinda Uba Thassinda écrivain et ex-vice-ministre chargé de la Coopération internationale de la RDC dans son ouvrage « Amadou Mahtar M’bow, un sahélien à l’UNESCO » raconte très bien le royaume d’enfance de Mbow.
« Amadou Mahtar M’Bow est né à Dakar par le hasard des circonstances, ou plutôt par le caprice des traditions, de celle précisément qui voulait qu’à l’approche de la délivrance, l’épouse quitte le toit conjugal et aille accoucher chez ses parents. Ngoné Casset respecta scrupuleusement cette coutume. Vers janvier-février 1921 elle prépara son trousseau, quitta Louga et gagna la maison paternelle à Dakar. Là, un grave dilemme l’attendait qui partageait, pour ainsi dire, les « conservateurs » et les « modernistes » de sa famille : devait-elle accoucher chez elle, conformément à la tradition, ou se rendre à la nouvelle maternité « Wassinou-kaye tope-to » (« Accouchements et soins ») de la rue de Thiong, non loin de laquelle habitaient ses parents ? Cette maternité avait été ouverte récemment par madame Boussiac, une Française dont le mari avait péri pendant la guerre. Vivement impressionnée par ces régiments de « tirailleurs sénégalais » qui, comme son époux, avaient donné leur vie pour la France, madame Boussiac voulut faire bonne oeuvre en donnant aux femmes noires l’occasion d’enfanter dans des conditions plus modernes. Et pour les y encourager, elle institua une prime à la naissance. Amadou Casset, en avance sur son temps, décida que c’est à la maternité que sa fille Ngoné Casset accoucherait. C’est ainsi que Amadou Mahtar M’Bow compta parmi les premiers petits Sénégalais nés dans un hôpital moderne.
Après la naissance de son fils Ngoné Casset retourne à Louga. Amadou Mahtar M’Bow sera entouré et éduqué par les coepouses de sa maman. « J’ai eu plusieurs mères » dit M’Bow avec reconnaissance.
« De toutes les personnes que réjouissait cette venue au monde, il y eut une qui prit l’enfant en affection et qui l’aima autant que sa propre mère : Yony Sow, la première épouse de Fara N’Diaye M’Bow. «Je n’ai pas eu une seule mère, m’a confié Amadou Mahtar M’Bow. J’en ai eu plusieurs. Cette réponse paraîtra singulière dans la mesure où il est rare que quelqu’un affirme avoir eu plusieurs mères. Mais, bien sûr, ce n est là qu’une façon de parler. J’en ai eu plusieurs au sens où mon père était africain et polygame. Ma mère était la plus jeune de ses épouses. Comme ma sœur cadette et mon jeune frère, j’ai été élevé par une des femmes de mon père : Yony Sow, qui, elle aussi, m’a considéré comme son fils. J’ai donc eu à la fois l’amour de ma mère (1) Alexis de Tocqueville, La démocratie en Amérique. et l’affection de celle qui fut pour moi une seconde mère. En fait, nous vivions dans une ambiance telle que nous étions entourés des soins non seulement de la mère et de toute la famille, mais aussi éduqués, si je puis dire, par l’ensemble de la communauté. Sans doute, plus que ma propre mère, c’est ma seconde mère, Yony Sow, qui m’a le plus initié aux traditions africaines, véritable puits de savoir et de science. C’est elle qui, le soir, nous disait des contes, nous parlait de l’histoire. Elle était d’un certain âge, donc d’une maturité plus grande que ma mère, qui aurait pu être sa fille. Yony Sow avait une grande expérience de la société africaine. Entre ces deux mères, j’ai grandi et vécu de la façon sans doute la plus riche et la plus affectueuse. »
Enfant, du Sahel, Mahtar va très tôt être initié aux travaux champêtres. « Je suis devenu un homme de la ville par hasard et par nécessité, si je puis dire. Je reste cependant profondément attaché à la terre. Au fond, je demeure toujours proche des paysans. C’est que je les connais. Je sais la difficulté de leur vie et les efforts qu’ils doivent consentir pour tirer les moyens de leur subsistance d’une nature ingrate. Oui, j’aime la terre, j’aime la plante »
Dès l’âge de 5 ans il commença, comme tous les enfants du Sahel, à s’initier aux travaux de la terre. Progressivement, il apprit à semer, à labourer, à ramasser la récolte, à conduire les animaux aux pâturages… Il le fit tant qu’il vécut à Louga, jusqu’à l’âge de 15 ans. De ces diverses expériences, Amadou Mahtar M’Bow tira de nombreuses leçons, des maximes d’action pour la vie. Il apprit en premier lieu à connaître la nature. Il apprit surtout, « étant donné la rudesse de la vie au Sahel, l’endurance, la constance dans l’effort. En somme, ne jamais relâcher l’effort pour pouvoir obtenir quelque chose de la nature ». Ces travaux de la terre furent aussi, pour Amadou Mahtar M’Bow, l’occasion de comprendre le sens de la fraternité et de la solidarité sociale. L’enfant découvrit qu’on n’était pas seulement responsable de soi-même, mais aussi des autres. Il en tira également une magistrale leçon d’humilité, qui lui apprit, à lui et à tous ceux de son âge, à avouer leur ignorance, à comprendre leurs limites, afin d’être mieux à même d’apprendre pour pouvoir toujours mieux faire.
C’est à Louga que le jeune Mahtar Mbow va grandir en compagnie de son cousin Doudou Gueye Nago et de Assane Diop Pathé. Amadou Mahtar M’Bow se souvient surtout de son cousin Doudou Guèye Nago, qui vivait avec lui dans la maison de Fara N’Diaye M’Bow et d’Assane Diop Pathé, qui habitait chez sa grand-mère à Louga mais dont les parents vivaient à Saint-Louis. Malgré le fait que Doudou Guèye et Assane Diop Pathé étaient un peu plus âgés qu’ Amadou Mahtar M’Bow, les trois enfants avaient pu lier une très grande amitié qui se poursuivra et se consolidera tout au long de leur vie.
Au moment où, à 6 ans, Amadou Mahtar M’Bow se préparait à entrer à l’école coranique, il ne parlait pas que le wolof, sa langue maternelle. Il avait aussi quelques notions de hassanya — version mauritanienne de l’arabe — et de peul. À Louga vivaient en effet beaucoup de Maures et de Peuls. Certains membres de la famille du petit Amadou Mahtar M’Bow parlaient couramment l’une ou l’autre de ces langues. « A cette époque, se souvient aujourd’hui Amadou Mahtar M’Bow, la tradition était très forte. Nous avons été élevés avec une très grande affection, mais aussi dans une certaine discipline de vie. Toute notre éducation tendait à nous ancrer solidement dans les valeurs culturelles de notre communauté, à nous donner le sens des responsabilités vis-à-vis de celle-ci, comme de surcroît à nous faire mieux connaître le milieu culturel et les réalités les plus profondes de la société. Cette éducation n’était pas donc le fait de la famille seule, même si celle ci en était le pivot central et en assumait le rôle essentiel. Toute la collectivité se sentait concernée. Et où qu’on aille, l’enfant était tenu de respecter un certain nombre de règles. Celui qui, en l’absence de ses parents, commettait un acte considéré comme contraire aux bons usages de la société, était immédiatement rappelé à l’ordre, sinon corrigé par les autres adultes. S’ils considéraient la faute suffisamment grave, ils en avertissaient le père du récalcitrant. Dieu merci, en ce qui me concerne personnellement, cela ne m’est jamais arrivé… Nous vivions donc dans une ambiance telle que l’enfant ne se sentait jamais seul. Le droit de regard que la collectivité avait sur lui le protégeait et lui assurait une certaine sécurité. Cela est important, car je crois que l’enfant a besoin non seulement de bien-être matériel, mais aussi d’affection et surtout de sécurité. Or cette affection et cette sécurité, nous les trouvions tout au long de notre existence, auprès de tous les aînés, dans et hors du cadre de notre milieu familial. — Donc époque d’une éducation proprement africaine ? — Oui, c’est exact. On nous apprenait l’histoire traditionnelle et récente du pays, les contes, les chants, les devinettes, etc. On essayait vraiment de faire en sorte que nous assumions l’identité profonde du peuple auquel nous appartenions. Et ça, c’est un fait d’une très grande importance. C’était l’enracinement, mais l’enracinement à la fois intellectuel, spirituel, moral, matériel aussi, car nous devions connaître le milieu ambiant et tous les aspects pratiques de la vie. C’est l’âge où se forme la sensibilité, l’âge où se jouent la plupart des choses qui déterminent la vie d’un homme : l’enfant s’enracine ou ne s’enracine pas, devient stable ou à jamais flottant. Bien des choses se décident à cette période de l’enfance. »
« C’est à partir de l’école coranique que commence la prise de conscience des faits religieux fondamentaux. Par l’apprentissage du Coran — en arabe naturellement —, vous apprenez le message coranique, quoique, au départ, on soit astreint au seul travail de mémorisation. C’est plus tard qu’on vous apprend, progressivement, à comprendre le sens des textes appris par cœur. L’école coranique est d’abord une école d’imprégnation religieuse, d’exercice de la mémoire, de compréhension des textes sacrés, de gymnastique intellectuelle. C’est ensuite une école de discipline parce qu’on est obligé de s’asseoir et d’apprendre par cœur pendant des heures. Elle permet aussi de resserrer les liens de solidarité et d’amitié entre les jeunes. Il y a une autre chose qu’on nous enseignait à l’école coranique : l’humilité. Nous devions, une fois par semaine, aller demander l’aumône pour le maître. C’était une tradition à laquelle nul ne devait se dérober. Nous le faisions par groupe de deux ou trois enfants. Nous allions de maison en maison en récitant des versets du Coran, et les habitants nous donnaient des vivres que nous apportions au maître. Personne ne pouvait se dérober à une telle pratique et aucun parent si aisé qu’il soit n’aurait été tenté de dispenser son enfant de cette quête. »
Amadou Mahtar M’Bow entre à l’école française également et eu pour maitre Amadou Fall avec qui il restera attaché.
« Amadou Mahtar M’Bow, qu’avez-vous à dire aujourd’hui sur votre premier maître, Amadou Fall ? — C’était un homme d’une intelligence extraordinaire, assez sévère, mais qui nous faisait travailler de façon admirable. Le souvenir que j’ai gardé de lui est excellent. Après mes études en France, je suis retourné quelquefois le voir. J’ai toujours eu une très grande affection pour lui. Je pense qu’on reste toujours très attaché à son premier maître. »
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