L’histoire d’une chanson: « Kaaro Yàlla » le Chef d’oeuvre de Khar Mbaye

Le chef d’œuvre « KAARO YÀLLA » de Fatou Khar Mbaye plus connue sous le nom de Khar Mbaye Madiaga ( avec en featuring le Super Étoile de Youssou Ndour). Hommage au lutteur Mbaye Gueye le Tigre de Fass qui vient de tirer sa reverence.

« Bayileen sen yaaba ji te laale, laaley baaxu goor,
bu doon lambi jigéen sax jeex na
Lámb bu ca goor nekkul, jigéen a ko moom »

À chaque fois que j’entends Khar Mbaye Madiaga chanter, sa voix déclenche en moi pléthore d’émotions fortes pour ne pas dire le frisson musical. Son chef-d’œuvre « Kaaro Yalla » m’a fait savoir que la musique n’adoucit pas uniquement les moeurs, elle peut faire aussi du bien à notre cerveau ou être un dopage naturel en produisant un « cocktail émotionnel » qui booste nos ressources cognitives, notre résistance mentale et notre courage pour nous inciter à se surpasser. Cette merveille nous replonge dans l’Afrique des profondeurs, l’Afrique des veillées nocturnes pour égayer et galvaniser les troupes qui devaient monter, le lendemain, au front.  On peut dire que si c’était dans d’autres pays, comme les USA, on aurait à coup sûr honoré la chanson de la cantatrice rufisquoise pour sa contribution unique et distinguée à la culture sénégalaise. Ce chef-d’œuvre est un trésor national.

Khar Mbaye Madiaga est indubitablement l’une des plus grandes voix de la musique traditionnelle du Sénégal. Ses chansons sont profondément ancrées dans le paysage culturel sénégalais. Garante de cet héritage, la griotte est devenue une légende vivante, une dépositaire du patrimoine oral Wolof, que les grands noms de la musique sénégalaise n’hésitent pas à consulter. Sa belle voix éraillée est devenue une marque de fabrique unique et inimitable qui ne laisse aucun sénégalais indifférent. D’après Alassane Seck Guèye (Témoin, SenePlus), l’enseignant-chercheur Khadim Ndiaye pense que « Khar Mbaye est l’une de nos grandes cantatrices qui nous rappellent que nous avons un riche patrimoine culturel. Sa voix unique, reconnaissable entre mille, apporte du baume au cœur et nous plonge dans nos traditions les plus reculées. Sa tenue vestimentaire ancrée dans le terroir, sa noirceur d’ébène, nous rappellent le Sénégal des profondeurs. Elle mérite amplement le titre d’ambassadrice et de représentante d’un grand pan de la culture sénégalaise ».
Née dans une famille de griots, Khar Mbaye Madiaga a vu le jour à Rufisque où elle a commencé à chanter dès l’âge de cinq ans.

Khar, la rufisquoise, un trésor humain vivant

Imprégnée des grandes voix de la musique traditionnelle Wolof et Lébou depuis toute petite, celle qui a appris à chanter dans les arènes de lutte sénégalaises en montant sur un tabouret et a baigné dans la littérature orale Wolof, entre Rufisque et Dakar, a commencé par chanter des classiques aux côtés des grandes voix de l’époque avant d’entamer une carrière sous son nom. Des années plus tard, elle gravira tous les échelons de la notoriété, en composant ses propres chansons et revisitant les standards de la musique traditionnelle des Gawlo mais aussi les classiques de la chanson traditionnelle Wolof.

Toute petite, celle qui a fait les beaux jours de l’Ensemble lyrique traditionnel du Théâtre Sorano sillonnait déjà les manifestations culturelles et sportives, les rituels initiatiques et les événements festifs, tels que les sabar, les kasak, les mbappat, les mariages, les simb sous la direction de son oncle Babacar Mbaye Kaba qui l’aidait à se perfectionner. « Depuis toute petite, à l’occasion des « Mbappat » (séances de lutte nocturnes) dans les quartiers à Rufisque, notamment à Thiawlène et à Dangou. « À l’arène Makhary Thiam alors que Bassirou Diagne (Ndlr : l’ancien Grand Serigne de Dakar rappelé à Dieu) était seul à organiser des combats de lutte, il m’arrivait de jouer là-bas avec Fa Mbaye Diop et Diabou entre autres », disait – elle dans une interview accordée à Sunu Lamb et rapportée par Alassane Seck Guèye (journal Le Témoin).

La jeune Khar sut très tôt que pour bien chanter, il faut, au préalable, maîtriser certaines techniques vocales. C’est juste pour dire que si vous pensez que la diva Khar n’a aucune notion des techniques vocales, c’est mal la connaître. Détrompez-vous ! D’ailleurs elle dira quelques années plus tard lors d’une interview rapportée par Sunubuzz ceci: « Il y en a qui chantent bien (elle parle de la jeune génération de chanteurs sénégalais, NDLR). mais ils doivent se perfectionner et se rapprocher des anciens. Car la chanson, c’est comme des marches d’un escalier, elle doit suivre cette trajectoire. C’est comme cela qu’on chante, mais pas n’importe comment. Mais puisqu’aujourd’hui c’est cette façon qui est en vogue et qu’en tant qu’ancienne nous n’avons pas les moyens pour corriger cela, nous ne pouvons qu’endurer cela. Si une chanson ne contient pas le « mbaar », le « jolli », le « mbëfër » ou encore le « mbépp »(les techniques vocales dans la sphère culturelle Wolof, NDLR), ce n’est plus une chanson. Avant de chanter, il faut connaître tout ça. C’est comme dans les orchestres chez les occidentaux. Ils ont devant eux une feuille sur laquelle ils lisent les partitions. C’est la même chose que ce que j’ai dit plus haut en wolof ».

La diva fustige aussi par ailleurs l’attitude de certaines chanteuses-communicatrices traditionnelles qui vont aujourd’hui dans les arènes juste pour quémander en entonnant des airs festifs qui n’ont rien à voir avec les chansons traditionnelles de lutte. Pour la cantatrice rufisquoise, dans l’arène on ne doit entonner que des chansons de lutte, mais rien d’autre. Khar Mbaye Madiaga est l’une des rares chanteuses qui ne font l’éloge de personne durant les combats de lutte. Tous les spectateurs assidus des arènes de lutte sont unanimes là-dessus. Elle a toujours préféré entonner ses chants de lutte pour galvaniser les lutteurs afin de respecter les normes traditionnelles de la lutte et en même temps de rester sur son objectif qui est d’inciter les lutteurs à se surpasser. N’est-ce pas Amadou Hampâté Bâ qui disait: « il n’y a pas une seule chansonnette que ce soit pour s’amuser au clair de lune ou pour bercer un enfant, qui n’ait son sens et son objectif ». La diva Khar déplore beaucoup le fait que la lutte est en train de perdre quelques aspects de ses valeurs traditionnelles. Ainsi, avec sa maitrise des techniques vocales traditionnelles, l’ancrage de ses chansons dans la pure tradition Wolof et le respect des valeurs traditionnelles de la lutte sénégalaise, il n’est pas étonnant de voir Khar Mbaye Madiaga composer le plus célèbre hymne à la bravoure jamais dédié à la lutte traditionnelle sénégalaise.

Kaaro Yalla, un hymne à la bravoure

« Je constatais parfois que les combats avaient tendance à trop durer. Comme par magie, j’ai pris le micro à l’occasion d’un grand combat qui avait drainé beaucoup de monde pour entonner cette chanson. C’est pourquoi, je dis dans la chanson: même si c’était un combat de femmes, c’était terminé, depuis. Les gens ont aimé et les griots l’ont adopté depuis lors et ils n’hésitent pas à le reprendre. La chanson servait à inciter les lutteurs à se donner à fond. Tapha Gueye le dit souvent que lorsqu’il entend la chanson, il se transforme en un lion. Cette chanson, c’est ma propriété », avait-elle déclaré un jour dans une interview accordée à Sunu Lamb, faisant écho à d’autres propos tenus dans les colonnes du journal « Le Soleil », quand elle a dit: « un jour, j’ai dit à Moustapha Guèye « li ngay def, bu doon lambi jigéen sax jeex na » (même un combat entre femmes n’aurait duré autant). Il m’a répondu : «Chaque fois que j’entends résonner ce refrain, quand je suis dans l’arène, je me sens comme un lion».

C’est comme au temps des royaumes, on faisait les louanges des guerriers, c’est la même chose dans l’arène. Il faut fouetter l’orgueil du lutteur. C’est le cas dans la chanson quand je dis: « bayileen sen yaaba ji te laale, laaley baaxu goor » (arrêter le balancement des bras et aller au corps-à-corps). C’est cela la preuve de la virilité. Tout homme qui entend cela, s’il a du courage, il se surpasserait. Au lieu de cela, on entend aujourd’hui dans l’arène des choses qui n’ont rien à voir avec le milieu de la lutte ». Dans ce sens, il faut reconnaître que certaines chansons peuvent booster facilement le moral car le simple fait de les écouter est une grande source de motivation et d’exaltation qui peut changer toute une vie, le cours des choses ou une destinée, avec de la force, de l’énergie et surtout de la bonne humeur. Et « Kaaro Yalla » de Khar Mbaye Madiaga est de celles-là.

À l’instar du champion de lutte Moustapha Guèye, la légende Boy Bambara avait dit, à propos du chef-d’œuvre de Khar Mbaye, au journaliste Omar Sharif Ndao ceci: « Quand je pénétrais dans l’enceinte du stade, quand Khar Mbaye, Ndèye Ngom Bambilor ou Seck Ndanane enchaînaient avec le Khaaroo Yalla, j’étais comme dopé. Bassirou Diagne (Grand Serigne de Dakar) incitait même les griots à ne pas chanter le refrain si je devais affronter ses lutteurs. N’empêche, les premières notes m’avaient déjà transformé. Le refrain était un dopage naturel pour moi. Quand j’entendais les sonorités, il m’arrivait de terrasser 20 lutteurs dans la soirée. Avant même de fouler le stade, je ne pouvais retenir mes larmes. C’est comme si j’allais en guerre sur mon cheval et qu’on chantait mes louanges. C’est fort ! Dommage que les jeunes ne le comprennent pas. Maintenant, on ne sait plus qui est qui (un extrait du livre sur la lutte sénégalaise, du journaliste Omar Sharif Ndao) ».

Pour dire qu’aujourd’hui, bien des choses d’antan sont perdues mais avant, aucun lutteur des arènes de lutte sénégalaises ne pouvait résister à la légendaire chanson « Kaaro Yalla » car la grande cantatrice Khar, qui a appris à chanter dans les arènes de lutte savait pertinemment, mieux que quiconque, qu’un lutteur avait toujours besoin d’être égayé et encouragé. « Un lutteur, il faut l’inciter, l’exalter. Les jeunes Chanteurs d’aujourd’hui, ne peuvent galvaniser un lutteur pour le pousser à se surpasser et aller chercher la victoire sur son adversaire », disait-elle à un journaliste à travers les colonnes du journal « Le Soleil » ».

Mbaye Gueye Tigre de Fass

L’histoire d’une chanson: « Kaaro Yàlla » le Chef d’oeuvre de Khar Mbaye, Information Afrique Kirinapost

Mbaye Gueye

Le chef-d’œuvre « Kaaro Yalla » de la légende vivante Khar Mbaye Madiaga ne laisse personne indifférent, grâce à son timbre de voix unique et captivant, véhiculant une force envoûtante qui impose des émotions fortes, profondes et passionnées qui peuvent inciter n’importe quelle personne qui a du ressenti de monter en puissance pour atteindre son objectif. Une pensée pieuse pour Moustapha Ndiaye, présentateur vedette de l’émission «sport de chez nous» qui était l’émission phare de la lutte à la télévision nationale sénégalaise (RTS).

Une pensée pieuse aussi pour Mbaye Guèye, le premier Tigre de Fass qui vient de nous quitter ( vendred soir) à l’age de 75 ans. Avec sa disparition, c’est tout un pan de la lutte traditionnelle sénégalaise qui disparaît à jamais. Mbaye Gueye est le premier lutteur à toucher un cachet d’un million de FCFA pour combattre. Il est celui ui a fait entrer la lutte au stade Demba Diop. Il est enfin la premiere grande star de l’ère moderne de ce sport. Merci pour tout, Moustapha Guèye, le 2e Tigre de Fass (2e du nom, le 1er étant son grand-frère Mbaye Guèye)

« Tout ce que j’ai appris et fait dans la lutte, je le dois en grande partie à mon frère Mbaye Guèye », dixit Tapha Guèye. Ainsi à défaut d’avoir des images télévisées des grands combats de Mbaye Guèye, il faut se contenter des images de Tapha Guèye pour comprendre un peu qui était Mbaye Guèye, le premier Tigre de Fass. Les anciens disent qu’il était plus habile et technique que son petit-frère Tapha. Mbaye et Tapha, deux tigres deux légendes ! RIP champion !

Vidéo: La première version moderne de la chanson « Kaaro Yàlla » avec Khar Mbaye Madiaga accompagné par le Super Étoile de Youssou N’Dour / Année: 1982 / Production: Touba Auto K7 de Mass Diokhané.

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Mamadou Sekk est un passionné de culture et de musique africaine. Il est l'initiateur du Berger Des Arts (Gaynaako Ñeeñal) The Shepherd Of Arts et Festival Blues D'Afrique / Assoc. Le Berger Des Arts est dédié à la collecte, la conservation, la mise en valeur et l'interprétation des musiques du monde, sous-estimées ou en péril, qui ont contribué à la naissance du Blues afin d'éviter leur disparition.

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