TANGANA SUR TEFES:Quand la marche devient littérature et celle-ci Nature (2)

Alassane K. KITANE • Quand TANGANA SUR TEFES vous décrit la vadrouille des porcs, comprenez qu’il stigmatise également l’insouciance des hommes qui, même s’ils prétendent en être les maîtres, se comportent parfois de façon pire. Le wolof ne dit-il pas « mbaam djiko la » ? Essentialiste, dans sa vision du monde, le wolof pense que les mots renvoient à des essences : l’âne désigne davantage une façon d’être, une habitude, un comportement, qu’une espèce !

Oxymore jusque dans les réalités historiques : il fut en temps où « les cochons étaient utilisés pour le nettoyage des rues de Paris. Un animal sale chargé de la salubrité d’une ville en devenir ». Quelle belle image qui parle aux Sénégalais que nous sommes, sauf que nos villes ne semblent point en devenir, tout est ici figé ! Dakar n’est toujours pas comme… Belle suggestion du reste pour un pays qui pleure et étouffe à cause de l’insalubrité : la saleté peut effectivement mettre fin à la saleté, il faut juste que cela passe par la médiation de l’esprit et de la volonté politique. Si les sérums sont généralement faits à partir des microbes, pourquoi la saleté ne devrait-elle pas être transformée en énergie capable de l’incinérer et de transformer  ainsi la boue en or ?

Ceux qui doutaient que le sens, l’image et le mot sont la même chose dans l’art n’ont qu’à commencer à lire TANGANA SUR TEFES :

« Kloungh-kilng-kloungh

Kingh-kongh-klingh-kloungh

Kloklo-klok—lingh…

Klingh-klingh, kokokok

Koulouloungh-lounhg-koungh

Kingh… lingh-lingh… (Ceci n’est pas à lire, mais à entendre comme un long Kloung-loungh) ».

Sauf que chez vous Monsieur l’artiste, entendre, c’est également une façon de lire. Voilà pourquoi ce livre est en même temps aussi un film (cinéma ou théâtre) : lire ce livre, c’est aussi regarder, entendre, toucher, rire, être triste, etc., afin de penser. Au-delà de la belle chorégraphie des mots, il se susurre ici une anomalie de l’évolution ou d’une évolution ratée : les comportements et ustensiles de la campagne ont accompagné les hommes dans leur exode vers la ville. Le petit pilon et le petit mortier en aluminium (pour malaxer le fameux roof) se parlent et nous parlent. La pollution sonore est devenue une habitude, ça ne gêne d’ailleurs plus, elle habite chez nous ou plutôt en nous-mêmes : le bruit et nous faisons désormais une seule et même entité.

La culture doit être partout. Elle doit être le levier de nos actions les plus quotidiennes. Ce qui n’est pas cultivé est contre-nature chez nous les humains. Les posts de Ngaïdé, comme chaque ligne de son livre TANGANA SUR TEFES, ont ceci de particulier que, comme le fait tout bon artiste, le phénomène le plus anodin est élevé à la dignité de l’universel par la pensée. N’avez-vous pas remarqué que par la description exacte de l’abattage du cochon, c’est le procès de toute la relation entre l’homme et la bête qui est finalement fait ? N’avez-vous pas remarqué qu’en ironisant sur la mort de Philippe, fils ainé et héritier de Louis VI le Gros, roi de France, l’auteur nous rappelle notre ultime insignifiance par-delà nos titres et conditions ? Un prince qui meurt après avoir chuté d’un cheval apeuré par un cochon lui-même pris de peur… Quel précieux message adressé à la vanité humaine !

 

 

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