FEMININS EN RECONSTRCUTION

Quelques réflexions datées, notamment la chronologie dépassée fondée sur le pré-colonial inopérant entre autres … Bonne lecture. Extrait des archives Afrikara.com, 08/03/2006,

Alors que la vision manichéenne des sociétés primitives et des sociétés développées n’avait pu envisager les peuples extra-européens que comme des étapes antérieures et archaïques de sociétés européennes développées, les questions de rapports de genre, précisément de la place sociétale de la femme en ont été spontanément formulées suivant l’expérience historique occidentale propre.

L’émancipation de la femme en occident, devenue une nécessité tardive de la modernité structurale des sociétés capitalistes, ne pouvait dans l’esprit des savants européens que jurer avec l’apriorique inhumaine condition féminine ailleurs, en Afrique et dans les mondes afro-descendants singulièrement.

Depuis les fronts pionniers des anthropologues, ethnologues et autres missionnaires ayant caricaturé la femme extra-européenne, concentré de servitude, esclave domestique plus ou moins volontaire vivant son statut avec plus ou moins de violence physique, l’effondrement des bases de l’ethnocentrisme européen a libéré un regard relativement distancié de l’expérience du monde blanc. C’est avec une surprise paradoxale que les faits d’histoire relayant une réalité encore souvent palpable ont mis en exergue en Afrique et ailleurs un féminin en contrepoint des images coloniales, aux antipodes des caricatures évangélisatrices. Un vécu souvent socialement organisé au sein d’entités, communautés, villages et villes, indépendamment du genre, manifestant des réussites humaines remarquables dans les performances des civilisations sur le terrain du partage harmonieux des responsabilités de sexes.

En effet aussi longtemps que l’on remonte dans les faits, la mémoire collective africaine, les mythes originels et les traditions populaires, il est difficile de ne pas voir un réel prestige reconnu aux uns et aux autres genres, hommes et femmes. Qu’il s’agisse de la sphère politique où des femmes ont marqué l’histoire africaine pré-coloniale, coloniale et contemporaine, reines, gouvernantes, ou résistantes, qu’il s’agisse de la direction des affaires religieuses commandant le rapport entre le monde des vivants et l’au-delà, ou qu’il s’agisse de l’action économique, des institutions sociales, la contribution féminine dans les nations africaines n’a souffert d’aucune dilution, au contraire. Ce n’est que logique dans des civilisations qui à l’orée de la création, dans les explications des origines des dieux, du monde, ne choisissent pas de primauté des sexes, préférant des divinités hermaphrodites, des déesses reines mères, veillant sur des rois régnants etc.

La figure du féminin dans les sociétés africaines et afro-descendantes présente à bien des égards des caractéristiques post-modernes, que l’on retrouve depuis les mythologies antiques égypto-nubiennes jusqu’aux cosmogonies contemporaines. Il est surprenant de voir que à l’opposé des sociétés dominées par les religions dites du livre, où le culte est affaire masculine, inimaginable au féminin encore de nos jours -confère la question de l’ordination des femmes prêtres ou pasteurs chrétiens…- les religions africaines n’ont jamais discriminé le féminin par essence, même si tous les cultes traditionnels ne se sont jamais réduits à un modèle uniforme de place des genres. Il demeure que les femmes sont prêtresses, adeptes de cultes africains au même titre que les hommes, elles sont oracles ou autres offices de médiumnité autant que leurs homologues masculins. Ce trait de civilisation est majeur car les peuples ont historiquement considéré sacré le rapport à l’au-delà, et le fait de l’indifférence de genre dans la manipulation du sacré traduit une conception très libre, élevée et spécifique de l’humain.

Il découle de cette conception de l’humain -complexe- que si le genre n’intervient pas dans l’essence du rapport à l’immatériel, lui-même au fondement de la création humaine, alors il serait anormal que dans la gestion des choses temporelles s’imposent de façon immuable des barrières insurmontables de sexe. Ainsi, rien de surprenant à ce que la personnalisation de l’humain dès ses premiers pas terrestres soit marquée indifféremment du genre masculin ou féminin. Bien des peuples africains nomment les enfants par le patronyme d’un parent de genre féminin, mère, tante, grand-mère… On rencontre d’ailleurs des enfants de sexe masculin qui portent des noms considérés comme typiquement féminins. Comparativement, les nations européennes s’ouvrent à la possibilité d’usage officiel des noms de jeune fille ou de famille maternelle au soir du 20ème siècle. Antédiluvienne pratique africaine !

Sur le terrain socio-économique, le rôle des femmes entrepreneurs en Afrique de l’ouest -pour les exemples les plus médiatiques- a fait le tour des revues spécialisées, on découvre médusé que la féminisation du monde du travail qui traduit une évolution structurelle contemporaine des sociétés occidentales est en partie derrière les sociétés africaines… qui ont quelque fois tendance à l’oublier, lancées à course perdue dans un ruineux mimétisme des archaïsmes des Blancs… Femmes exportatrices, importatrices, commerçantes, africaines parcourant les marchés de Chine, de Hongkong ou de Taiwan, une presque vieille histoire.

Femmes artistes, muralistes d’Afrique australe, tisserandes, potières, peintres, autant d’images que l’Occident ne vivra dans sa propre expérience qu’au prix de luttes acharnées de femmes, individuellement ou organisées autour d’idéologies émancipatrices…

Et des figures emblématiques de traduire cette élaboration toujours provisoire mais réelle d’une relative harmonie des rôles et postions de genre, que reflète une expérience historique significative des mondes africains et afro-descendants : de Harriet Tubman à la reine Nzinga, de Chimpa Vita aux amazones du Bénin, de Makeba aux prêtresses vaudou inséparables des insurrections des esclaves, autant d’autres encore à l’échelon local, villageois, communautaire.

Contrairement aux illusions contemporaines, ce n’est pas l’esthétique qui constitue, ou qui a constitué par le passé le refuge d’un féminin retranché dans l’accessoire et l’enjoliveur surnuméraire de la vie sociale africaine. L’esthétique, souvent signe et écriture sociale en même temps que graphie et plastique du beau, n’est devenue chose de femme qu’avec l’impact des religions colonisatrices, chrétiennes principalement. Hommes et femmes historiquement accordaient un soin particulier aux tresses, bijoux, maquillages, moulages des corps, signes de statuts, d’image de soi, de distinction, autant qu’amulettes protectrices, idéogrammes ou pictogrammes.

Les régressions propres aux régulations africaines, incapables de faire face aux ruptures imposées par les changements brusques ordonnés par les évolutions militaro-techniques, mentales, économiques de peuples conquérants, ont explosé en de nombreux lieux, les acquis des rapports de genre africains.

La représentation de la femme n’a pas résisté aux intrusions chrétiennes, musulmanes, à la subversion des structures sociales imprimant une division du travail esclavagiste puis coloniale aux sociétés africaines et afro-descendantes. Une pression à la spécialisation dans le rôle de reproduction biologique et éducationnel, une résolution inique des compromis du travail forcé des hommes et de la nécessité des travaux agraires et domestiques se sont ossifiés au sein de sociétés africaines qui ont altéré avec le temps leur vision de la femme et de son statut…Tout en gardant des symboliques et des parcelles de libertés parfois paradoxales.

Le prestige de genre, voulu historiquement partagé, du fait de l’essence humaine des êtres comme créatures vivantes et pas d’abord comme sexes, a subi le règne arbitraire que les prédations locales des sociétés traumatisées et déstructurées ont sur-répercuté sur l’apparent faible, sexe dit faible. A telle enseigne que des contradictions inimaginables perdurent entre des statuts sociaux quelques fois en régressions pures, et des mythes, traditions orales, rites rémanents qui eux accordent à la femme une intouchable préséance.

Reconstruire ces harmonies de genre que les cosmogonies, les croyances, les mythologies et l’histoire des faits africains ont  démontrées est à la fois un défi très largement féminin, puisque de facto la responsabilité sociale et immédiate de la reproduction [ou de la subversion] des valeurs lui échoit ; c’est tout aussi une tâche collective de civilisation à relever puisqu’il en est des rapports de genre, du type de féminin, comme il en est de l’identité à-revenir des Africains et Afro-descendants.

C’est ce féminin qui est dans le sens de l’histoire aussi, en devoir de régénérer le mouvement, la question étant par-delà le sexe, celle de la survie collective en tant qu’espèce, peuple, culture, civilisation.

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Martial Ze Belinga est un économiste et sociologue camerounais. Son travail porte spécifiquement sur l’épistémologie de l’histoire africaine, les préjugés et les silences qui biaisent la compréhension du passé de l’Afrique et des diasporas africaines. L'art et la culture tiennent une place centrale dans son travail. À ce titre il est l'auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels: "Au-delà de l’inculturation. De la valeur propositionnelle des cultures africaines". Pour l'économie, ses travaux ont beaucoup porté sur la monnaie notamment le FCFA. il est l'auteur entre autres de: "Afrique et mondialisation prédatrice". Expert associé au comité scientifique international de l’UNESCO pour l’Histoire générale de l’Afrique, Belinga est éditorialiste et avait lancé le site Afrikara dédié à l'histoire, la culture et l'avenir du monde noir. Il a été par ailleurs sélectionné parmi les 20 « Experts » représentatifs de la diversité (Club XXIe siècle, France)

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