L’ancien Président de International Association of Athletics Federations, (IAAF), Lamine Diack a comparu le 8 juin dernier à Paris pour abus de confiance, en plus des charges de corruption et de blanchiment. Les procureurs devant la 32ème chambre correctionnelle du tribunal ont requis 4 ans de prison et 500 000 euros d’amende contre le sénégalais. Le délibéré pour ceux que ça intéresse est fixé au 16 septembre prochain. Si rien n’est fait, il échappera difficilement à une condamnation tant ce qui se joue, en vérité, dépasse la personne de Lamine Diack.
Arrêté le 15 novembre 2015 alors qu’il se trouvait sur le sol français, Lamine Diack, est depuis lors interdit de sortir du territoire. Son fils Pape Massata Diack consultant marketing de l’IAAF est aussi accusé mais n’a pas souhaité se rendre en France (le Sénégal n’extradant pas ses citoyens, sur ce point l’Etat s’est montré ferme). Le procès, un premier temps renvoyé en janvier dernier a pu se tenir début juin. De toutes façons, de tous les inculpés, seul Lamine Diack est présent au tribunal dans cette affaire de corruption et de dopage aux ramifications mondiales.
Valentin Balakhnitchev et Alexei Melnikov, respectivement chef de la Fédération d’athlétisme de la Russie et entraîneur d’athlétisme du même pays au moment des faits, accusés de dissimulation de dopage devaient être également présents. Les français Gabriel Dollé, ancien responsable de l’antidopage à l’IAAF, Pierre Yves Garnier responsable du recueil des données des passeports biologiques et des expertises et Thomas Capdevielle, chargé des aspects réglementaires sont inculpés. Seulement, Garnier et Capdevielle ont été extirpés de la procédure, quant à Dollé, il est surtout utilisé comme témoin à charge contre les sénégalais.
Lamine Diack est-il coupable des faits qui lui sont reprochés ? Posé ainsi, le problème ne permet pas d’avoir une réponse claire nette et précise eu égard aux enjeux multiples qui entourent la vie de ces instances sportives mondiales. Nous l’avons vu dans les affaires dite Fifagate, cette enquête portant sur des soupçons de corruption au sein de la Fédération internationale de football en 2015. Le Fifagate part d’une enquête du FBI américain sur des soupçons de corruption sur une période de 25 ans portant principalement sur les conditions d’attribution de plusieurs coupes du monde ainsi que sur des contrats de marketing. Neuf responsables de la Fifa dont Sepp Blatter et Michel Platini sont arrêtés ou inculpés. Ces deux derniers ne sont toutefois pas en résidence surveillée ou interdits de sortie de territoire.
L’ancien président du Sénégal Abdoulaye Wade qui comprend parfaitement les réalités géostratégiques a clairement apporté son soutien à son compatriote et n’eut été la fermeture des frontières aurait surement remis sa robe d’avocat, malgré le fait que Lamine Diack a soutenu les assises nationales et son opposition du temps où il était au pouvoir. » Si l’Etat est incapable de protéger son enfant, je le ferai » avait-il dit magnanime.
Pour Boubacar Seye, Président de l’ONG Horizons Sans Frontières la première question à se poser sur ce procès est pourquoi la France se donne subitement des compétences universelles pour juger un ressortissant sénégalais dirigeant d’un organisme international ? Pour lui, la réponse est simple : il est plus facile de taper sur un dirigeant d’origine africaine et en faire un bouc-émissaire.
Quand un dirigeant français, américain, ou russe, se retrouve face à une telle tentative d’humiliation, il est protégé. Une certaine presse occidentale, s’en est donnée à cœur joie. Malheureusement, souvent relayée par des médias sénégalais. Il n’est évidemment pas normal que la presse sénégalaise ait le même angle de traitement que celle occidentale.
Il est intéressant de voir l’appui que les médias français, la classe sportive et politique dans son unanimité ont apporté à Michel Platini quand il a été inculpé dans le Fifagate.
Âgé de 87 ans, Lamine Diack est un ancien athlète et un ancien dirigeant sportif de haut-niveau. Major de sa promotion, il fit un parcours remarquable en tant qu’inspecteur des impôts. Lamine Diack a participé activement à l’organisation du sport sénégalais post indépendance et est à l’origine de l’ambitieuse réforme Diack sur le football. Homme charismatique et compètent, Lamine Diack est ce que l’on appelle une icône. Alors lorsque certains quotidiens reprennent à leur Une les propos de l’avocat de l’IAAF on ne peut être que choqué. L’avocat, c’est normal est sans doute dans son rôle mais pas ces médias.
En devenant Président de l’IAAF en 1999, en remplacement de l’italien Primo Nebiolo décédé, Lamine Diack trouve un sport dominé par les américains et les européens qui organisent les grandes compétitions et qui abritent les meetings. Dès son arrivée, il tente avec bravoure et réussite d’ouvrir davantage l’athlétisme aux pays du sud, de l’Est et à la Chine. Le Sénégal avec le Centre d’Athlétisme de Dakar bénéficiera de cette politique audacieuse. Beaucoup de pays en profiteront. Lors de sa réélection comme président de l’IAAF le pour un mandat de quatre ans, il reçoit un véritable plébiscite ( avec 173 pays) . La Chine et la Russie gagnent au nez et à la barbe des occidentaux, l’organisation de grandes compétitions qui permet évidemment à ces pays de montrer leur savoir-faire et faire rêver. Pour beaucoup, ce procès est une excroissance, peu ou prou, de la guerre d’influence que se livre les pays puissants.
En attendant, il est impératif, de changer les paradigmes du traitement de l’information. On ne peut se limiter à du copier-coller dans une affaire mettant en cause, en Europe ou ailleurs, un enfant du pays ou du continent. Dans une récente interview au journal Jeune Afrique, Paul Kagamé le président rwandais a donné une piste de réflexion sur la nécessité de repenser notre estime de soi et faire prévaloir un regard africain sur les affaires du monde.
« Jeune Afrique: Que répondez-vous à ceux qui, en France, pensent que vous n’aimez ni leur pays ni leur langue en raison du rôle joué par certains responsables français pendant le génocide ?
Paul Kagamé : Je pourrais répondre à cette question par une autre : les Français aiment-ils les Rwandais et, si oui, pourquoi n’apprennent-ils pas le kinyarwanda ? Je ne vois pas qui est fondé à me demander ce que j’aime ou ce que je n’aime pas, encore moins à exiger de moi que je le considère comme mon supérieur et mon sauveur. Mon ADN, mon éducation, mes luttes, l’histoire de mon pays, celle de l’Afrique font que je n’accepte pas ce type d’injonctions. Cela m’a causé beaucoup de problèmes dans ma vie, mais je ne le regrette pas. Ce sont des problèmes… positifs. »
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