En plus d’un demi-siècle de fouilles, le royaume de Kerma (2500 à 1500 avant J.C.), au nord du Soudan, n’a pas encore livré tous ses secrets. L’hiver dernier, les archéologues suisses y ont mis au jour la tombe du premier souverain qui fit trembler l’Egypte des pharaons. Un article du journaliste de Radio Suisse Internationale et de swissinfo.ch Marc-André Miserez. Source: https://www.swissinfo.ch/fre
La puissance de Kerma s’affirme, et le commerce se développe. Pour autant, il ne semble pas encore y avoir de roi, on trouve plusieurs tombes riches de la même époque, comme si on avait des lignages en compétition.
Et tout d’un coup apparaît le premier roi
«La tombe découverte l’hiver dernier montre que la société franchit une étape décisive, poursuit l’archéologue. Alors que les plus grandes tombes jusqu’ici faisaient 5 mètres de diamètre, tout d’un coup, nous trouvons une fosse de 9 mètres. Alors que jusqu’ici, les crânes de bétail sacrifié déposés au sud des tombes étaient au plus au nombre de 50, cette première tombe royale en présente plus de 1400!»
L’analyse de la céramique a établi que nous sommes vers 2050 avant J.C., époque où l’Egypte commence à craindre son voisin du sud, mais aussi où les échanges entre les deux Etats explosent, comme le montrent les quantités encore plus grandes d’objets importés.
«Cette dimension du commerce va stimuler l’émergence d’une société très hiérarchisée, poursuit Mathieu Honegger. Et probablement que sur le modèle égyptien, il y a un homme fort qui s’impose. L’abondance des armes montre qu’il a dû lutter pour devenir l’interlocuteur de l’Egypte et contrôler le commerce, source de prestige et de richesse».
Prestige et richesse qui se retrouvent dans la tombe. Si les objets et le corps du premier roi ont disparu, les trous au sol indiquent que le centre de la tombe était occupé par une vaste hutte, réplique de celle qui occupait la place centrale de la ville. Mais elle n’était construite qu’à moitié, pour abriter la dépouille du roi, probablement momifiée naturellement par exposition à l’air libre (les Nubiens n’embaumaient pas leurs morts, contrairement aux Egyptiens). Les traces de pluie au sol sur la partie non couverte par la hutte montrent que la tombe est restée ouverte plusieurs mois, le temps pour tous les dignitaires du royaume, de venir, de la 2e à la 5e cataracte, rendre hommage et apporter leurs offrandes au défunt. On imagine les banquets funéraires qui ont dû se tenir à cette occasion, les têtes des animaux sacrifiés étant ensuite fichées dans le sol. 1400 crânes, cela fait pas mal de viande!
Et pour refermer l’arc de cercle formé par les crânes, on a érigé une fois la tombe recouverte de son tumulus une triple palissade de bois au nord, sans équivalent jusqu’ici dans la nécropole. Le tout formait un enclos funéraire de forme ovale, rappelant les enclos à bétail, autre signe de puissance et de prestige de ce premier grand roi d’Afrique noire, qui régnait sur une société profondément marquée par ses traditions pastorales.
Le Musée de Kerma, une initiative soudanaise, soutenue par la Suisse et désormais aussi par le Qatar. Construit dans un style qui rappelle la tradition nubienne, il a accueilli 35’000 visiteurs l’an dernier, dont seulement 1200 touristes étrangers. Les Soudanais y viennent volontiers en famille, pour découvrir leur histoire et leur patrimoine. Mathieu Honegger
Quand les pharaons noirs régnaient sur l’Egypte
Les alentours de l’an 1500 avant J.C. voient arriver sur le trône d’Egypte la 18e dynastie, fondatrice du Nouvel Empire, qui va marquer l’apogée de la civilisation des bords du Nil. Après que leurs prédécesseurs ont étendu leur autorité jusqu’aux confins de la Turquie actuelle, les pharaons Ahmoses, puis Thoutmôsis I et III conquièrent la Nubie. La ville de Kerma est rasée, le site ne sera plus jamais occupé, si ce n’est pas des nécropoles plus tardives. Les Egyptiens érigent à un kilomètre plus au nord la ville de Doukki Gel.
700 ans plus tard, au terme d’une période sombre, sur laquelle vestiges et témoignages sont rares, le royaume de Koush renaît, avec pour capitale Napata, quelque 300 kilomètres en amont de Kerma. Ce déplacement obéit à des raisons politiques et militaires, mais certainement aussi climatiques: le nord se fait de plus en plus aride alors qu’au sud, il pleut encore en été. C’est de là que les nouveaux rois nubiens partent à l’assaut d’une Egypte désormais divisée et affaiblie.
Vers 730 avant J.C., Piankhy, roi de Koush monte sur le trône de Thèbes, inaugurant la 25e dynastie égyptienne, dite des pharaons noirs. Ses descendants vont régner pendant une septantaine d’années sur un empire qui va du delta au confluent de Nil Bleu et du Nil Blanc, site de l’actuelle Khartoum. Ils sont coiffés de la tiare à deux cobras, symbole de l’union de l’Egypte et de la Nubie, et adoptent très largement les traditions égyptiennes. Après leur chute, la capitale de Koush se déplacera encore plus au sud, à Méroé, et les rois s’y feront ensevelir sous des pyramides.
En 2003, la mission archéologique suisse à Kerma a mis au jour à Doukki Gel les statues des sept pharaons noirs, cassées en morceaux et soigneusement enfouies dans une cache souterraine. Symbole de la puissance retrouvée de la civilisation nubienne, ils trônent désormais au centre du Musée de Kerma.
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