Adama Gaye • Célébrons, ce matin, un monument qui ne voulait pas d’un hommage à titre posthume -mais l’a eu, malgré tout !
Je ne sais pas qui en a eu l’idée, qui l’a poussée, qui peut en revendiquer la matérialisation mais, ce matin, chapeau bas, puisqu’une fois n’est pas coutume, je salue la décision annoncée par le dernier Conseil des Ministres du Sénégal, l’instance du gouvernement, de donner au Grand Théâtre du Sénégal le nom du défunt artiste Doudou Ndiaye Coumba Rose.
C’est une décision juste, digne, appropriée, et, disons-le, que nul ne devrait condamner. Bien au contraire, voila une plage de convergences, au milieu des divergences multiples, qui mérite, enfin, que la nation, unanime, s’en fasse la propriété. Je me demande du reste pourquoi l’opposition ne la salue pas à sa juste mesure. Ce ne serait pas faire preuve de faiblesse ou de repli sur ses postures critiques mais de magnanimité. Car, comme le rappelle Beaumarchais, sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloges flatteurs.
Parlons donc de lui Doudou Ndiaye Rose. Je n’ose pas dire que je le connais très bien. Je n’ai eu l’occasion de le rencontrer qu’une seule fois, dans sa maison située à la Médina où j’étais passé le voir il y a plus de trente ans afin de réaliser un entretien pour je ne sais plus quel journal.
Petit de taille mais paradoxalement timide pour le diable sur scène qu’il est, il m’avait accueilli avec un tel respect et une grande humilité que j’en garde encore le souvenir. Sa maison était humble, simple. Il m’avait introduit dans un salon sans aspérités, ni relief, du genre de ceux que l’on trouve dans nos maisons classiques, ordinaires.
En le quittant, me faisant accompagner jusqu’à la porte, il m’avait laissé le sentiment d’un Grand Monsieur, un décent voisin de quartier, un Sénégalais jusque dans la profondeur de son écorce.
Si je célébre sa désignation ce matin, c’est moins pour l’impression personnelle que je retiens de lui mais parce que ce choix est mérité pour la somme monumentale de son oeuvre. Jeune élève à Kaolack, je me souviens de lui, animant sur les allées du Centenaire, le mythique défilé, retransmis à la télévision nationale, des majorettes du Lycée Kennedy. On eût dit ses enfants.
Puis, je le vis à la télé, comme tant d’autres, battre, de sa main magique, du tam-tam, et le faire avec une telle détermination que je me demandais s’il n’était alors pas habité par quelque démon tant ces instants de prestations furent toujours endiablés.
Plus tard, je fus bluffé par sa mutation vers un rôle de chef d’orchestre, comme celui de grands orchestres classiques, que j’ai pu voir à Vienne ou Berlin. Baguette en main, traversant la scène, il menait avec dextérité son art. Les musiciens, peut-on dire, lui obeïssaient au doigt et à l’oeil. Il était le chef. En chorégraphe, il menait le jeu de main de maître. De maestrio !
Il n’est donc pas étonnant que son nom ait franchi les frontières de notre pays, laissant le souvenir partout où il s’est produit d’un artiste hors pair. C’est pourquoi aussi, à sa mort, sa notice nécrologique apparut dans de prestigieux journaux, du New York Times au Monde. Plus significativement, désormais, en matière de tam-tams, l’école Doudou Ndiaye Rose, perpétuée par sa descendance, est devenue une référence.
Il est donc entré vivant dans l’histoire et son étoile continue de monter depuis sa tombe.
Le célébrer, bien qu’il eut été préférable de l’honorer pendant qu’il était encore sur terre et confronté à des difficultés, est un rattrapage arrivé à la bonne heure.
Ne faisons alors pas la fine bouche.
Tous nous savons en effet que la grandeur d’un pays, c’est d’abord de savoir donner ses fils méritants en exemples -en modèles à émuler.
Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les grandes nations donnent les noms des rues et places les plus prestigieuses à ceux des leurs ayant mérité. L’aéroport Charles De Gaulle, le Centre Mandela à Sandton, le Patrouilleur McCain et tant d’autres exemples l’attestent. Parce qu’il a été un promoteur admirable de l’art et de la culture du Sénégal, qu’il a porté haut le flambeau de la nation, et qu’il a été de bout en bout le symbole de cette puissance immatériale, liant entre nous tous, je voudrais, ce matin, drapeau blanc hissé au sommet, dire combien j’accepte ce qui est une grande décision: l’immortalisation d’un immortel de son vivant.
Dites donc grand Théâtre Doudou Ndiaye Rose, et, au passage, invitons, ensemble, celles et ceux qui s’y produiront désormais, à s’élever comme lui, dans la délivrance de leurs productions. De le faire avec la même classe et en rigueur, c’est-à-dire en s’éloignant des superficialités, fadaises, banalités et autres insanités.ayant fini de détruire ce que l’on appelle arts et cultures au Sénégal.
Bravo et repos mérité, Doudou Ndiaye Rose ! »
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