Tête d’affiche malgré lui après le désistement du fantastique Marcus Miller, Cheikh Ndoye avait deux énormes défis. D’abord, rejouer sur la terre de ses ancêtres, après une longue période passée à l’étranger, ensuite et surtout assurer le concert de clôture de la 24ème édition du Festival de jazz de la vieille ville.
C’est à 23h30 mn précises que l’artiste est monté sur scène dimanche (16 mai), accompagné de Dean Brown, Raul Pineda et Arshak Sirunyan. De véritables monstres sacrés. Raul Pineda le batteur est un des meilleurs « frappeur » cubains de l’époque. Il dégage une facilité déconcertante. Tout au long de la soirée, des spectateurs se demandaient s’il n’y avait pas un deuxième batteur caché quelque part tant son jeu a été bluffant. D’ailleurs, son solo d’une dizaine de minutes en a épaté plus d’un. Puis il y a le fantasque Dean Brown. Compagnon de route un temps de Marcus Miller, Dean Brown est un guitariste de premier rang. Avec une présence scénique qui frise le burlesque, il donne l’impression d’être le brouillon de la bande alors que son jeu est au bord de la perfection. Enfin au piano, une pure merveille d’origine arménienne du nom d’Arshak Sirunyan. Son doigté a su parfaitement accompagné la douceur de la nuit. En dépit d’un groupe incomplet, comme l’a rappelé Cheikh Ndoye, le spectacle promettait, juste à l’évocation du pédigrée des musiciens présents. Oui, ils n’étaient pas tous là, déplora l’artiste à la fin du concert. Karen Briggs célèbre violoniste ayant côtoyé Diana Ross, Dave Crusin ou le groupe Wu-Tang, membre de Cheikh Ndoye & Friends a, pour des raisons professionnelles, manqué à l’appel. De même que le guitariste Kazumi Watanabe et Eric Marienthal, super saxophoniste qui a tourné avec Lee Retenour, Stevie Wonder et Chic Corréa, avec qui il a eu un Grammy. Rien que ça ! …Voilà, l’univers de Cheikh Ndoye, c’est vous dire…On parle aussi de sa proximité avec le bassiste Richard Bona. En effet, le camerounais a été décisif en tant que grand frère généreux dans l’intégration musicale de Cheikh aux Etats-Unis. En bons disciples du grand Jaco Pastorius, normal donc que ces dignes fils d’Afrique, amoureux tous les deux des musiques traditionnelles, se retrouvent à un moment donné.
Dès les premières notes, « d’Alchemy East » (qui figure dans son premier album Child’s Tale), le public est tombé sous le charme des lignes de Basse de l’enfant des Sicap. Un jeu épuré, fait de douceur et invitant à l’évasion dans la pure tradition jazz. Le fleuve Saint-Louis qui coule derrière la scène a trouvé sa berceuse. Pas fermée pour un sous, la musique de Cheikh intègre facilement les cultures et influences de ses «Friends» . Elle a un parfum de la Havane, de la Louisiane et de Dakar.
La musique ne ment pas dit-on, elle témoigne de façon inconsciente parfois, de l’âme de celui qui joue, de sa sensibilité, de sa spiritualité, de ses doutes et de ses envies.
Au 3ème puis au 4ème titre, le public est totalement conquis. Naturellement on entend des chuchotements d’admiration mais aussi des questions du genre : Qui est ce gars ? D’où vient-il ? Où se cachait un tel talent ? Pourquoi est-il méconnu dans son pays ?
Il est vrai que Cheikh n’est pas très connu au Sénégal. Sauf peut-être dans le cercle fermé des musiciens et mélomanes férus de Jazz où le nom de Cheikh Ndoye a toujours été évoqué avec respect parce que : synonyme de talent et d’humilité. Sous ce rapport, il lui était facile de mettre Saint-Louis dans sa poche. De remettre même on va dire, parce que les habitués du festival se sont souvenus du jeune garçon qui, il y a près de 15 ans, très influencé par Joe zawinul, Sixun et Coltrane avait déjà, le temps d’un concert dans le OFF, attiré l’attention de fort belle manière. Aujourd’hui il est dans le IN et il régale tout autant sinon plus ! Attirer l’attention n’est pourtant pas sa tasse de thé. Il aurait même sans doute préféré ne pas avoir à parler avec le public et laisser uniquement son instrument communiquer. Les seuls mots qu’il lâchait était « merci » ou pour mettre en avant un des musiciens qui l’accompagnaient !
Cheikh Ndoye restera la bonne surprise de la 24ème édition de Saint-Louis jazz. Le N’goni (instrument d’origine malienne) dont il joua de façon magistrale en mode contrebasse sur une reprise de « Midnight Mood » (Joe Zawinul), a été aussi une belle surprise, comme l’a été l’apparition de El Hadj Baaba Maal au bout d’une heure et demie d’un spectacle époustouflant. Le célèbre chanteur avec qui Cheikh Ndoye a fait récemment une tournée, a encore étalé toute sa classe. Le fameux titre « Chérie » du leader du Daande Leñol à la sauce jazzy a été d’une telle exquisité que le public de Saint-Louis, d’habitude très concentré, s’est offert un franc moment de déhanché. Et dire qu’un Préfet, un tantinet trop zélé, a failli priver Saint-Louis Jazz d’une telle apothéose !
Photo: De gauche à droite: Arshak Sirunyan (Piano), Dean Brown (Guitar) Raul Pineda (Drums) Cheikh Ndoye (Bass)
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