« Quelque chose s’est cassé » : à l’île Maurice, la marée noire gâche encore des vies

Le 20 juillet 2020, le navire « MV Wakashio » s’échouait sur les récifs mauriciens, provoquant la plus grave marée noire que l’île ait connue. Quatre ans plus tard, les habitants en subissent toujours les conséquences. Source: Rivière des créoles (Île Maurice), reportage pour Reporterre

À la lisière de la plage, là où les vaguelettes viennent s’échouer, se dresse un petit rempart sombre. Comme un amoncellement de végétation souillée. « Non, ce n’est pas ce que vous croyez. Les algues ont cette couleur naturellement ici. Si vous cherchez les restes de fioul, il faut aller vers les mangroves, un peu plus dans les terres là-bas. » Vinaye, 45 ans, nous alpague depuis l’ombre salvatrice d’un kiosque de béton érigé de l’autre côté de la plage. Il sait que l’on ne vient généralement pas à Rivière des créoles pour bronzer ou admirer l’océan.

Ce village côtier de l’île Maurice, d’environ 3 000 habitants, a été l’un des plus touchés par la marée noire consécutive au naufrage du vraquier japonais MV Wakashio le 25 juillet 2020, et le bruit court que les derniers signes de pollution se trouvent ici, autrefois paradis des pêcheurs de palourdes. « Bien sûr qu’on peut encore voir de l’essence, quand l’eau se retire à marée basse. Mais il faut aller au fond de la forêt de mangrove, continue Vinaye. Nous, on y allait avant pour récupérer nos appâts, des petits vers qu’on trouvait facilement ici. Aujourd’hui il n’y en a plus du tout, ou presque pas, on est obligés d’aller en haute mer et ça nous prend 1 heure 30 ou 2 heures de plus tous les jours. »

Le naufrage de ce navire destiné au transport de marchandises en vrac avait à l’époque plongé le pays dans une crise politique et économique historique, en pleine pandémie de Covid-19. Il s’était échoué sur les récifs de la pointe d’Esny, une zone à la fois très fréquentée et réputée dangereuse pour les bateaux, libérant plus d’un millier de tonnes de fioul. Le capitaine du navire et son second ont plaidé coupables et ont été condamnés à vingt mois de prison ferme pour « mise en danger de la sécurité de la circulation ».

« C’est très difficile de vivre de la pêche aujourd’hui »

Aucune étude précise n’a encore démontré les effets à long terme sur le parc marin de Blue Bay, une zone humide protégée depuis 2008. Mais les pêcheurs, plaisanciers, skippers ou simples habitants de la côte Sud-Est de l’île n’en démordent pas : il reste des traces de cette catastrophe écologique et économique. « Il y a beaucoup moins de fruits de mer ou de crabes, dit Kisnel Beehary, un pêcheur de 49 ans, tout en nettoyant le moteur de son bateau à quai. Avant, quand je ratais un poisson, je m’en fichais, je savais qu’il y en avait dix autres qui viendraient après. Maintenant, je me dis que c’est sûrement fini pour la journée. Par rapport à 2019, je dirais que je fais entre 70 et 80 % de chiffre d’affaires en moins. C’est très difficile de vivre de la pêche aujourd’hui. »

L’océanologue mauricien Vassen Kauppaymuthoo, spécialiste des fuites d’hydrocarbures dans l’environnement, est d’ailleurs catégorique : « Le fioul est toujours présent dans les sédiments, emprisonné dans les mangroves ou dans les zones de boue. Le pétrole présent dans le navire était d’un niveau de toxicité particulièrement élevé, l’équilibre de l’écosystème a été durablement perturbé. Cela peut durer des décennies. »

Kisnel Beehary fait partie des pêcheurs professionnels, détenteurs d’un permis et donc éligibles aux allocations mises en place par le gouvernement pour venir en aide aux populations touchées par la marée noire en 2020. « On a reçu à peu près 113 000 roupies [environ 2 300 euros, sachant que le salaire moyen à Maurice était de 415 euros en 2022 d’après Stats Mauritius] pour dix mois sans activité. Autant vous dire qu’en deux mois tout était fini. » Il y a un an, plus d’un millier de victimes déposaient une plainte collective à l’encontre des armateurs, réclamant 100 millions d’euros d’indemnisations.

L’entraide pour survivre

Aujourd’hui, Kisnel Beehary et les autres professionnels ont la possibilité d’aller pêcher en haute mer ou dans d’autres lagons, quitte à voir leurs frais de carburant gonfler. Mais une grande partie des pêcheurs n’ont en réalité pas de permis d’exercer à Maurice. Ils ne sont donc pas comptabilisés dans les statistiques, pas plus qu’ils n’ont accès aux aides ou à la capacité matérielle de s’exiler dans des eaux plus poissonneuses. Lire la Suite ICI

© FILE PHOTO: A general view shows the bulk carrier ship MV Wakashio, that ran aground on a reef, at Riviere des Creoles, Mauritius, in this handout image obtained by Reuters on August 11, 2020. French Army command/Handout via REUTERS THIS IMAGE HAS BEEN SUPPLIED BY A THIRD PARTY/File Photo

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