« Dans le scandale du PRODAC, les conclusions du rapport de l’Inspection Générale des Finances sont claires, nettes et définitives. »
Seybani Sougou . L’énorme scandale du PRODAC a révélé au grand jour système organisé de malversations d’une ampleur inouïe, des pratiques mafieuses de captation des deniers publics et de prédation des ressources d’un pays classé parmi les plus pauvres du monde, par une bande de malfrats. Sous le magistère de Macky SALL, la gouvernance sobre et vertueuse est devenue synonyme de vols, de détournements, et de pillage généralisé des deniers publics.
Le rapport fouillé de l’Inspection Générale des Finances ne laisse place à aucun doute sur la réalité du carnage financier opéré, en violation totale du code des marchés publics et des règles élémentaires qui régissent la comptabilité publique. Il ne s’agit nullement d’insister sur le niveau d’implication ou de responsabilité des coordonnateurs du PRODAC (seconds couteaux) ou de LOCAFRIQUE, mais de situer clairement, du point de vue juridique, le rôle du principal acteur Mame M’Baye NIANG, en sa qualité de signataire du marché, dont la responsabilité est première et déterminante dans cette affaire. Partons des faits, puisque c’est de cela dont il s’agit.
- La signature d’un marché de gré à gré avec la société GREEN 2000 est entachée d’illégalité
Les marchés de gré à gré (marchés par entente directe) sont régis par l’article 76 du décret n°2014-1212 du 22 septembre 2014 modifié, portant code des marchés publics. Ce type de marchés constitue une dérogation au principe de passation de l’appel d’offre ouvert, qui est la règle en matière d’achats publics. L’article 76 (a) du code des marchés est clair : pour les besoins liés à la détention d’un droit d’exclusivité, tout marché passé par entente directe doit obtenir au préalable l’Autorisation préalable de la Direction Centrale des Marchés Publics.
Saisi par les services de Mame Mbaye Niang, Ministre de la jeunesse pour la conclusion d’un marché de gré à gré sous le fondement de l’article 76 (a) du CMP lié à un supposé Droit d’exclusivité, détenu par le prestataire GREEN 2000, la Direction Centrale des Marchés Publics a rendu le 02 avril 2015, un avis défavorable parfaitement motivé en Droit, en concluant qu’aucun élément ne permettait de justifier l’existence d’un monopole de fait acquis par le prestataire GREEN 2000 pour ce type de prestations.
Tout en écartant fermement la possibilité de passation d’un marché de gré à gré, la DCMP a proposé au Ministère de la Jeunesse un cadre juridique sécurisé, à savoir une procédure d’urgence, sur la base des articles 63.2 et 73. a du code des marchés publics, afin de ramener le délai de dépôt des offres à 15 jours, dans le cadre d’un appel d’offre ouvert international. L’article 63.2 du CMP dispose que le délai est de 45 jours calendaires dans le cas d’appels d’offres internationaux et de marchés dont les montants estimés sont supérieurs aux seuils communautaires définis par l’UEMOA, mais précise qu’en cas d’urgence dûment constatée par la Direction chargée du contrôle des marchés publics, ce délai est de 10 jours au moins pour l’appel d’offres national et de 15 jours au moins pour l’Appel d’offres international.
Ce délai raccourci aurait permis, en l’absence de toute offre concurrente, de prouver le monopole de fait détenu par le prestataire GREEN 2000. Passant outre les prescriptions de la DCMP qui est un organe de contrôle à priori, l’autorité contractante a saisi, par lettre en date du 10 juillet 2015 (3 mois après l’avis de la DCMP), le Comité de Règlement des Différends de l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP), pour contourner l’avis de la Direction Centrale des Marchés Publics. Alors qu’elle avait toute latitude de lancer une procédure d’urgence préconisée par la DCMP (soit 15 jours), l’autorité contractante a attendu plus de trois (3) mois, avant d’obtenir une autorisation de l’ARMP, pour la passation d’un marché par entente directe.
En réalité, il y a eu dès le début, une volonté manifeste du Ministre de la jeunesse de l’époque, Mame M’Baye NIANG, de passer vaille que vaille un marché de gré à gré, avec la société GREEN 2000. Or, le recours à une telle procédure dérogatoire, est strictement encadré par l’article 76 du code des marchés (le marché signé avec GREEN 2000 ne rentre pas dans ce champ). Dans l’affaire PRODAC, les quatre (4 principes) qui fondent la commande publique (liberté d’accès, égalité de traitement, transparence des procédures et bon usage des deniers publics) ont été littéralement violés.
- L’ARMP : une caution juridique du Ministère de la Jeunesse, dans le détournement de la procédure
Avant sa dissolution en 2022, l’ARMP était une autorité administrative dont la mission première est de réguler le système de passation des marchés publics. Lorsqu’une autorité contractante souhaite invalider ou contourner un avis défavorable rendu par la Direction centrale des marchés publics, elle introduit une requête auprès de l’ARMP.
Saisi le 10 juillet 2015 par le Ministère de la Jeunesse, le Comité de Règlement des Différends de l’ARMP, statuant en Commission des litiges, avait rendu le 15 juillet 2015, une décision illégale annulant l’avis de la DCMP – cf décision n°198/15/ARMP/CRD du 15/07/2015. Tout en concluant que l’autorité contractante n’a ni fourni les arguments prouvant que seule l’entreprise ciblée est en mesure de répondre à ses besoins, ni apporté la preuve que la société GREEN 2000 est la seule à pourvoir développer le concept des Domaines agricoles communautaires, l’autorité de régulation des marchés a avec une incroyable audace « autorisé à titre exceptionnel », l’autorité contractante à signer le marché pour les DAC communautaires de SEFA (Sédhiou), Keur Samba Kane (Diourbel), Keur Momar Sarr (Louga) et Kédougou (Itato). Par cette décision illégale qui n’est prévue par aucun article du code des marchés publics, l’ARMP est coupable de complicité pour avoir cautionné le détournement de la procédure par le Ministère de la Jeunesse.
Ce n’est pas la première fois que l’ARMP assure la couverture juridique de certaines autorités contractantes, qui en profitent pour détourner les règles, piller les deniers publics, et s’enrichir en toute illégalité sur le dos du contribuable sénégalais. On se souvient qu’en 2016, la Direction de l’Automatisation des Fichiers avait sollicité l’autorisation de la Direction Centrale des Marchés publics, pour conclure par entente directe, 10 marchés dans le cadre d’opérations liées à la confection de la nouvelle carte d’identité biométrique, invoquant entre autres, l’urgence liée à l’imminence de la clôture des engagements budgétaires, la pression due aux files d’attente pour l’obtention des cartes d’identité biométriques, et le respect du calendrier électoral. Malgré l’avis négatif de la DCMP, l’ARMP avait validé la passation des 10 marchés de gré à gré.
On connait la suite, cette autorisation illégale n’a servi à rien, puisque des dizaines de milliers de sénégalais n’avaient pas reçu leur pièce d’identité et n’ont pu accomplir leur devoir civique lors des législatives du 30 juillet 2017. Très souvent, les autorités contractantes évoquent des motifs fallacieux (les délais) pour justifier le recours illégal aux marchés de « gré à gré ». Or l’article 6 du code des marchés publics dispose que « lors de l’établissement de leur budget, les Autorités contractantes évaluent le montant total des marchés de fournitures, de services, et de travaux, qu’elles envisagent de passer au cours de l’année concernée et établissent un plan de passation des marchés comprenant l’ensemble de ces marchés, qui doit être communiqué à la Direction chargée du contrôle des marchés publics au plus tard le 1er décembre de l’année précédant l’année budgétaire considérée ».
Les dates des échéances électorales sont connues et parfaitement prévisibles (par exemple, il n’est pas admissible d’attendre 2 mois avant les élections présidentielles de 2024 pour invoquer un « calendrier électoral serré », et justifier la passation d’un marché de gré à gré, alors l’autorité contractante doit anticiper et lancer un appel d’offre en amont (art 5 du CMP sur la détermination des besoins à satisfaire). Dans l’affaire PRODAC, comme dans d’autres, l’ARMP est instrumentalisée par les autorités contractantes (caution juridique) pour se soustraire aux obligations prescrites par le code des marchés publics ; favorisant de facto, le pillage de deniers publics.
- La responsabilité de Mame M’Baye Niang est clairement établie (cf Article 27 du code des marchés publics)
L’article 27 du décret n°2014-1212 en date du 22 septembre 2014 portant code des marchés publics modifié dispose que la procédure de passation du marché est conduite par la Personne responsable du marché, seule habilitée à signer le marché. L’article 28 (alinéa a) dudit code définit clairement l’identité de la personne responsable du marché en ces termes : « Les Personnes responsables des marchés sont pour les marchés de l’État et dans chaque Département ministériel, le ministre chargé du département concerné… ». Mame Mbaye Niang étant Ministre de la Jeunesse à l’époque, sa responsabilité est clairement, directement et pleinement établie du point de vue juridique, dans la mesure où sa signature a engagé contractuellement l’Etat). C’est d’autant plus vrai que l’ordre de service N°000151MJECC/SG/CAB/SP (injonction faite à GREEN 2000 de débuter les prestations alors que le marché n’a même encore été notifié) porte sa signature et constitue une circonstance aggravante.
S’agissant du Ministre de l’Economie et des Finances, Amadou Bâ, sa responsabilité est engagée en sa qualité d’autorité chargée de l’approbation. En effet, l’article 29, alinéa 1 du code des marchés publics précise que « Les marchés de l’État sont approuvés par le ministre chargé des Finances lorsque le montant est égal ou supérieur à 300.000.000 FCFA ». Ledit article précise que les deux fonctions d’autorité signataire et d’autorité approbatrice ne peuvent être cumulées, et souligne que l’acte d’approbation est une formalité obligatoire pour donner effet au marché public. Au vu de tout ce qui précède, la responsabilité de Mame Mbaye Niang ne fait l’ombre d’un doute et ne saurait en aucun cas être contesté. Au demeurant, ses justifications alambiquées sur une tutelle technique de son ministère et ses cris d’orfraie relèvent de l’escroquerie, et d’une entreprise de mystification destinées à frapper les esprits et à duper l’opinion.
- Le carnage du PRODAC a débuté, bien avant l’immatriculation du marché conclu avec Green 2000
Le Programme National des Domaines Agricoles et Communautaires, créée par décret n° 2014-498 du 10 avril 2014, est une structure qui a été placée sous la tutelle du Ministère de la Jeunesse, de l’Emploi et de la Construction Citoyenne. Dès la première année de sa mise en place, le PRODAC a donné lieu à des malversations et à des détournements de deniers publics de plus d’un milliard de F CFA. Le rapport d’audit du Cabinet Alliance, Audit et Conseil – états financiers – exercice clos du 31 décembre 2015) est accablant et prouve que le carnage financier a débuté bien avant l’immatriculation du marché (entente directe), conclu avec la société GREEN 2000.
Extraits du rapport Alliance « Audit et Conseils » – exercice clos du 31/12/2015
Il est clairement écrit que : « les charges de la période sous revue incluent des dépenses des DAC (domaines agricoles communautaires) pour un montant total de 318 934 160 F CFA (trois cent dix-huit millions et neuf cent trente-quatre mille cent soixante), pour lesquelles, il n’y a aucune pièce justificative ».
Page 22 : En l’absence du procès-verbal d’inventaire et d’un fichier des immobilisations, les auditeurs affirment être dans l’incapacité de s’assurer de la « réalité, de l’exhaustivité et de la valeur de l’actif immobilisé au 31/12/2015 ».
Page 27 : il est mentionné, concernant les achats :
- L’absence de procès-verbal de réception, de bons de commande,
- Des pratiques frauduleuses de détournements de deniers publics, par soustraction illicite des quantités commandées : achat d’engrais de 1000 tonnes comptabilisé pour 300 millions de CFA, alors que 500 tonnes ont été seulement facturées pour un montant de 150 millions,
- Des factures d’un montant de 658 487 000 F CFA (six cent cinquante-huit millions et quatre cent quatre vingt sept mille, payées à la coopérative « bloc unité céréalière», en lieu et place du fournisseur CAPCI.
Page 28 : il est fait état de « L’inexistence de pièces justificatives concernant des dépenses, de 343, 6 millions de F CFA pour les DAC (domaines agricoles communautaires), à l’exclusion de celles des DAC de Keur Samba KANE, d’un montant de 24,7 millions ». A ces détournements, s’ajoutent d’autres infractions liées au code du travail. Les salaires versés en 2014 n’ont pas l’objet de bulletins de paie en violation du code du travail, du code Général des Impôts et du code de la sécurité sociale.
Conclusion :
Dans l’affaire PRODAC, les investigations doivent s’étendre à la période précédant la signature du marché avec GREEN, période qui a donné lieu à des malversations (dépenses de plus d’un milliard de F CFA, sans aucune pièce justificative, grâce à l’émission de fausses factures).
S’agissant du marché conclu avec GREEN 2000 dont le montant est de 29 600 536 000 F CFA), il est définitivement établi que l’ex Ministre de la jeunesse, Mame Mbaye Niang, a émis 5 mois avant l’immatriculation du contrat, un ordre de service N° 0151/MJECC/SG/CAB/SP, illégal qui a permis à LOCAFRIQUE de démarrer les paiements le 30 mai 2016 et de décaisser d’emblée 2 milliards 311 millions et 568 854 F CFA, suivie d’autres décaissements. L’article 5 de la convention qui lie l’Etat à Locafrique conditionne le paiement à la transmission de l’ordre de service. Malgré de nombreuses lettres d’alerte qui lui ont été adressées, Mame M’Baye NIANG par lettre n°0026/MJECC/CAB/DC/SP en date du 13 mars 2017, a demandé à LOCAFRIQUE de diligenter les décaissements afin de permettre l’inauguration du DAC de SEFA.
Le PRODAC est une arnaque, une énorme escroquerie financière réalisée par une bande de délinquants dont Mame Mbaye Niang est l’acteur principal (du point de vue juridique « cf-art 27 du CMP », sa responsabilité est établie), un montage juridique irrégulier, une faillite contractuelle (inexistence d’un cahier des charges), et in fine, un projet surfacturé et totalement dévoyé (création de cœur de DAC au lieu de DAC complets ; avec un coût unitaire de cœur de DAC d’un montant de 7 400 134 000 F CFA). Le PRODAC s’apparente à la pyramide de PONZI (un système ingénieux fondé sur un montage juridique et financier frauduleux).
Le PRODAC est un échec complet en matière de création d’emplois car il avait pour ambition de favoriser l’insertion de 300 mille jeunes dans le secteur agricole en 5 ans. Il devait permettre l’installation de 1600 GEA « groupements d’entrepreneurs agricoles », la sortie de formation de plus de 90.000 jeunes en milieu rural de centres d’incubation pour créer leur propre exploitation agricole, et la production de 167.400 tonnes de produits agricoles (céréales et produits horticoles).
Plus grave, dans son rapport, à la page 8, l’IGF (Inspection Générale des Finances) précise « que les diligences absolument nécessaires à la préservation des intérêts de l’Etat n’ont pas été réalisées ». C’est clair, net et précis : il y a une véritable spoliation des deniers publics avec le scandale du PRODAC doublé d’un montage nébuleux à la fois, au niveau du périmètre, des spécifications, des conditions d’exécution et des clauses financières.
L’ARMP dissoute en 2022 au profit d’une nouvelle entité dénommée l’ARCOP « Autorité de Régulation de la Commande publique » (cf article 30 de la loi 2022-07 du 19 avril 2022 modifiant la loi n° 65-51 du 19 juillet 1965 portant Code des Obligations de I’ Administration) a commis une faute lourde, d’une extrême gravité, en étant complice du Ministre de la jeunesse dans le détournement de la procédure, de passation d’un marché de gré à gré, en lieu et place d’un appel d’offre qui s’imposait, car il n’existe aucun droit d’exclusivité détenu par GREEN 2000 pour ce type de prestations. De toute évidence, les membres de l’ARCOP ne pourront pas échapper aux foudres de la justice (après le départ de Macky Sall).
En France, la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales, Mme Caroline Cayeux, a démissionné du gouvernement le 28 novembre 2022 après que la HATVP (Haute Autorité pour la transparence de la vie publique) ait déclaré que sa déclaration de patrimoine était sous-évaluée et insincère. Au Sénégal, un ministre impliqué dans un énorme scandale de malversations financières, organise des conférences de presse, pour amuser la galerie et annoncer des plaintes : le monde à l’envers. C’est aussi à cela qu’on reconnait une République bananière.
Photo Une.©: gouv.sn
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