Pour de nombreux Français, le général de Gaulle est perçu comme un héros, notamment pour son rôle dans la libération de la France durant l’occupation allemande. Cependant, son action en Afrique noire révèle une tout autre facette de son personnage.
Deux éléments illustrent la stratégie calculée de de Gaulle envers les colonies : les bases militaires et la francophonie. Au Sénégal, la base militaire française prévue devait initialement s’étendre sur une vaste zone entre Dakar et Thiès. Cependant, par prudence, le général privilégia une approche plus discrète. Son Premier ministre, Michel Debré, partageait cet avis et estimait que la présence militaire française dans des villes comme Dakar ou Tananarive était « trop visible » et devait être moins ostentatoire. L’objectif était clair : éviter de donner l’impression d’une « recolonisation ».
La même prudence s’appliquait à la francophonie en Afrique subsaharienne. Alors que de Gaulle s’exprimait avec ferveur sur le rôle de la France auprès des francophones du Canada, il restait plus réservé concernant les territoires de l’ancien empire colonial. Pour lui, « la francophonie est une grande idée », mais il insistait pour que la France ne soit pas perçue comme « demandeuse ». Les leaders africains comme Hamani Diori, Léopold Sédar Senghor, ou encore asiatiques comme Norodom Sihanouk, furent mis en avant comme initiateurs de ce mouvement, alors qu’en réalité, tout était orchestré discrètement entre l’Élysée et Matignon. « La francophonie prendra un jour le relais de la colonisation, mais les choses ne sont pas encore mûres », confia le général à Alain Peyrefitte le 11 septembre 1966.
En réalité, de Gaulle n’a jamais envisagé une indépendance pleine et entière pour les colonies africaines. Lors de la Conférence de Brazzaville en 1944, il déclara que « toute idée d’autonomie » devait être exclue, tout comme « toute possibilité d’évolution hors du bloc français de l’Empire ».
Aujourd’hui, alors qu’un hommage est rendu aux tirailleurs massacrés à Thiaroye, certains réclament que le boulevard général de Gaulle à Dakar soit renommé « Boulevard Thiaroye 44 ». Cette initiative honorerait la mémoire des victimes plutôt que celle d’un homme ayant œuvré à préserver les intérêts coloniaux français.
Déjà, en 2018, des activistes avaient symboliquement attribué ce nouveau nom au boulevard Charles de Gaulle. Il est temps désormais de concrétiser cette action et de rendre ce changement officiel.
Le regretté Pathé Diagne, linguiste et historien sénégalais décédé l’année dernière, avait exploré en profondeur ces questions dans son ouvrage « De la République de Félix Éboué à la Françafrique
de Charles de Gaulle ». Analysant les actes du général de Gaulle, il notait :
« Aucun homme politique contemporain n’a fait autant mal à l’Afrique noire subsaharienne, que le général de Gaulle. Il aura entretenu à son égard l’amertume rentrée d’un débiteur. La Françafrique qu’il institue après-guerre comme stratégie géopolitique de sujétion néocoloniale en Afrique subsaharienne lui aura réussi et survécu. Comme architecte, de Gaulle a représenté sur ce plan, un contentieux historique, entre, d’une part, la France ambiguë et raciste qu’il a incarné et d’autre part, une Afrique plurielle, fragilisée, de personnalités qui ont confronté avec la Françafrique, un projet, conçu contre l’Afrique et finalement instrumentalisée par l’Afrique elle-même avec la complicité forcée des siens. Le général de Gaulle confronté au syndrome Éboué, qui sauva l’honneur compromis de la France, en 1940, aura démantelé, sans état d’âme, l’Afrique noire et subsaharienne. Il le fit rageusement avec la complicité de leaders qui pour survivre, accepteront contre leurs peuples d’être vassalisés pour échapper à la tragédie. Cette Afrique qui baisse la tête aura, à sa tête, on l’a vu, comme figure symbolique, le fondateur du RDA : Félix Houphouët-Boigny héros ulcéré et retourné par une adversité qu’il ne sut gérer. Le cycle gaullien qui a pris forme avec ses péripéties, aura survécu d’une manière ou d’une autre sur trois quarts de siècle en Afrique sub-saharienne où il est aujourd’hui encore aux prises avec une histoire continuée. Le système façonne l’histoire de l’Afrique subsaharienne sur la longue durée. »
Xaadim Njaay
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