Partis travailler dans les pays du Golfe, pour le meilleur et pour le pire

Le 2 décembre marque la Journée Internationale pour l’Abolition de l’Ésclavage. Pourtant l’esclavage continue d’exister sous diverses formes. En Mauritanie bien qu’il ait été officiellement aboli en 1981, 1% de la population y serait encore asservie, selon The Global Slavery Index. Ailleurs, une autre forme d’esclavage subsiste. En 2019, Afrique XXİ, réalisait un reportage poignant. 

Partis travailler dans les pays du Golfe, pour le meilleur et pour le pire

Partis travailler dans les pays du Golfe, pour le meilleur et pour le pire, Information Afrique Kirinapost

Mwanza Mungiri, 51 ans, regrette d’avoir laissé partir sa fille dans le Golfe.© Sebastian Castelier / Afrique XXI

Reportage · Chaque année, des milliers d’Africains et d’Africaines prennent la route pour tenter leur chance dans un des pays du Golfe. S’ils y trouvent du travail, ce qui leur permet de faire vivre la famille restée au village, certains y subissent également des conditions de vie inhumaines, comparables à une forme moderne d’esclavage. Récit en images au Kenya et au Soudan.

Affronter un parcours migratoire semé d’embûches est le prix que sont prêts à payer de nombreux travailleurs africains qui veulent voir, dans les emplois des pays du Golfe, une échappatoire à un contexte économique local difficile. « J’ai travaillé comme superviseur de plomberie pour la municipalité d’Abu Dhabi […] Mon mariage a été financé par l’argent émirien, ma maison aussi et à mon retour, j’ai pu avoir la petite boutique de vêtements que je tiens désormais dans le village. J’aime les Émirats arabes unis autant que j’aime le Soudan. C’est comme si mon père était Émirien et ma mère Soudanaise », résume Yousif Alhaj Ali.

Mais la migration vers le Golfe, source de bénéfices économiques « inimaginables » (un terme utilisé par de nombreux migrants interrogés durant cette enquête), comporte également son lot de souffrances qui ravivent le tabou de la traite négrière arabe, conduite par des marchands d’esclaves omanais jusque dans les premières décennies du XXe siècle. « Les enfants saoudiens m’appelaient “le noir” quand je visitais les magasins. Les parents et les grands frères leur ont appris que les hommes noirs sont sauvages, violents, pauvres, ignorants, se remémore Mohammed Hassan, un Soudanais de 44 ans qui a travaillé dans le marketing en Arabie saoudite entre 2006 et 2017. Nous gardons ces histoires pour nous. Pas besoin de les partager avec les membres de notre famille. Je suis déjà blessé, je ne veux pas voir mon père et ma mère ressentir la même douleur, alors je me tais. »

Sur les rives du Lac Victoria des revenus insuffisants 

Sur les rives du Lac Victoria, au Kenya, l’activité de pêche, autrefois source d’emplois, périclite (même si le lac fournit encore des emplois directs à plus de 800 000 personnes). En cause : la raréfaction des stocks de poissons causée par la surpêche et la pollution des eaux du lac par l’industrie caféière et théière. Une situation que les agents de migration exploitent pour offrir à une population en croissance rapide des postes d’employées de maison dans les pays du Golfe. « Je suis le principal gagne-pain de la famille, mais mon revenu n’est pas suffisant pour survivre, déplore Mary Anyango, mère de sept enfants et vendeuse de poissons à Dunga, un village situé sur les rives kényanes du lac Victoria. C’est la raison pour laquelle ma fille de 26 ans a émigré en Arabie saoudite en janvier 2021. Elle travaille comme employée de maison pour une famille saoudienne et gagne 28 000 shillings kényans (250 dollars) par mois – environ cinq fois ce que je gagne en vendant du poisson frais sur le marché local ».

Un modèle économique basé sur les migrants 

Partis travailler dans les pays du Golfe, pour le meilleur et pour le pire, Information Afrique Kirinapost

A portrait of Saudi Arabia’s ruler King Salman bin Abdulaziz al-Saud painted on the rear panel of a bus in Nairobi, Kenya.©

Les États du Golfe, riches en ressources pétrolières et gazières, importent une main-d’œuvre étrangère peu onéreuse pour faire tourner leurs économies. La région enregistre l’une des proportions de non-nationaux sur le marché du travail parmi les plus élevées au monde, à l’image du Qatar où, en 2019, selon l’ONG Human rights watch, 95 % de la main-d’œuvre était composée de travailleurs migrants. Principalement originaires d’Asie et d’Afrique, 30 millions de ressortissants étrangers forment l’épine dorsale des économies du Golfe, occupant des postes variés : chauffeurs de taxi et livreurs, médecins et banquiers, serveurs et employés de maison, ou encore électriciens et plombiers. Le Kenya estime à 100 000 le nombre de ses citoyens employés dans le Golfe – d’autres sources évoquent le chiffre de 300 000. Entre 2014 et 2017, le gouvernement kényan a interdit aux agences de recrutement privées d’envoyer des travailleurs domestiques dans les six États du Conseil de coopération du Golfe en raison de rapports faisant état de traitements inhumains. La situation s’est débloquée après la signature avec les Émirats arabes unis, le Qatar et l’Arabie saoudite, d’accords bilatéraux de migration de main-d’œuvre, l’accréditation de 65 agences de recrutement et l’obligation d’une formation préalable au départ. « Avant, les femmes se rendaient dans le Golfe sans formation préalable. Les choses ont changé, elles suivent désormais un cours avant d’émigrer », indique Stephanie Wacuka, responsable de formation à l’East African Institute of Homecare Management, un centre de formation de Nairobi.

Je me sens mal

Mwanza Mungiri, 51 ans, regrette d’avoir laissé partir sa fille. « Zainab a fui son premier patron, la charge de travail était trop intense : sept jours sur sept, jour et nuit, et en plus elle était mal traitée. Maintenant, elle travaille pour une autre famille, mais le premier employeur détient son passeport et refuse de le lui rendre, alors j’ignore comment elle pourra quitter le pays pour revenir à la maison », témoigne-t-il. Illégale, la confiscation des passeports est pourtant une pratique courante dans le Golfe. Entouré de sa famille, dont les membres sont eux aussi rongés par l’angoisse de ne plus jamais revoir Zainab, l’homme l’appelle pour prendre des nouvelles (à l’image). « Je me sens si mal de savoir ce qui arrive à ma fille. Aux yeux des Arabes du Golfe, nous ne sommes pas des humains mais de simples animaux. »

Une bénédiction inespérée 

Pour Zamaradi Yusuf, la migration est une bénédiction inespérée face au déclin des stocks de poissons. Établie sur les rives du lac Victoria, la grand-mère se réjouit de faire découvrir aux visiteurs la maison familiale construite par ses deux filles qui travaillent comme employées de maison en Arabie saoudite. Les autres villageois portent cependant un regard plus mitigé sur les bénéfices à long-terme de la migration sur l’économie locale, car les travailleurs migrants investissent rarement dans des actifs productifs tels que des entreprises. Les envois d’argent au pays sont généralement alloués aux dépenses quotidiennes, à l’achat de biens de consommation et à la rénovation des maisons.

Tu feras ce que je veux

Partis travailler dans les pays du Golfe, pour le meilleur et pour le pire, Information Afrique Kirinapost

Citoyenne kényanne Murunga Feith Shimila, 30, émigréé en Arabie Saoudite en December 2019 pour travailler comme employée de maison, Shimila a été battue à plusieurs reprises, menacée de mort et brûlée à l’eau bouillante, tout en étant forcée de travailler plus de 18 heures par jour. Elle a plus de chance que la Sénégalaise Mbayang Diop toujours en prison. Shimila est retournée au Kenya mi-2021, elle a ouvert une boutique de poulet. ©Sebastian Castelier 

Les bénéfices économiques de la migration africaine vers le Golfe sont la face visible d’un océan d’abus auxquels sont confrontés les travailleurs les plus vulnérables, au premier rang desquels les employées de maison. « Je t’ai acheté au Kenya, et maintenant que tu es dans ma maison, tu feras ce que je veux. » Ces mots, prononcés en guise de message de bienvenue par son employeur, hanteront Feith Shimila (à l’image) durant l’année et demie qu’elle passera au service d’un ménage saoudien dans la ville de Arar, à la frontière avec l’Irak. Entre décembre 2019 et juin 2021, la jeune trentenaire encaisse en silence plus de 18 heures de travail par jour, pour 900 riyals saoudiens par mois (210 euros), et sous une pluie d’insultes racistes et dégradantes, de violences physiques (elle a été ébouillantée au bras) et de menaces de mort répétées. « Je ne peux même pas compter combien de fois le mari m’a battue, mais je suis restée, comme une victime de violences domestiques, ne sachant ce qui pourrait se passer ensuite, effrayée qu’il puisse tout simplement me tuer. » En septembre 2021, le ministère kényan des Affaires étrangères a recommandé l’arrêt temporaire du recrutement de travailleurs domestiques en Arabie saoudite. Quarante-et-un ressortissants kényans ont trouvé la mort dans le pays en 2021, contre seulement trois en 2019. La Suite ICI

Partis travailler dans les pays du Golfe, pour le meilleur et pour le pire, Information Afrique Kirinapost Save as PDF
Share

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *