Quand Bukki Teuf est sorti en 2023, il disait ne pas vouloir le compter comme étant son premier long métrage. À peine ce film était-il sorti, que cet ancien photographe de plateau, disciple de Bouna Medoune Seye formé à la réalisation à l’école de la défunte et brillante Khady Sylla, s’est plongé dans le projet suivant qui devait se dérouler entre Dakar et Kigali. Mercredi 2 juillet, donc deux ans plus tard, au Musée Des Civilisations Noires, a eu lieu l’avant-premiere de Ejo Tey Teranga au pays des Mille Collines dédié aux liens entre le Sénégal et le Rwanda. À l’occasion de cette avant-premiere, dans une agora remplie comme rarement, pas moins de 700 personnes, Papalioune Dieng a bien voulu s’arrêter au micro de Kirinapost.
Le réalisateur Papalioune Dieng et l’historien Abdarahmane Ngaïdé (écharpe rouge) à qui nous devons ce merveilleux film. © Moussa Kare
Kirinapost: Comment est venue l’idée de faire un film sur le Rwanda ?
Papalioune Dieng : Le film n’est pas venu par hasard. D’abord je dois préciser une chose, ce n’est pas un film sur le Rwanda. C’est un film sur les liens entre le Rwanda et le Sénégal. Pour revenir à votre question, c’est au sortir de quelques épreuves de la vie que je suis allé passer quelques semaines au Rwanda, un pays que je voulais découvrir. Au cours de ce séjour, où on me prenait très souvent pour un Rwandais, et pendant lequel, on me parlait tantôt du Capitaine Mbaye Diagne, cet officier sénégalais mort en sauvant des vies lors du génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda de 1994, tantôt de l’écrivain Boubacar Boris Diop ou encore d’Adama Dieng ancien rapporteur du Tribunal Pénal international d’Arusha, j’ai commencé à réaliser que nos deux pays avaient beaucoup de liens et parfois très forts. J’apprends qu’il y a 3 femmes sénégalaises représentantes d’organismes internationaux à Kigali dont l’une avait été jeune fonctionnaire aux réfugiés il y a 31 ans, exactement l’année du Génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda. Lorsque je visitais les différents lieux de mémoire de ce pays des mille collines, la chanson d’Oumar Pène « Xamlène » tournait dans ma tête…je pensais aussi à toute cette communauté rwandaise vivant au Sénégal depuis déjà les années 50. Tout cela m’interpelait. Deux pays aussi éloignés mais aussi proches, cette histoire, je voulais la raconter. J’ai choisi l’historien Abdarahmane Ngaïdé chercheur à l’UCAD et ayant vécu de l’intérieur le conflit entre la Mauritanie et le Sénégal, pour être le fil conducteur de notre aventure. C’est lui donc que je suis avec la caméra du talentueux Amath Niane, pour aller à la rencontre de tous les protagonistes, que ce soit au Rwanda ou au Sénégal.
Après Bukki Teuf, le réalisateur Papalioune Dieng a présenté mercredi au Musée Des Civilisations Noires, Ejo Tey, Teranga au pays des Mille Collines. Dans une agora qui a battu un record.
Kirinapost: Que veut dire Ejo Tey ?
Papalioune Dieng : EJO veut dire à la fois hier et demain en kinyarwanda, et TEY en wolof veut dire aujourd’hui. Hier, il y a eu le Génocide de 1994 perpétré contre les Tutsi au Rwanda et les Sénégalais ont humainement été au côté du peuple rwandais. Aujourd’hui, la réparation et la reconstruction par la culture, là aussi le Sénégal a été au côté de ce pays pourtant si éloigné. Enfin, demain, une intégration africaine à l’image de ce que le Sénégal et le Rwanda ont pu tisser.
Un public nombreux (700 personnes) et de qualité a assiste à l’avant-premiere de Ejo Tey ©MCN
Kirinapost: Quel rôle peut jouer le cinéma dans l’intégration africaine ?
Papalioune Dieng : Un rôle majeur. Il permet aux peuples de se rencontrer, de débattre et de se comprendre avec les images, les sons. À propos de son, la bande originale de Ejo Tey a été créée spécialement par le magnifique bassiste jazz Cheikh Ndoye. Entre nyabinghi, sabar, jazz, c’est une musique qui parle à toute l’Afrique. Le cinéma peut avoir un rôle de passerelle. Il faut multiplier les productions et les lieux qui parlent du continent, en promouvant un récit africain authentique. Le Musée des Civilisations Noires qui nous a gracieusement ouvert ses portes pour cette avant-première, est, me semble-t-il, dans cette dynamique. C’est à saluer ! Bravo à son directeur et à ses formidables équipes.
Dans mon film j’ai voulu montrer qu’une Afrique debout, décomplexée malgré la blessure, existe. Le Rwanda a je crois compris ma démarche. C’est un pays qui m’a ouvert toutes les portes, les musées, les mémoriaux et les archives douloureuses. Ils l’ont fait avec générosité pour que je comprenne, pour que l’Afrique et le monde comprennent.
« Il faut multiplier les films didactiques et pédagogiques. Cette jeunesse ne demande qu’à être bien formée » a dit Papalioune Dieng en discutant avec les étudiants de Ciné-UCAD ©Ciné-UCAD
Quand on quitte le Rwanda, on se dit juste: ce pays africain a pu le faire malgré la tragédie, tout pays africain peut le faire ! Ensuite, l’intégration est le seul moyen de dépasser définitivement les frontières héritées de la colonisation qui font malheureusement encore parties des plus grosses sources de tensions sur le continent.
Les jeunes étudiants de Ciné-UCAD en compagnie de Papalioune Dieng ©Ciné-UCAD
Laisser un commentaire