« Quel est le plus beau jour de votre vie ? » posa le journaliste Daouda Ndiaye à Mawade Wade entraîneur de football. La réponse fut déroutante. » La victoire du MPLA en Angola » lança-t-il à son intervieweur, qui s’attendait sans doute à ce que le technicien évoque ses victoires dans le football. Déroutant, intelligent, insaisissable.
Déroutant, intelligent, charismatique, insaisissable. C’était cela Mawade Wade. Ses conférences de presse étaient d’ailleurs toujours très attendues.. Le fait est que Mawade n’était pas qu’un acteur du football. Il était militant de gauche, syndicaliste, panafricaniste et révolutionnaire. Plusieurs de ses amis et compagnons de routes dans ses années de syndicalisme deviendront plus tard des Chefs d’État dans leur pays. C’est la raison pour laquelle il était proche des Présidents Kwamé Nkrumah, Ben Bella ou encore Sékou Touré. Enseignant de formation, passé par l’école William Ponty, Mawade est né en 1928 à Saint-Louis. Il était un éducateur dans l’âme. Sa philosophie de vie, ses combats, il les transposait dans sa compréhension du football. Il plaçait l’humain et la créativité au centre de son projet de jeu. Extrêmement doué dans la motivation de ses joueurs, il lui arrivait de sortir carrément du cadre du football afin d’amener son poulain à se transcender. Il gagna beaucoup de matchs ainsi. Pour lui, le football était indissociable du projet de société qui gouverne un pays. « Nous pouvons puiser dans les vertus profondes de notre peuple une force qui nous permettrait, quels que soient les aléas de la vie, d’être parmi les forces émergentes de l’humanité » disait-il déjà en 1976.
Sur le plan technique, il ira se former en Hongrie, à l’époque place forte du football. On dit même que c’est au cours de son séjour qu’il prit son accent unique et imprenable, qui faisait de lui un tribun hors-pair. Sur le terrain, Maa, comme l’appelaient ses proches, était un adepte du beau jeu. Il aimait répéter que le football n’était rien d’autre que de « l’intelligence en mouvement. » En lui rendant hommage à son décès, Joe Diop, son fidèle adjoint lorsqu’il dirigeait l’équipe nationale, dira dans une tribune :
« La quête permanente de perfectionnement qui animait Mawade lui permit, au Sénégal et dans le monde, d’apporter une contribution inestimable débouchant sur une conception « humaniste » du football. Il s’orienta, avec ses amis du Miroir du football de François Thébaud, d’Afrique Asie de Mahjoub Faouzi, mais aussi avec ses collègues Lamine Diack, Jo Diop, Francky de Ouakam, etc., vers une organisation du jeu libérant les énormes ressources dans la création, la coopération et la solidarité. »
L’ancien international Yatma Diop qui a joué sous ses ordres n’y va pas par quatre chemins : » Bien avant Guardiola ou Cruyff, Maa a pratiqué ce football total ». Cette tactique de jeu assimilable à une toile d’araignée, étouffant l’adversaire pour récupérer le ballon et installer un jeu de passe rapide et en mouvement, Mawade l’a pratiquée dans ces années. Ne disait-il pas que « le plus beau dribble est la passe précise et dans le bon tempo ». L’intelligence de jeu, le Q.I football, c’était son monde.Si bien que ses joueurs l’adulaient.Il aimait ses joueurs profondément, les couvaient et leur transmettaient cette confiance en soi qu’il jugeait fondamentale pour la renaissance africaine. Il n’avait peur de rien et n’était impressionné par personne au monde. Même si ses colères sont devenues légendaires, Maa était surtout d’une douceur extreme. Un humain, qui faisaient d’abord en sorte que ses joueurs deviennent de meilleurs hommes.
Des joueurs comme Badou Gaye, Matar Niang, Karim Seye, Léopold Diop, El Hadj Diouf et tant d’autres, sont passés entre ses mains expertes. Lorsqu’on lui demanda un jour ce qu’il pensait des salaires des joueurs qui commençaient déjà à l’époque à exploser, il s’énerva: » Ce n’est pas assez. Les joueurs, ce sont eux qui font le spectacle. Les joueurs de demain gagneront plus d’argent qu’aujourdhui ». Maa était un visionnaire. Il respirait le football.
En 2002, alors que le Sénégal s’apprête à jouer la Coupe du monde, il réclame le repositionnement d’Aliou Cissé de la défense vers le milieu de terrain. Ce qui fut fait. L’équipe en sortie bien meilleure. Regarder Neymar au Parc des Princes et arrêter sa voiture au bord de la route ou du fleuve pour regarder le « petit camp » des enfants avait la même saveur. Maa n’a pas gagné des trophées continentaux en tant qu’entraîneur, mais il a insufflé un style et une vision humaniste du football. Il a façonné des joueurs et surtout formé plusieurs générations de brillants entraîneurs.
Pendant une trentaine d’années, Mawade Wade fut Instructeur à la FIFA et membre éminent de la CAF, qu’il intégra en 1970. Dans ces deux instances, il fit avancer les textes par sa science et protégea comme la prunelle de ses yeux les intérêts de l’Afrique. Le 14 Septembre 2004, Maa a tiré sa révérence. Il repose désormais dans sa ville natale, dans les cimetières jouxtant la mer.
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