Dr Pascal Oudiane : L’université sénégalaise, une institution socialement responsable en fossilisation avancée
Il n’y a pas plus grand mal de découvrir du haut de ses longues années de pratique que l’université sénégalaise est un fossile. Nous avons une université en conflit avec elle-même. Une situation qui la plonge dans une léthargie qui ne finit pas de la rendre stérile et infertile, malgré les coups de semence financière injectée. Les grèves l’ont rendu populaire. Mais elle cache d’autres réalités. Elle porte, entre autres, la responsabilité des abandons scolaires prématurés, un facteur qui n’a rien à voir avec le taux de cartouchard qu’elle fabrique, des chercheurs performants quasi inexistants, des curricula de formation peu autoritaire sur le marché du travail, un système de recrutement lent et peu transparent, un mépris pour les enseignants vacataires, avec des recrutements affinitaires, des formations doctorales peu rationalisées. Nous sommes donc en présence d’un problème de management des institutions universitaires.
Aujourd’hui, les marchands ambulants ont quintuplé, les conducteurs de taxi clandos ont explosé, les candidats à l’émigration se bousculent sans discontinuer aux portes des ambassades ou empruntent les routes clandestines d’Europe ou d’Amérique. D’autres sont retournés mordre sur leur déception dans leurs villages. Voilà le visage du Sénégal actuel lacéré par le manque de performance de nos universités.
L’échec de l’université est la cause de la déscolarisation massive au Sénégal
La démotivation pour les études s’explique par la difficulté d’insertion professionnelle du diplômé. Etre diplômé représente une capitalisation d’un long parcours d’étude, allant du primaire en passant par le secondaire pour aboutir au supérieur pour ne citer que l’université. Dans nos sociétés, le diplôme est la matérialisation d’une opportunité de travail à la suite d’un acquis légitimé en savoir et savoir-faire. Détenir ce fameux sésame sans trouver une activité rémunérée reste le pire cauchemar pour tout individu qui a eu le courage en dehors des impositions parentales de faire ce sacrifice. Malheureusement pour le Sénégal de nos jours, les diplômés- chômeurs se comptent à partir de mille. Si l’esprit scientifique se borne à les compter en cherchant à produire des statistiques, le commun des sénégalais en donne un avis lapidaire notamment « il y en a beaucoup ». Effectivement cette situation est indéniable. Parmi les 1 526 794 ménages que compte le pays, dont 10 594 ménages collectifs (RGPHAE : 2013), il est compté au moins deux chômeurs par ménage, considérant que l’effectif moyen par famille est de 8 individus. Qui ose croire que le taux de chômage chez les jeunes est de 15.7 % (ANSD 2015) ?
Pour beaucoup de jeunes, l’école est un projet perdu d’avance, puisqu’elle ne parvient plus à produire la finalité pour laquelle elle est valorisée, c’est-à-dire l’emploi. Le premier besoin de l’homme n’est pas le savoir. Il suffit d’interroger la pyramide de ce monsieur maintes fois cité, A. Maslow, pour s’en rendre compte. En réalité, le savoir est instrumentalisé pour accéder au marché du travail et satisfaire des besoins que l’on peut structurer entre le primaire, le secondaire et autres. Dans une société de type capitaliste, si l’individu n’arrive pas à monétiser le capital savoir dont il dispose, il meurt socialement avant de présenter les risques d’une mort physique. Il faut savoir que nos valeurs locales (sénégalaises) de solidarité ne nous sauvent jamais de la mort sociale.
Il n’y a rien de plus affligeant qu’un docteur qui tend la main dans l’intimité de sa famille ou de son groupe d’amis. Il n’y a rien de plus triste qu’un titulaire d’une maîtrise ou d’un master qui demeure encore sous le couvert financier de ses parents. Il n’y a rien de plus désagréable qu’un titulaire de licence qui se fait payer ses besoins par ses amis qui ne sont jamais parvenus au cours secondaire ou qui ont décroché pour s’adonner à un métier ou un commerce.
Aujourd’hui, les marchands ambulants ont quintuplé, les conducteurs de taxi clandos ont explosés, les candidats à l’émigration se bousculent sans discontinuer aux portes des ambassades ou empruntent les routes clandestines d’Europe ou d’Amérique. D’autres sont retournés mordre sur leur déception dans leurs villages. Voilà le visage du Sénégal actuel. Et la faute est à imputer à nos universités.
C’est une arnaque de faire avaler aux populations que l’université n’est pas douée de prérogatives pour donner un enseignement qui opérationnalise ses produits sur le marché du travail.
L’Etat et le secteur privé sont attentistes à la situation qui prévaut sans porter un plan stratégique orienté vers le marché du travail, autant pour les produits de l’université que pour le personnel enseignant et administratif. Cela est un b.a.-ba., parmi les principes de management de l’éducation et du travail. Ignorer que « le tout » s’articule dans une logique systémique est une chose impardonnable. A suivre…
Crédit photo: edupronet.com
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