« Lettre d’Allemagne Pape Alé, au nom de mon peuple… (Par Adama Gaye*)

J’espère que tu recevras cette lettre en capacité physique de la lire comme un soutien d’un aîné qui pense beaucoup à toi, en s’inquiétant pour ta santé et te l’adresse pour te dire que le monde entier doit se pencher sur ton sort parce que tu incarnes l’état de putréfaction d’une vieille démocratie, la Sénégalaise, sous le genou d’un assassin à sa tête.

Au milieu de cette nuit noire, dans le froid Européen, ma conscience a été tirée du…lit et mes mains contraintes de chercher dans l’obscurité où ces lignes sont écrites de quoi apporter à cet indigne sort, injuste, qui te frappe, un peu de relief.

Je t’écris en soutien pour diverses raisons. Si tu n’étais pas sur un lit d’hôpital où, hélas, rôdent parfois des médecins de la mort, en mission pour inoculer ce qui abrège la vie et ne la sauve pas, j’aurais peut-être été plus inspiré de m’adresser à toi en te retrouvant virtuellement dans ta chambre carcérale de la prison de Rebeuss, la tristement célèbre, juchée sur l’Océan Atlantique, amas de béton, fabriquée depuis la fin des années 1920 dans le seul but de soumettre ses pensionnaires. Si tu étais dans la chambre 1 ou dans l’une des autres qui lui sont contigües, je serais apte à deviner comment tu as dormi, sur un bout de matelas ou en mode « paquettage », en sardine, au milieu d’autres sardines, serrées les unes étroitement aux autres, et je pourrais même savoir ton heure de réveil, par le boucan de la porte en fer, agitée violemment, pour briser ton sommeil.

En pieux musulman, tu auras à peine eu le temps de prier, collectivement avec les autres détenus, dans un des rares moments de communion d’ensemble après avoir fait tes ablutions et t’être aligné pour espérer avoir la chance d’accéder à l’unique toilette dans ces pièces surbondées…

« Appel, appel, appel », aurait hurlé le chef de chambre ou l’un des garçons chargés de faire la ronde pour forcer tout ce monde encore engourdi, les yeux mi-clos, avançant à tâtons, à s’empresser de sortir de leurs chambres pour se retrouver au milieu d’une cour de prison soudain noircie de monde et dégageant l’odeur fétide d’une promiscuité humaine propice à tous les vices et maladies.

Accroupi, tel un malfrat, au milieu de personnes qui ne sont pas ici pour la même cause que la tienne, qui est noble, je te verrais les deux mains sur tes tempes, les méninges en bataille autour d’une seule question: « pourquoi, ô, pourquoi? »…

La même question taraudera ton esprit après que tu auras répondu « présent » à l’appel de ton nom, en retournant dans ce réduit qui t’attend, aussitôt rappelé à sa réalité encore plus oppressante par le grincement de la serrure massive en fer et du double-crochet sensés te faire savoir, pour que tu ne l’ignores pas, que tu es en taule.

Tu n’auras eu après que deux heures d’un sommeil impossible avant qu’un bruyant : « Mburru, mburru, mburru » ne te tires de tes rêveries de libertés et de ton indignation face à cette injustice qui te laboure.

Il sera 8 heures du matin. L’heure du petit déjeuner. Chacun des prisonniers, comme toi, aura eu son bout de pain et sur les gobelets de tous ce café matinal déversé par l’un des responsables de la chambre carcérale.

À 9 heures du matin, selon les circonstances, puisque les sorties pour se promener dans la cour de la prison sont alternées, les autres fois se faisant l’après midi à 15 heures, tu te retrouverais dans la mêlée collective en quête d’un brin d’air, maigre consolation pour un être dont tout en lui n’a, jusqu’alors, vécu qu’au rythme de ses pulsions vers le grand air de ses pensées et de ses mouvements.

La prison, c’est cela. Et tu la découvres. Ce n’est pas un lieu de rédemption ni de redressement, encore moins de correction morale.

On n’y met une personne comme toi que pour qu’elle perde jusqu’au réflexe de tenir une clé.

On l’infantilise. On le déshumanise. Seul le ciel au dessus de l’aire ouverte de la prison reste son contact avec les espaces de liberté du dehors.

Voir les vautours et charognards la survoler reste son unique moment pour relier son aspiration à la liberté à ce qu’elle ressemble en réel.

Les murs élevés de la prison et les miradors qui surplombent l’ensemble d’où se dégagent des profils de gardes pénitentiaires sont un rappel, comme pour lui asséner une dure réalité, à savoir que quiconque entre ici est sous étroite surveillance…

Depuis bientôt deux mois, tel est ton sort, Pape. Depuis quelques jours, nous dit-on, sans que nous puissions le vérifier, tu serais sur un lit d’hôpital, preuve que ton état de santé, déjà fragile en temps normal, se serait gravement dégradé, suscitant chez tes geôliers, et leur chef en particulier, qui n’est autre que Macky Sall, ce sentiment de Schadenfreude, cette joie malicieuse, intérieure, qui irradie leur visage, que diagnostiquent les Allemands, et qui les amène à voir, avec malice souffrir quelque être à qui, en Wolof, ils diraient sans sourciller: « niaaw: ».

Je t’écris, en cette nuit noire qui maintient son manteau sur mes doigts alors que j’avance dans ce message, pour te rappeler ces mots du plus célèbre prisonnier de tous les temps, un certain Nelson Mandela, que tu as dû croiser sur le mur intérieur de Rebeuss: « Seul ton physique est emprisonné, ton ésprist reste libre ».

Par la force des choses, par ce destin dont les caprices sont insondables, te voici surtout, brusquement mué en incarnation de la déliquescence de l’Etat délinquant que notre pays est devenu.

Tu dois t’en vouloir pour mille raisons: en pensant, au vu du monde entier, qu’en 2011, c’est sur un plateau de télévision où tu l’avais invité que le futur Président Macky Sall faisait l’éloge de la magie du clic, plus fort que le flic et le fric, comment ne pas t’énerver, en te disant que tu as contribué à promouvoir ce monstre?

Comment ne t’en veux tu pas d’être de cette ingrate profession de journaliste (je récuse le terme d’investigation que je n’applique qu’aux deux journalistes du Washington Post -Carl Bernsteiln et Bob Woodward lui ayant donné ses lettres de noblesse)?

De ta cellule si ce n »est de ton lit d’hôpital, rien des micmacs de certains de tes collègues qui ont cherché à t’enfoncer par jalousie, en prétendant voler à ton secours, ne t’est étranger.

Tu es plus lucide que la plupart d’entre-eux, la prison étant un lieu de maturation accélérée.

Tu sais que même des « Liveurs », parmi les plus agités, influencés par des services de renseignements auxquels ils appartiennent, font semblant de prendre en charge ton dossier.

Le peuple doit se montrer moins emballé face à ces nouveaux prophètes, qui ne sont souvent que des démons envoyés, en peau d’agneau, la bouche remplie de paroles pour lui plaire, mais qui sont les pires ennemis à son épanouissement.

Tu vois même, Pape, sur les tribunes, lors des manifestations organisées en ton nom, des forces dites sociales, authentiques pions en mission, qui se servent des causes du moment, la tienne étant la plus porteuse de l’heure. Les escrocs sont parmi nous, qui,dans leurs prêches enflammées glissent parfois les noms de leurs parrains dans les renseignements. Macky Sall s’en délecte….

Et tu déniches, en nez creux, les chasseurs de buzz, qu’il a commandités, avec des houspilleurs, pour casser la dynamique autour de ton nom, qui ne cesse de rallier à ta magnanimité des foules de plus en plus nombreuses.

De cyniques profitards, y compris dans ce métier infiltré et vampirisé, de fatuité, n’ont été à la marche qui t’était destinée voici près d’une semaine que pour se faire du buzz, tout en faisant le sale boulot pour lequel ils sont payés. Suivez mon regard, hélas….Le ver est dans le fruit.

Tu dois surtout te sentir énervé mais impuissant de constater le silence aussi lourd que soudain de cette foule de fans qui te hurlaient leur admiration à chaque fois que, dans ton engagement public, tu agissais en leur nom, portant au loin, et au coeur du pouvoir, leurs aspirations.

Où sont-ils donc passés ? Nul ne le sait? Qui étaient-ils en vérité? D’authentiques ou de faux soutiens?

Tu t’énerves davantage pour n’avoir pas agi en stratège. En te donnant une liberté provisoire, le 14 décembre, plus par souci d’endiguer les manifestants qui allaient l’exposer devant les dirigeants Américains et Africains, réunis à un Sommet à Washington, le principal commanditaire de ta capture en plein jour, inédite dans l’histoire du Sénégal, avait cependant pris le soin de l’assujetir à un contrôle judiciaire.

C’était pour mieux s’assurer qu’il pouvait te faire encore coffrer dès qu’il aurait quitté la terre d’Amérique où il savait que le risque était réel pour lui d’être dénoncé par les voix de liberté qui continuent d’y avoir une influence sur les acteurs politiques locaux, jusqu’au locataire de la Maison Blanche.

Tout le monde se demande, toi en premier maintenant, je n’en doute pas, pourquoi tu n’as pas rusé pour prendre le large et te mettre dans un lieu extérieur au Sénégal d’où tu pouvais mener ton combat qui te tient à coeur!

Etait-ce par naïveté? Par sentiment que le peuple, les forces sociales, surtout religieuses, et la communauté internationale ne laisseraient pas le tueur qui trône à la tête du Sénégal s’en prendre à ta personne?

Nous ne sommes pas ici pour te pousser à nourrir le plus petit regret. Parce que ton rôle dans la société, ta contribution citoyenne, ton sens du sacrifice au profit de la collectivité, font que tu mérites une mobilisation générale. Non seulement pour te sauver mais tirer le pays, sa démocratie, en danger de mort, en commençant par notre peuple qui, au-delà de tout, reste la cible de tes geôliers.

Je t’écris donc ce matin, Pape Alé, pour te demander d’être fort. Et d’abord prudent. De la prison à l’hôpital, tu es menacé.

La chambre carcérale est certes spartiate. On sait qu’il s’y passe même des tortures mortelles. Les gardes pénitentiaires, malgré leur apparente bonhomie, expression de leur propre pauvreté matérielle qui torture leurs esprits, ont cependant été formés pour faire mal, jusqu’à tuer ou torturer ou détruire.

C’est en cela que les prisons sont devenues au Sénégal des fabriques de déchets sociaux.

Dans ton cas, un autre danger guette: c’est cette prison à ciel ouvert qu’est l’hôpital principal où, au fil des ans, on ne compte plus le nombre de personnes qui y ont été assassinées, selon la rumeur. On parle de Sidy Lamine Niasse, Alioune Badara Cissé ou encore Jean-François Mancabou…

Ne sois pas une autre statistique. Reste éveillé. Le pays a besoin de toi. La lutte ne fait que commencer. Nous n’avons pas vocation à être une dictature sous les pieds d’un médiocre parvenu, point sombre dans la marche d’une histoire nationale autrement ponctuée de points lumineux.

Le jour se lève ici. Sans soleil. Le ciel reste nuageux. Je t’aurais envoyé un bouquet de soleil, en bouclant cette lettre. Ce n’est que partie remise, cadet de valeur, sois fort…We need you, alive! Au nom du peuple.

*Adama Gaye est un ancien détenu à la prison de Rebeuss, illégalement arrêté par le régime de Macky Sall. Il vit en exil. »

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