Depuis une vingtaine d’années, notre rapport à l’information a considérablement évolué, en raison d’un bouleversement des canaux par lesquels on y accède : elle est aujourd’hui surabondante, dérégulée, venant à nous sans effort, partout et tout le temps.
Nous vivons à l’ère de l’infobésité, dont les réseaux sociaux numériques ne sont pas les moindres responsables.
Désormais, l’enjeu pour nos sociétés n’est plus seulement l’accès à la connaissance, mais la capacité à trier, à qualifier et à s’approprier une information omniprésente, afin de pouvoir construire aussi librement que possible un avis fondé.
Autant de réquisits qui mobilisent une capacité proprement humaine, l’esprit critique, fortement lié à la culture scientifique.
La démarche expérimentale, au cœur des sciences, est une manière de développer son esprit critique ; celui-ci, en retour, a besoin d’être nourri de science. Sans de solides bases scientifiques, on peut douter de tout, voire sombrer dans le conspirationnisme.
L’exercice de la citoyenneté requiert vigilance, discernement et disposition
Exercer sa citoyenneté suppose de la vigilance et du discernement, sans quoi nous risquons toujours le joug de nouvelles tyrannies.
L’heure est aux extrêmes avec des résurgences d’opposition politique aux allures de manichéisme obtus, une opposition sans nuances, un dualisme absolument radical entre le bien et le mal.
À qui et à quoi se fier ? Sait-on encore enseigner et défendre l’esprit critique ?
Doit-on craindre son affaissement dans l’espace public ? Et comment en faire un commencement, dans une démarche exploratoire, et non une fin en soi, une simple arme de déconstruction ?
« Ce n’est pas assez de critiquer son temps » écrivait Albert Camus, « il faut encore essayer de lui donner une forme, et un avenir. »
Pourtant, contrairement aux idées reçues, la réalité ne se décline pas uniquement en deux ultimes possibilités. Le monde est une mosaïque de potentialités. L’époque est donc manichéenne au mauvais sens du terme, mais cela ne nous empêche pas de comprendre à quoi nous devons nous opposer pour résister au pire.
Dans les discours politiques sur le sujet de l’esprit critique, on se concentre généralement sur les compétences et les connaissances.
Les dispositions sont peu évoquées, probablement car elles sont difficiles à évaluer. Pourtant, elles sont l’enjeu majeur de l’éducation à l’esprit critique.
Nous avons souvent une vision idéaliste du penseur critique qui serait isolé et critique sur le monde qui l’entoure en tout temps et en tout lieu. Ce n’est pas du tout conforme à la réalité. Certains auteurs argumentent pour faire ressortir l’aspect relationnel de l’esprit critique, trop peu évoqué surtout concernant les dispositions pour éviter les écueils tels que le raisonnement motivé ou l’absence de prise en compte du contexte d’un argument.
Avoir l’esprit critique, c’est avoir l’esprit ouvert.
Nous aurions du mal à penser que faire preuve d’un esprit ouvert puisse être négatif d’une quelconque manière.
Respecter l’autre et ses idées, et être capable de changer d’idée, devrait certainement faire partie des compétences du bon penseur critique, en plus de faire respirer la démocratie. En réalité, le problème avec le fait de rester ouvert, c’est que nous pouvons ne plus savoir quand il faut s’arrêter. Devons-nous, par exemple, remettre en question une idée parfaitement solide, simplement parce que quelqu’un n’est pas d’accord ? Devons-nous faire l’effort de considérer toutes les idées comme légitimes, alors qu’une partie d’entre elles sont soutenues par des preuves objectives ?
Comprendre par l’exemple
Il est utile de savoir que la «stratégie du doute » est devenue un outil puissant utilisé à des fins de manipulation de l’opinion publique.
Cette stratégie a notamment été adoptée pour décrédibiliser les résultats scientifiques massivement concordants concernant l’effet du tabac sur la santé ou les effets des activités humaines sur le réchauffement climatique.
Dans les deux cas, les résultats étaient très convaincants du point de vue des preuves scientifiques. Les opposants au retour à une certaine écologie politique, dont les multinationales et autres soutiens oligarchiques ont donc cherché à convaincre le grand public et les décideurs que, même si ces résultats n’étaient pas faux, ils n’étaient pas la « seule vérité », que l’opinion des scientifiques n’était pas consensuelle, qu’il était important d’être sûr à 100 % avant de prendre d’importantes décisions.
Dans le cas du tabac, cela a induit le retard d’une prise de conscience sociétale de ses effets sur la santé, pourtant avérés d’un point de vue scientifique. Avec un indéniable impact en termes de vies humaines à la clé.
Esprit critique entre activité épistémique et paradigme évaluatiste
Faire preuve d’esprit critique est une activité épistémique qui nécessite des interactions avec autrui et qui ne s’enclenche pas automatiquement par le simple fait que nous possédions certaines compétences critiques. Cela s’intègre au sein de stratégies qui visent un but commun : favoriser l’intérêt, la motivation, le désir des apprenants à devenir de bons penseurs critiques, c’est-à-dire des penseurs critiques visant l’autonomie intellectuelle.
Ces différentes approches et stratégies permettent, selon plusieurs études empiriques, de favoriser le développement des croyances épistémiques vers un stade évaluatiste.
La finalité étant l’acquisition de meilleures compétences, de dispositions primordiales et la mise en place d’une argumentation de grande qualité. Malheureusement, la question reste de savoir comment concilier l’éducation à l’esprit critique avec le respect des programmes scolaires en place dans notre pays?
À l’aide de ces éléments, on comprend plus largement l’intérêt d’une éducation à l’esprit critique notamment pour impulser le véritable changement de paradigmes tant appelé par nos nouveaux gouvernants.
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