La pilule que doit avaler Kiev est amère, pourtant la Russie a fait quelques modestes concessions. Source : Responsible Statecraft, Mark Episkopos, Marcus Stanley, Les-Crises.

Sur le champ de bataille ©AFP or licensors
Mark Episkopos est chercheur Eurasie au Quincy Institute pour Responsible Statecraft. Il est également professeur adjoint d’histoire à l’université Marymount. Episkopos est titulaire d’un doctorat en histoire de l’American University et d’une maîtrise en affaires internationales de l’université de Boston.
Marcus Stanley est directeur des études au Quincy Institute pour Responsible Statecraft. Avant de rejoindre le Quincy Institute, il a passé dix ans chez Americans for Financial Reform [Americans for Financial Reform est une organisation non partisane à but non lucratif de plus de 200 organisations de défense des droits civiques, syndicales, de consommateurs, communautaires, confessionnelles, commerciales et autres qui œuvrent à la transformation du système financier afin qu’il serve une économie équitable et durable, Ndt]. Il est titulaire d’un doctorat en politique publique de Harvard, avec une spécialisation en économie.
Les efforts visant à trouver une solution diplomatique à la guerre en Ukraine ont suivi un cours tortueux au cours des derniers mois. Après une période d’optimisme en août avec le sommet Trump-Poutine en Alaska, l’administration Trump, irritée de ne pas pouvoir obtenir un cessez-le-feu immédiat, en est revenue à des sanctions plus intenses et à des menaces sur le plan militaire.
Les États-Unis présentent maintenant un nouveau plan de paix en 28 points, accompagné de garanties de sécurité pour l’Ukraine de la part des États-Unis et de l’Europe. Bien que la Russie n’ait pas explicitement approuvé le projet, le fait que le négociateur russe Kirill Dimitriev en ait révélé les termes auprès des médias américains indique un fort degré d’accord par la Russie. S’il était également accepté par l’Ukraine, ce plan ouvrirait la voie à un cessez-le-feu immédiat et à un règlement à long terme du conflit.
La démarche des États-Unis consistant à élaborer un plan de paix détaillé tient compte d’une réalité fondamentale de la situation, à savoir le rôle indispensable que jouent les États-Unis en matière d’initiative diplomatique et de leadership pour mettre fin à la guerre. Cette dernière constitue un conflit sécuritaire multidimensionnel entre l’Occident, mené par les États-Unis, et la Russie. Ainsi, bon nombre des aspects sécuritaires à l’origine du conflit ne peuvent être gérés par l’Ukraine seule. Étant donné que les Russes ont l’avantage sur le champ de bataille, ils n’auraient jamais accepté un cessez-le-feu sans avoir l’assurance que leurs besoins fondamentaux en matière de sécurité seraient pris en compte au même titre que ceux de l’Ukraine.
Non seulement c’est ce à quoi répond ce plan, mais il fait appel au poids diplomatique américain pour obtenir de la Russie des concessions majeures qui favoriseront la sécurité et l’indépendance à long terme de l’Ukraine. En effet, même si la plupart des médias américains et européens ne le présenteront probablement pas ainsi, il serait juste de qualifier ce plan comme une victoire obtenue grâce aux États-Unis pour l’Ukraine et pour la stabilité mondiale dans cette guerre longue et brutale. La réussite de sa mise en œuvre permettrait de doter l’Ukraine d’une sécurité et d’un alignement occidental solides sur environ 80 % de son territoire de 1991.
Le premier point clé sur lequel la Russie fait des concessions concerne la question centrale qui a déclenché le conflit entre la Russie et l’Ukraine en 2014, à savoir l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Le plan précise que l’Ukraine est éligible à l’adhésion à l’UE et bénéficiera d’un accès préférentiel aux marchés européens pendant la période de statut de pays candidat. Cela marque de manière irréfutable l’alignement politique et économique de l’Ukraine sur l’Occident, sans pourtant ignorer les préoccupations de la Russie en matière de sécurité concernant l’OTAN. C’est précisément le différend sur cette question qui a déclenché le soulèvement de Maïdan en 2014, et la Russie y a désormais renoncé.
Les concessions russes se poursuivent dans le domaine de la sécurité ukrainienne. Lors des négociations d’Istanbul en 2022, au tout début de la guerre, la Russie a exigé que l’armée ukrainienne soit limitée à quelque 80 000 soldats, un nombre largement insuffisant pour se défendre contre une agression russe. Au cours de ces mêmes négociations, l’Ukraine elle-même avait demandé une armée permanente de 250 000 soldats. Aujourd’hui, le plan en 28 points actuel autorise l’Ukraine à disposer d’une armée permanente de 600 000 soldats, soit plus du double de ce que l’Ukraine avait demandé lors des négociations de 2022 et près de huit fois la demande russe.
Bien que ce chiffre soit inférieur à l’effectif actuel de l’armée d’active ukrainienne en temps de guerre, qui compte plus de 700 000 soldats, ce niveau n’est certainement pas soutenable en temps de paix. Une armée ukrainienne de 600 000 soldats serait de loin la plus importante d’Europe (hors Russie). Elle serait en effet plus importante que les armées britannique, française et allemande réunies. La puissance militaire de l’Ukraine serait encore renforcée par une garantie de sécurité distincte, à savoir la garantie d’intervention et le soutien des États-Unis et de l’Europe en cas d’attaque russe.
Les domaines de l’accord les plus susceptibles d’être qualifiés de concessions ukrainiennes sont ceux qui concernent le territoire. Cependant, même les dispositions territoriales comptent des concessions russes notables par rapport aux récentes exigences de la Russie et certainement par rapport à l’objectif initial de la Russie, qui était de prendre le contrôle politique des principales régions de l’Ukraine.
Fin 2022, la Russie a revendiqué l’annexion officielle de quatre oblasts ukrainiens en plus de la Crimée. Dans l’accord présenté actuellement, elle renonce à exiger le retrait de l’Ukraine des territoires non conquis dans deux de ces oblasts. Au lieu de cela, C’est seulement dans un seul oblast, celui de Donetsk que l’Ukraine se retirerait des territoires non encore conquis, ce qui correspond à environ 1 % par rapport aux frontières de l’Ukraine de 1991. Mais surtout, et c’est une concession majeure par rapport aux positions russes d’il y a ne serait-ce que quelques mois, la Russie n’occupera pas cette région, qui restera une zone démilitarisée.
Il est évident que les dispositions territoriales prévues ici ne rétabliront pas les frontières de l’Ukraine d’avant 2014. Mais cette exigence s’est avérée irréalisable au vu des quatre années de cette guerre meurtrière. Laisser les territoires conquis par les Russes entre les mains de ces derniers et reconnaître de facto ces territoires comme russes sera sans aucun doute une pilule difficile à avaler pour l’Ukraine. Mais étant donné que la Russie a perdu des millions de victimes dans la guerre pour ces territoires, il était irréaliste de réclamer l’inverse.
Ces concessions sont loin d’être les seules concessions russes figurant dans le document. Par exemple, la Russie accorde 100 milliards de dollars provenant d’actifs russes gelés pour la reconstruction de l’Ukraine. Même de nombreuses dispositions qui reflètent les objectifs déclarés de la Russie, telles que la liberté de religion (vraisemblablement en faveur de l’Église orthodoxe russe), la reconnaissance des minorités ethniques et le rejet de l’idéologie nazie, ne font que mettre les valeurs d’une Ukraine alignée sur l’Occident en conformité avec les normes plus larges de l’Union européenne. La Suite ICI








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