Laure Malécot: « Je suis une grande rêveuse qui croit à la puissance du nombre »

Depuis trente ans, Laure Malécot explore le monde, traverse les océans, questionne les identités à la recherche de la rencontre symbiotique pour parler comme l’historien doxkat et philosophe des lieux Abdarahmane Ngaïdé. Artiste plasticienne, ecrivaine, journaliste, professeure de cinéma, réalisatrice et monteuse, Laure Malécot danse avec les arts et met son talent à l’epreuve des vents et des mouvements. Elle ne s’arrête jamais. Croisée au Relais où elle exposait ses toiles pour le ÛFF initiée par l’artiste Alpha Moalareni, elle s’est posée quelques instants pour répondre aux questions de Kirinapost. 

Laure Malécot: « Je suis une grande rêveuse qui croit à la puissance du nombre », Information Afrique Kirinapost

ÛFF se poursuit avec Laure Malécot et le cinéaste Bamba Diop à Ngor. Keur Yaadikoone Hôtel vous recevra ce week-end pour une projection et un concert jam jamaat.

Kirinapost : Que direz-vous pour vous présenter ?

Laure Malécot : Je suis une artiste pluridisciplinaire qui vit au Sénégal, pays avec lequel j’ai un attachement profond depuis très longtemps.

Kirinapost: Comment devient-on artiste pluridisciplinaire ?

Laure Malécot : Je ne pense pas qu’on le devienne. Dès que j’ai su tenir un stylo, j’ai dessiné, écrit des nouvelles, et j’ai continué pendant l’adolescence, en ajoutant la peinture. Puis, j’ai eu le sentiment que le cinéma réunissait l’écriture et le goût de l’image.

D’après ma mère (qui aurait voulu être musicienne professionnelle), être peintre ou écrivain, ce que je voulais faire étant enfant, c’était directement la voie de la misère. Adolescente, je me suis dit que le cinéma était un art et une industrie, donc qu’il était possible d’en vivre décemment. J’ai donc fait des études de Cinéma à l’Université de Paris 8, ce qui ne m’a pas empêché de continuer à peindre et écrire des histoires, des scénarios… Mais le milieu professionnel parisien me demandait de choisir. Je ne comprenais pas pourquoi. Je me suis rendue compte que c’était un problème franco-français, voire francophone. Dans les pays anglo-saxons par exemple cette pluridisciplinarité n’est pas un débat. Pour diverses raisons, j’ai quitté le monde du cinéma français en 1997 et suis arrivée au Sénégal. Là, j’ai rencontré des artistes qui étaient aussi pluridisciplinaires, entre autres Bouna Medoune Seye, Joe Ouakam, cette mouvance du Laboratoire Agit’Art. Je me suis sentie comprise, constatant que cela ne dérangeait personne ici.

Laure Malécot: « Je suis une grande rêveuse qui croit à la puissance du nombre », Information Afrique Kirinapost

Laure Malécot, une autrice engagée

Kirinapost: Priorisez-vous plus une discipline que les autres ?

Laure Malécot : Non, c’est un processus complémentaire. Je ne peux pas tout exprimer par écrit. Les mots sont trop … rigides ! Certaines sensations, émotions fortes… passent plus facilement par le biais de la peinture…ou du film.

Le plus souvent j’alterne. Il peut m’arriver d’écrire, ou de monter un film, et à un moment d’avoir besoin de faire une pause, peindre, et que cela déclenche une idée pour le texte en cours. Aussi, quand vous êtes dans la fabrication d’un film, cela ne se fait pas d’un bloc. Après l’écriture, en attendant les financements, il peut se passer longtemps. Une fois le film sortit, il y a un temps mort, forcément, avant de trouver l’idée du prochain, et l’envie ! Ce sont des moments que je consacre à l’écriture et à la peinture, ce qui fait que je ne m’ennuie jamais et n’aie pas non plus l’impression d’attendre quoique ce soit. Toutefois, je peux y consacrer des périodes intenses, pour préparer une exposition ou achever un manuscrit, monter un film…

« Pour faire un film, il vaut mieux ne pas attendre des financements extérieurs »

Kirinapost : Vous avez réalisé le documentaire Iya tundé, la Mère est revenue, en hommage à la danseuse et chorégraphe Germaine Acogny. Pouvez-vous revenir sur le but et le processus du film ?

Laure Malécot : D’abord, je l’ai rencontrée par hasard. Je n’avais jamais entendu parler d’elle. C’était à une réunion préparatoire d’un événement autour des cultures urbaines. Et soudain, je la vois, grande, la tête rasée, avec une aura naturelle, une autorité innée, demander de ne pas oublier les anciens… Je demande qui est cette dame, et on me répond avec un air de déférence : « C’est Germaine Acogny ». Je cherche sur le net, apprends qu’elle est liée à Maurice Béjart, qui était l’un des rares chorégraphes que je connaissais, et admirais d’ailleurs, grâce à un film de Claude Lelouch, Les Uns, Les Autres, dans lequel il y a une superbe scène du Boléro de Ravel. J’étais alors journaliste pour un magazine féminin sénégalais, Actu’elle, pour lequel je l’ai interviewée. Je n’avais que deux pages, il fallait donc que ce soit court ! Au cours de l’entretien, la dame me fascine. Après l’interview, nous restons deux heures à discuter, nous découvrons des points communs, entre femmes, artistes, dans nos parcours d’enfance. Elle m’invite à la voir un week-end et petit à petit, nous devenons amies, dans un rapport mère-fille « de cœur ». À l’époque, je collaborais sur des scénarios avec Moctar Ndiouga Ba, producteur, qui, apprenant que je la fréquentais me demanda pourquoi je ne ferais pas un film sur elle. Je n’étais pas dans cette démarche, et surtout étais persuadée qu’il y en avait forcément déjà. Mais quand j’en ai parlé à Germaine Acogny, à ma grande surprise elle m’a dit que non. Certains réalisateurs l’avaient sollicitée mais, faute de financement, rien n’avait été fait. Je découvris par la même occasion qu’il n’y avait pas non plus de livre sur elle, alors que cette icône de la culture a inventé une technique de danse, formé de grands chorégraphes, fait le tour du monde…Quand je lui ai demandé si elle acceptait que je fasse un film sur elle, elle a accepté. Cela a été une grande responsabilité à assumer.

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Laure Malécot en pleine réalisation

Kirinapost : L’univers de la danse vous intéressait- il à cette époque ?

Laure Malécot : Pas particulièrement. Ce qui me fascine chez Germaine Acogny, c’est la philosophie qui entoure sa danse, son rapport à la nature, sa spiritualité, son rapport à l’histoire, à la colonisation, à la décolonisation des esprits qu’elle parvient à faire passer à travers sa technique de danse. Tout cela m’intéressait au plus haut point.

Kirinapost: Trouver les financements a-t-il été facile ?

Nous n’en avons jamais trouvé, mais nous avons continué, avec Moctar Ndiouga Ba, et les moyens du bord.

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Laure Malécot a réalisé le premier film-documentaire fait sur la grande chorégraphe Germaine Acogny

Kirinapost: Étiez-vous satisfaite du résultat ?

Laure Malécot : D’abord j’ai été un peu submergée par la masse de rushs ! 15 heures d’interviews de personnes qui l’avaient connue, avaient travaillé avec elle, 10 heures d’archives de spectacles, et, au fur et à mesure, les nouvelles créations. Je ne pouvais pas tout mettre dans le film.

Kirinapost: Comment trancher ce dilemme ?

Laure Malécot : J’ai eu la chance que les éditions Vives Voix me proposent, dans le cadre de la collection Figures, sur les grands personnages sénégalais, d’écrire la biographie Danser l’Humanité, qui m’a permis d’utiliser ces témoignages qui ne parlaient pas seulement de Germaine Acogny mais aussi de toute une époque, depuis les années 40.

J’ai donc pu centrer le film plus sur son processus de création, comment elle collabore avec les autres…Cela me tient aussi vraiment à cœur, de montrer qu’être artiste est un travail et un effort. Un travail chorégraphique, c’est complexe, se tisse sur le temps, pour arriver à une fluidité et une justesse dans le propos.

Kirinapost: Combien de temps a duré la réalisation de ce film ?

Laure Malécot : Quatre ans. J’ai commencé à la filmer en 2014, l’année où elle a décidé de plus se consacrer à sa carrière personnelle qu’à la formation. Elle venait d’avoir 70 ans et ce n’est qu’à cet âge qu’elle se consacrait pleinement à sa carrière personnelle ! Ce qui m’a aussi fasciné est que ce n’est pas une artiste centrée sur son ego, sa carrière. Elle a passé les trois quarts de sa vie à former des danseurs et des chorégraphes. Le suivit des créations en cours, A un endroit du début et Mon Elue Noire nous a amené jusqu’en avril 2017. Je montais parallèlement, donc le film est sorti en juin 2017.

Laure Malécot: « Je suis une grande rêveuse qui croit à la puissance du nombre », Information Afrique Kirinapost

Documentaire de Laure Malécot et illustration de Djib Anton

Kirinapost: Quelques années après votre film, son école a failli fermer ses portes faute de financements …

Laure Malécot : Lorsque nous avons commencé le tournage, le financement en était déjà compliqué, car l’Ecole des Sables ne comptait que sur des financements extérieurs, essentiellement européens. Il faut préciser que l’école offre des stages à des jeunes danseurs africains, 50 personnes en résidence pendant trois mois, qui deviennent ainsi professionnels. Ces dernières années, ils ont eu des financements et finalement l’école est sauvée. Parallèlement, Germaine a reçu de nombreuses récompenses. Elle a reçu le Lion d’or de la Danse à Venise, des prix aux États-Unis, et je pense que cela a beaucoup aidé à renflouer les finances de l’école qui aujourd’hui est sur la bonne voie, ce qui est une excellente nouvelle.

« L’humain a perdu contact avec la nature » 

Kirinapost : Le film est sur Germaine Acogny, sur l’écologie aussi…

Laure Malécot : Forcément, car la nature fait partie intégrante de la technique et de la pensée de Germaine Acogny. Tous ses mouvements ont des noms d’animaux, de plantes. Tout est lié à la nature dans ce qu’elle fait. Or, l’humain a perdu contact avec la nature et est en train de couper la branche sur laquelle il est assis, pour utiliser un cliché. C’est fondamentalement de cela qu’il s’agit : un écocide en terme scientifique. Il est donc urgent de se rappeler l’interconnexion vitale de l’humain avec son environnement naturel, et qu’il faut en prendre soin, car sans elle, nous ne sommes rien.

Kirinpost : Vous avez parlé d‘écocide. C’est une des grandes luttes du moment ?

Laure Malécot : Je suis persuadée que nous ne pouvons plus espérer de ceux qui sont en haut de la hiérarchie sociale qu’ils fassent changer quoi que ce soit, car ils ne sont motivés que par le profit. C’est à nous tous d’entrer en action. Je suis une grande rêveuse qui croit à la puissance du nombre. Nous, simples citoyens, sommes beaucoup plus potentiellement puissants qu’on ne le pense. Mais pour cela, il faudrait que nous ayons conscience de la gravité de la situation. C’est de la responsabilité de chacun de faire attention à la nature, planter des arbres, consommer, voyager différemment. L’important, à mon sens, ce sont les expérimentations, ces microsociétés qui testent d’autres manières de vivre. Ce sont elles qui nous sauveront quand la situation sera vraiment catastrophique.

Kirinapost : Dans ce domaine-là, quel est le rôle de l’activité artistique ?

Laure Malécot : La prise de conscience. C’est tout ce qu’on peut faire, choquer par les images, faire réfléchir, inciter à l’action. Cela peut passer par la valorisation de certaines personnalités, événements, modes de fonctionnement, valeurs, idées, qui pourraient nous faire avancer. Ce que j’ai fait un peu aussi dans mon documentaire Anima, Toute vie est une vie (2020, 26mn), sur l’éco féminisme, c’est-à-dire l’écologie et le féminisme, intimement liés.

Kirinapost : C’est pour cela que vous défendez le cinéma indépendant ?

Laure Malécot : Oui, je pense vraiment que c’est ainsi que l’on peut vraiment s’exprimer. Nous sommes arrivés, en audiovisuel, au stade où des producteurs disent qu’il faut ajuster un scénario ou un conducteur de documentaire en fonction du financeur, ce que je trouve désolant. Si on écrit pour les financeurs, on n’écrit plus pour le public, ni réellement ce qu’on a envie. On écrit pour de l’argent, et pour des gens qui sont à 6000 kilomètres de nos réalités (car les financements viennent pour beaucoup de France). Ce n’est pas réaliste de demander à des gens, depuis leur bureau à Paris, d’être sensibles à ce qui nous touche au Sénégal. Ils ont forcément d’autres intérêts politiques, économiques, des enjeux idéologiques, qui ne sont pas les mêmes. Ils n’ont pas les mêmes objectifs.

Avec Daara J et Biba Arif , pendant l'émission Résonance Africaine à Paris (animée de 2008 à 2012)

Laure Malécot journaliste radio, recevant Daara J et Biba Arif à l’émission Résonance Africaine à Paris (animée de 2008 à 2012)

De plus, le cinéma indépendant a, depuis toujours, grandement fait évoluer le cinéma, en termes d’inventivité. Par exemple, un des réalisateurs qui a le plus révolutionné l’écriture scénaristique, le jeu d’acteur, le cadrage, c’est John Cassavetes. Un comédien qui un jour s’est levé, a vidé son compte en banque, acheté une caméra, installé un studio de montage dans sa cave, appelé ses amis comédiens, et a tourné dans sa maison. Il a réalisé parmi les meilleurs films de l’Histoire du cinéma. Les exemples de ce genre sont multiples. Dans les années 70, ce sont les films indépendants, avant-gardistes, qui ont fait exploser les codes., comme les films surréalistes financés par des mécènes dans les années 20/30. L’avantage des mécènes, et la plupart des financeurs privés, est qu’ils n’interviennent pas dans le contenu. Ils mettent de l’argent en échange de leur logo au générique, point. C’est le mode de production de Marodi par exemple, dont les séries s’améliorent d’année en année en termes de qualité.

Comment soutenir le cinéma indépendant ?

En développant le financement participatif. Par exemple, en France, quand on commence dans le cinéma, souvent on fait l’ « entrée en participation » : un technicien ou un acteur se fera payer moins que le tarif normal, et le reste entrera en participation dans la production. A chaque diffusion du film, chacun touchera sa part. Ça peut être aussi du financement collaboratif. Il y a beaucoup de films en Europe maintenant qui se font par des systèmes de cotisations par Internet, où c’est le public qui met 10 €, 20 € ou plus. Les gens ont leur nom générique, reçoivent un DVD ou un lien du film, etc…suivant leur participation. Quand j’entends certains réalisateurs dire attendre des financements, principalement de l’étranger, avant de faire quoique ce soit, cela me désole un peu, même si je sais que nous sommes dans un contexte matériel difficile. Mais pendant qu’on attend, le monde, le pays évolue, et la prise de conscience qu’on voudrait provoquer risque de ne plus servir à rien, de ne plus correspondre au réel. Or, ce qui est beau aussi dans le cinéma, est que souvent ça part d’un sentiment d’urgence. Ce qui est contradictoire, c’est qu’un film met des années à être produit, réalisé, monté. En ajoutant la difficulté de la recherche de financement, ça peut durer dix ans, et surtout, cela fait que beaucoup de films ne se font jamais. Heureusement certains ont le courage de se lever et de prendre, ne serait-ce que leur téléphone, pour filmer, ce qui n’est pas l’idéal, mais permet de démarrer. En s’entraidant nous pouvons voir plus grand et être indépendants.

Comment voyez-vous l’évolution du cinéma ? Est-ce positif ? Est-ce que ça stagne ? Parce qu’on a connu des vagues…

Il y a une belle résistance car malgré toutes les difficultés, chaque année des films sortent, ce qui est à saluer. De jeunes réalisateurs et réalisatrices se font connaître… Mais je trouve que, mondialement, dans la forme, on manque d’audace. Quand vous regardez le cinéma de Djibril Diop Mambety, de Ben Diogaye Beye, dans la forme et le fond, il y avait une originalité qui amène la profondeur de la réflexion. D’ailleurs, le cinéma des années 70, dans le monde entier, était majoritairement extrêmement inventif. Bizarrement, nous avons beaucoup régressé. Au Sénégal, comme dans le reste du monde, la majeure partie de la production, c’est de la série télé, ce qui n’est pas qu’un genre. C’est un mode de fonctionnement, une budgétisation à minima. Nous ne sommes pas encore au stade des Etats-Unis où certaines séries sont dignes de films de cinéma version très longs métrages. Nos budgets sont trop minces pour certains scénarios. Il faut adapter les histoires aux moyens disponibles, être inventifs et solidaires.

« L’histoire du Sénégal est pleine de personnages qui mériteraient un biopic »

Kirinapost : Occident, les films historiques sont nombreux ; nous avons un problème sur l’Histoire….

Laure Malécot : Effectivement, revaloriser l’Histoire africaine, c’est très important. Celle du Sénégal est pleine de personnages extraordinaires, et pourtant, quasiment rien…. Sembene, avec Ceddo, par exemple, et quelques autres films historiques, mais il n’y en a pas assez. Mo Sow vient de réaliser 1776, sur Thierno Souleymane Baal et la révolution du Fouta. On avance… doucement. Mais il ne faudrait pas attendre que les Américains s’empare de ces histoires, comme The Woman King pour les Amazones du Bénin, qui à mon sens, en termes d’éthique, est un scandale. On peut objecter que les films historiques coûtent cher. C’est vrai, mais les costumes dans le contexte africain ne sont pas si coûteux. Nous avons encore des traditions, dans les tissus par exemple, qui ont perduré. Le plus difficile serait la reconstitution de décors, et des batailles. Par exemple, j’ai travaillé sur un projet autour de Kanka Musa. La plus grande difficulté était que beaucoup de lieux, mosquées et palais qu’il a fait construire ont été détruits. Mais grâce à l’image de synthèse, il est possible de les recréer.

Kirinapost : Que manque-t-il finalement pour aller vers ça ?

Laure Malécot : Le courage des producteurs ! Et aussi, des scénaristes capables de travailler avec des historiens. Par exemple, j’ai travaillé sur un scénario sur Lat Dior – un pilote a été fait depuis -. Nous étions deux scénaristes et avions collaboré avec un historien. Nous avons attentivement lu sur le contexte de l’époque… Scénaristes, ce n’est pas juste imaginer et enchaîner les séquences. C’est aussi un travail de réflexion. Donc, il faut des scénaristes capables de cette curiosité-là. La problématique, c’est d’abord d’écrire, ce qui prend du temps. Et pour cela, il faut de l’argent, donc que ce genre de films soient financés, par exemple par le FOPICA. J’ai confiance dans la génération qui vient, aussi dans ceux de ma génération qui travaille actuellement. Après, il ne faut pas oublier l’importance de filmer aussi sa contemporanéité. Cela permet aux gens de se construire, de mieux se comprendre. Et le contemporain est foisonnant.

Laure Malécot: « Je suis une grande rêveuse qui croit à la puissance du nombre », Information Afrique Kirinapost

Transcendance ÛFF- Texte d’Abdarahmane Ngaïdé sur ce tableau : « L’effritement du territoire ou du chemin résultant pour nous en des mots qui le disent, s’efforçant d’agrandir la trouée ou d’allonger le pas, de préciser la touche. »

Kirinapost : C’est plus que foisonnant. Par exemple la Biennale montre au monde que Dakar est une ville de culture.

Laure Malécot : C’est certainement pour cela que je suis là. J’ai été particulièrement marquée par l’exposition à l’ancien Palais de Justice, surtout la partie des commissaires d’exposition : On s’arrêtera quand la terre rugira, et qui, d’ailleurs, parle en partie d’écologie, de conscience, etc. Je trouve qu’il y a quelque chose d’extrêmement touchant dans cette scénographie. Cela m’a donné un tel choc émotionnel que j’ai dû sortir ! Je ne crois pas que les éditions précédentes aient été aussi émotionnellement fortes. Il faut rendre hommage à la directrice artistique Salimata Diop. Un vrai travail de fond a été fait sur ce que nous disions précédemment, l’impact, la conscientisation, la popularisation de l’art. C’est cela aussi qui est beau dans cette Biennale : des lieux ouverts à tous pendant un mois, ce qui donne l’occasion aux dakarois de se familiariser avec l’art, d’y amener leurs enfants, ce qui est hyper important et touchant aussi.

Kirinapost : Qu’est-ce que ça vous fait de travailler avec Alpha Moalareni (organisateur de UFF) ?

Laure Malécot : Alpha me fascine, car il fait partie de ces gens qui un jour se lèvent avec une idée et font sans attendre d’aide.

Et il fait ses « ÛFF » !, de plus en plus riches. Pour cette 2ème édition, il y a eu plus d’artistes. La scénographie était meilleure. J’aime bien participer à ce genre d’événements car cela amène l’art vers la population, en l’occurrence ici le Relais, un lieu mythique…et populaire. Cela m’intéresse plus que d’exposer dans une galerie « hype ». Cela me rappelle la galerie de l’île de Ngor fondée par Gaston Madeira. Alpha me fait un peu penser à lui. Gaston n’attendait pas non plus qu’on lui finance quoi que ce soit pour agir, et il a fait énormément évoluer l’art contemporain au Sénégal. Il a donné beaucoup de son temps et de sa vie aux artistes pour les soutenir en tant que manager, galeriste, conseiller. J’ai eu la chance qu’il ait été mon manager pendant des années. Il avait fondé les Ateliers de Ngor sur l’île après l’aventure de Netty Guy (les Trois Baobabs), avec Zulu, Kre Mbaye et Moussa Baydi Ndiaye. Nous étions sept peintres. Chaque matin, nous amenions de nouvelles toiles. Il y avait de la vie, un échange. On discutait, on était ensemble. Entre 2000 et 200, nous sommes tous partis. Ce qui est très touchant dans l’histoire de Gaston Madeira, c’est qu’il n’a pas pu continuer à vendre les toiles sans nous. Cela ne l’inspirait plus. Ce qui l’intéressait, c’était être avec les artistes. Sans nous, il avait perdu le goût de vendre, parce qu’il était profondément humain. Son départ est, vraiment, une immense perte.

Laure Malécot: « Je suis une grande rêveuse qui croit à la puissance du nombre », Information Afrique Kirinapost

Laure Malécot en compagnie du producteur et philanthrope Gaston Madeira. Décédé en septembre 2024, il a participé à la carrière artistique de Laure.

Kirinapost : À voir vos toiles exposées ici, le bleu semble être votre couleur préférée…

Laure Malécot : Depuis que je suis petite c’est le cas. Je crois bien qu’un de mes premiers coups de foudre visuel était, en arrivant en Bretagne la première fois, quand j’avais 6 ans, en voyant la mer et le ciel se rejoindre. Cela m’a donné une émotion puissante. Il paraît que le bleu est une couleur spirituelle…

Qu’est-ce que vous racontez en général dans vos tableaux que vous ne contrôlez pas ?

Laure Malécot : Ce que je ne contrôle pas, ce sont ceux qui regardent qui peuvent me le dire.

« Les tableaux, c’est de la magie »

Kirinapost: Quand vous commencez un tableau, savez-vous où vous allez ?

Laure Malécot : Je sais juste qu’il faut que j’extériorise une émotion, sinon, je vais devenir désagréable avec les humains ! (rire) Je peux avoir une image, même très précise, en tête, mais j’évite que ce soit trop figuratif, explicite, afin que chacun soit libre d’interpréter et de ressentir. Je peux, dès la création du support, m’inspirer de la matière, du relief (j’utilise de moins en moins de toiles sur châssis). Puis je vais partir d’une couleur. Si ce que je ressens est violent, je peux la projeter. Si c’est complexe, je vais faire tourner la peinture dans un entrelacement de lignes. Je fais confiance à l’inconscient. Je comprends bien les surréalistes. Suivre les formes. Les formes inspirent des couleurs qui inspirent à nouveau d’autres formes. Finalement, bizarrement, ce qui apparaît ressemble à l’image que tu avais au début en tête, ou/et illustre exactement l’émotion qui te traverse. C’est la magie. Ce qui est encore plus magique, c’est quand les gens regardent et disent quelque chose qui va apporter à ce que tu as voulu dire, mais vu différemment. Ce qui est le cas des textes que Abdarahmane Ngaide* a écrit sur mes œuvres exposées au Relais. Autre exemple, une toile qui s’appelle Tragédie familiale. Pendant le vernissage, à l’école Supimax où j’enseigne l’Histoire du Cinéma, une jeune fille est venue me voir et m’a dit que ce tableau l’avait énormément émue car il lui faisait penser à l’ambiance d’enfermement des familles. Elle en avait les larmes aux yeux. Ce qui me fait le plus plaisir, c’est quand mes toiles engendrent une émotion chez l’autre. Il n’y a rien de plus fort. C’est ce qui nous fait survivre.

Laure Malécot: « Je suis une grande rêveuse qui croit à la puissance du nombre », Information Afrique Kirinapost

Laure Malécot invite au voyage

Kirinpost : Vous avez vécu à Abidjan, vous avez effectué plusieurs séjours au Mexique…vous vivez actuellement au Sénégal…vous avez des origines marocaines…quelle est la part de chacun de ces endroits-là dans votre construction ?

Commençons par le Mexique. Suite à la lecture de Terra Nostra de Carlos Fuentes (qui revisite la période coloniale de manière fantastique et baroque), je me suis prise de passion pour ce pays. J’y suis allée pendant deux ans assez souvent (1995/96), y ai fait de magnifiques rencontres, et réalisé mon premier documentaire (Acapulco était un village, Jacinto – 26mn-). Ma maîtrise de Cinéma avait pour sujet les films mexicains de Luis Buñuel.

Le Sénégal, où je suis arrivée en 1997, est ma base, ma famille de cœur, là où j’ai fait mon premier film, édité mon premier livre, exposé pour la première fois mes œuvres. Là où j’ai rencontré les personnes qui m’ont le plus encouragée, dans mon travail et humainement.

« L’Histoire et la culture mexicaine sont fascinantes, la spiritualité, syncrétique, aussi. »

La Côte d’Ivoire …. J’y ai été témoin des événements d’octobre 2000, que j’ai filmé. Cela m’a durablement traumatisée. C’est aussi le pays de mes enfants, donc j’y suis liée à vie, que je le veuille ou non. Même si je ne me suis jamais bien adaptée à la manière de vivre là-bas, la Côte d’Ivoire reste un pays que j’aime. Quant au Maroc.J’ai des origines marocaines, j’ai effectué plusieurs séjours professionnels, j’ai traversé le royaume du nord au sud et sûrement dans mes gènes il y a une part de Maghreb mais ma construction s’est faite en Côte d’Ivoire, au Sénégal en France et au Mexique.

Kirinapost: justement revenons sur l’étape mexicaine, dans votre construction…

Laure Malécot : Le Mexique… J’avais 25 ans quand j’y suis allée la première fois. Ce pays m’a bouleversée. Son Histoire m’a vraiment fait prendre conscience de l’horreur de la colonisation, de la spoliation sur laquelle se sont basées les richesses de l’Occident et des dégâts notamment culturels que cela a causé, leurs répercussions jusqu’à présent. Ce pays a été aussi un choc visuel et culturel, une grande histoire d’amour avec l’artiste peintre Frida Kahlo, notamment, et le peuple mexicain. Au-delà des clichés, cartels, violence etc… le peuple mexicain est très accueillant, partageur de sa culture, joyeux, bon vivant. L’Histoire et la culture mexicaine sont fascinantes, la spiritualité, syncrétique, aussi. Un jour, j’entre dans une église à San Cristóbal de las Casas, dans la région des Chiapas, où à l’époque le Sous-commandant Marcos menait une révolution populaire. Je voulais le rencontrer, innocente que j’étais ! Cela n’a jamais eu lieu. Dans cette église, on avait enlevé les bancs, étalé des épines de pin, et sous les saints catholiques, placé les petits fétiches locaux correspondant dans l’idée, les vertus attribuées. La prière s’adressait aux deux. Le syncrétisme religieux est une belle manière de vivre en paix, du moins sur cet aspect-là. Le Mexique m’a profondément marquée et a été le point de départ de ma démarche vers l’Afrique, car j’y ai aussi vu les traces de la culture, de la spiritualité africaine…Par exemple, la Vierge de Guadalupe, à la peau noire, vénérée dans tout le pays, et une certaine forme d’animisme dont je pressentais que la source était juste de l’autre côté de l’Atlantique…et pour cause….

Kirinapost: Votre parcours détermine-t-il vos questionnements sur les identités ? Les migrations, l’avenir, les devenirs ?

Laure Malécot : Effectivement. Pourquoi j’ai choisi de vivre au Sénégal, pourquoi je ne suis pas restée en France….C’est un choix politique. En France, depuis l’enfance, on me demande toujours quelles sont ces origines qui font mes cheveux bouclés et mon teint basané. Je ne peux pas répondre puisque de père inconnu (j’ai su très tard qu’il était marocain). Forcément je me sentais étrangère et ai toujours voulu partir vivre ailleurs. Adulte, je me suis intéressée à la politique, à l’Histoire… la colonisation… l’esclavage…. le néo-colonialisme…la France-Afrique… J’ai eu honte de ce pays qui donne des leçons au monde tout en vendant des armes, etc, etc…En bref, cela me semblait impensable de participer à cette société, cautionner ce système, lui donner ma matière grise et mon énergie. J’ai choisi de mettre cela plutôt au service d’un pays que j’aime et qui me le rend bien, le Sénégal.

Kirinapost: Aujourd’hui, vous faites plein de choses…enseignante, réalisatrice, écrivaine, artiste peintre. Quelle est la prochaine étape ?

Laure Malécot : Surtout ne jamais m’arrêter de faire. Cela m’est vital.

Laure Malécot: « Je suis une grande rêveuse qui croit à la puissance du nombre », Information Afrique Kirinapost

Toujours en quête…

Propos recueillis par Amadou Bator Dieng

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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