Asseoir les bases d’une “ économie souveraine et patriotique “ pour une Transformation systémique de l’économie sénégalaise peut-elle se faire sans la souveraineté monétaire ?
Après beaucoup d’efforts et de coordination par le premier ministre, le référentiel des politiques publiques tant attendu par les populations est mis à la disposition du public pour qu’il en fasse leur propriété. Les élections sont terminées et les résultats prouvent amplement que le peuple s’est approprié le référentiel. La déclaration de politique générale tant attendue a été délivrée par le premier ministre de façon concise et convaincante en expliquant les dérives qui ont mine l’état du Sénégal et qui continuent d’être des contraintes pour une satisfaction immédiate des besoins des populations. L’Assemblée nationale est en train d’examiner la loi de finance rectificative 2024 et la loi de finance initiale 2025. Ce budget doit refléter les objectifs et les orientations du nouveau pouvoir adosses au référentiel.
Au travail maintenant en suivant le cap fixe par le président ; redresser l’économie et la société de façon générale, accélérer le processus de la croissance économique et impulser le développement endogène et durable de l’économie sénégalaise à travers un plan quinquennal, décennal et générationnel. Le budget initial en cours d’élaboration à l’Assemblée nationale, doit refléter cet objectif de transformation de l’économie sénégalaise.
Ce document n’est plus l’apanage du parti au pouvoir mais un document/projet qui est un bien public et de facto se substitue au PSE range aux oubliettes de l’histoire économique du Sénégal malgré les intentions de certains politiciens et journalistes à y voir une continuité du PSE.
Ce référentiel et la déclaration de politique générale ont été portes à l’appréciation du public dans un contexte économique morose caractérisé par un chômage structurel des jeunes , un délabrement des services publics, un délitement du secteur industriel, une pauvreté endémique – conduisant beaucoup de jeunes à une immigration clandestine très risquée – en plus d’une précarité économique et d’un malaise social due à une inefficacité à lutter contre des inondations qui accentuent le mal vivre de la majorité des sénégalais. À cette situation économique et social national, s’ajoute le contexte de mutation des marchés financiers et la dégradation de la position du Sénégal sur les marchés financiers internationaux. Ceci rend la levée des fonds ardue dans le court terme malgré une libre circulation des capitaux internationaux à la recherche de profits, une diversification, et une interdépendance accentuée des marches financiers. La Banque mondiale ajoute que « l’architecture financière internationale actuelle ne serait pas très favorable pour le financement de la transformation structurelle du Sénégal, du fait de la perception du risque sur le marché international des capitaux, des notations défavorables des agences financières internationales » (1) (“LE SENEGAL ENTRE CRISE DE LA DETTE ET SOUVERAINETE ECONOMIQUE”)
Dans un tel climat pas du tout enviable, le référentiel des politiques publiques se manifeste en axes s’articulant à l’effigie/image d’un baobab, en bonne gouvernance et engagement africain, un capital humain de qualité et assurance d’une équité sociale, un aménagement optimal du territoire et développement durable qui conduiront à une économie compétitive.
Voici un programme ambitieux, idéaliste mais réaliste et réalisable qui a pour objectif de faire du Sénégal un pays « souverain, juste et prospère «. Autrement dit l’objectif principal est de promouvoir « un développement endogène et durable , porté par des territoires responsables, viables et compétitifs, et jetant les fortes bases de la souveraineté nationale « (2).Tout sénégalais doit être fier de ce référentiel – qui marque une rupture totale avec les politiques précédentes en mettant l’accent sur un développement endogène- en se l’appropriant et le soutenant malgré les critiques que l’on peut formuler et les recommandations qu’on peut suggérer.
Quant aux objectifs chiffrés la prudence a prévalu. Au lieu de miser sur une croissance endogène à deux chiffres garant d’une amélioration des conditions de vie de la plupart des Sénégalais et d’une possibilité de sortir de la pauvreté beaucoup de ménages comme l’ont si bien réussi des pays asiatiques comme la Corée du Sud, la Chine et bon nombre des pays asiatiques du Sud Est, le gouvernement se fixe comme objectif une croissance moyenne de 6,5%. Ce qui à mon avis relève d’une aversion au risque calculé pour relever les défis auxquels l’économie est confronté (disponibilité d’un capital humain de qualité et d’un problème d’équité sociale, mise en œuvre d’un modèle de développement endogène, financement de l’économie, stabilité nationale, bonne gouvernance, et la promotion de l’innovation scientifique et technologique) et conséquemment affectant les ambitions des nouvelles autorités relatives à l’indice de développement humain( 0,511 à 0,581). Cette prudence est compréhensible compte tenu de l’état de l’économie sénégalaise qu’ils ont hérité du régime précèdent. Autre objectif chiffré (réduction du ratio de la dette publique à 60,6% du PIB d’ici 2029 contre 80% en 2023). Ici encore une analyse des mécanismes de réduction de ce ratio fait défaut.
Comment y parvenir ? Qu’elles sont les leviers sur lesquels on va s’appuyer pour atteindre cet objectif ?
Les besoins en investissements durant les cinq premières années sont estimés à 18500 Milliards de francs CFA répartis entre le secteur public (12821 Milliards) et le secteur privé (5675 Milliards). Cette répartition du financement de l’économie constitue une nouvelle rupture par rapport au schéma classique de financement des économies en voie de développement (recours à l’endettement extérieur) reposera sur les hydrocarbures comme sources de financement et une bonne stratégie de mobilisation des recettes internes. Cependant, une description détaillée des modalités de montage de ce financement améliorerait le cadrage financier du référentiel.
Dans le secteur énergétique, les nouvelles autorités comptent porter la part des énergies renouvelables à 36% du mix énergétique d’ici 2029. Une réduction des subventions à l’énergie de 4% du PIB à moins de 1% en 2029 est envisagée. Une analyse des modalités de réduction et des mécanismes qui seront mises en place est nécessaire pour donner plus de crédit à cette politique. Comment identifier les bénéficiaires des subventions ? Qu’elles sont les outils dont le gouvernement disposent pour un ciblage de ces subventions et par quels mécanismes mettront-ils en œuvre cette politique ? Sur toutes ces questions la déclaration de politique générale du premier ministre n’apporte pas des éclaircissements.
Mettre la dette sur une trajectoire descendante en réduisant progressivement la part de la dette extérieure au profit de la dette intérieure (de 76% à 65% de la dette totale d’ici 2029). en créant des instruments financiers nouveaux (« diaspora/patriote bonds ») et privilégiant le marché financier régional. Comment mettre en place un tel mécanisme ? Faut-il confier la tâche au trésor public en imitant l’exemple des États Unis après “ Le 11 Septembre, 2001” ou créer une nouvelle structure ou agence “ Bond dealer” chargée de l’élaboration de ce mécanisme ?
À notre avis cette nouvelle stratégie constitue une rupture fondamentale avec les plans et les politiques précédentes comme le symbolise le choix du baobab comme emblème et métaphore. Ce choix traduit une voie revêtant l’authenticité des actes officiels des nouvelles autorités contrairement à ce que nous avions l’habitude d’observer depuis l’indépendance du Sénégal.
En effet, ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement du Sénégal propose un projet de transformation de l’économie sénégalaise avec une planification économique du développement. Chaque régime vient avec des idées et des programmes pour impulser des ruptures et implémenter des stratégies nouvelles. Senghor avec son slogan « en l’an 2000 Dakar sera comme Paris » qui s’appuyait sur une voie de socialisme africain et un modèle de développement basé sur des coopératives agricoles. Malheureusement, la dégradation du prix des matières premières avec les conséquences sur la détérioration des termes de l’échange a fait échouer son plan. Son successeur tablait sur un « Sénégal transformé en 2025 ». Rêve disparu due à l’inflation mondiale résultant du choc pétrolier des années 1970’s qui a entraîné une chute du pouvoir d’achat et la destruction du tissu industriel avec un chômage massif des travailleurs. Appelé à la rescousse le FMI imposa au Sénégal une politique d’ajustement structurelle avec des conséquences économiques et sociales désastreuses.
Wade avec son « sopi » Sénégal mais sans vision claire. Son successeur voulant combler le vide s’appuie sur son programme « yoonu yokuté » qu’il transformera en PSE pour doter le pays d’un référentiel économique et social jusqu’en 2035. Malheureusement, les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes. Des indicateurs économiques rouges (déficit budgétaire de 10,4%, un endettement porté à 16200, encours de la dette à 83,7% du PIB, un taux de chômage à 25% et une pauvreté galopante créant les conditions d’une misère économique et sociale sans précédent dans les annales de l’histoire économique du Sénégal. Le bilan est plus lugubre lorsqu’il s’agit de la gouvernance et de la démocratie.
Sous l’effet de l’ensemble de ces contraintes internes et externes, une nouvelle équipe composée principalement de jeunes patriotes arrive au pouvoir et décline clairement leur intention d’améliorer l’existence des Sénégalais en projetant de rééquilibrer le pays à partir d’une équité territoriale qui met l’accent sur la participation des citoyens.
Cette approche est une rupture fondamentale avec les politiques précédentes car mettant l’accent sur un développement endogène, une responsabilité accrue des acteurs locaux, et une réduction de la dépendance extérieure le tout sous l’œil bien veillant d’un état stratège/développementiste (état incontournable dans le processus de développement). Une analyse approfondie du rôle de l’état dans ce nouveau processus de développement serait souhaitable. Malgré ces limites les efforts déployés par les nouvelles autorités sont à saluer et encourager.
Insuffisances du “ Projet 2050” et enjeux à Surmonter
À mon avis , sa mise en œuvre efficace et son impact réel sur l’économie et la société sénégalaise – notamment la lutte contre le chômage endémique des jeunes, l’allègement de la cherté du coût de la vie, l’élimination ou la diminution des inondations récurrentes, la lutte contre dégradation du système éducatif, le pillage des ressources naturelles, et le bradage des ressources minières et halieutiques,- dépendront de la volonté politique des nouvelles autorités et l’implication des citoyens.
Bien que le projet démontre une cohérence harmonieuse entre l’objectif final visé, à savoir la transformation systémique du pays, et les voies que compte prendre le gouvernement pour y arriver., il n’en demeure pas moins que le projet gagnerait en pertinence si la dimension monétaire était prise en considération car il ne peut pas y avoir de souveraineté économique sans souveraineté monétaire.
Sur ce plan, il est regrettable que le projet n’adresse pas cet aspect monétaire ni la question du régime de change. Quelle politique monétaire dit-on mener ? Faut-il sortir du CFA ? Et comment ? Il est impératif que le gouvernement mette en place un cadre macroéconomique de souveraineté monétaire et une structure appropriée de planification stratégique des politiques industrielles. Actuellement le gouvernement – selon la déclaration de politique générale du gouvernement – semble opter pour une stratégie progressive de transformation du système monétaire, en coordination avec les autres pays membres de l’UEMOA.
Le premier ministre a clairement indiqué que son administration poursuivra « les discussions pour que la monnaie soit plus en adéquation avec les besoins de l’économie régionale”. « Cette approche vise à préserver la stabilité économique tout en travaillant à une plus grande autonomie monétaire. » (“LES DESSOUS DE LA POSITION DU SÉNÉGAL SUR LE FRANC CFA”) A notre avis, le pouvoir gagnerait à être plus précis sur cette question en dévoilant leur feuille de route sur cette question fondamentale.
Transformer l’économie sénégalaise en la rendant souveraine et patriotique requiert une autonomie monétaire pour une utilisation efficace de l’ensemble des outils d’une politique monétaire efficace au profit de l’économie sénégalaise.
Or, rien n’a été dit sur la souveraineté monétaire du Sénégal. Même s’il faut patienter sur cette question à cause des réflexions menées par le comité technique de la BCEAO, une analyse approfondie de la question devrait figurer sur le référentiel. C’est dommage que cette question très importante comme l’a reconnue le premier ministre n’a pas fait l’objet d’une analyse sérieuse dans le référentiel.
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