En novembre 2024, l’essayiste Almamy Mamadou Wane avait accordé un entretien à Kirinapost dans lequel il disait ceci: « L’avenir de la relation Sonko-Diomaye est intrinsèquement lié à la gestion bonne ou mauvaise des « victimes » de la recomposition politique. À mon sens, l’unité nationale dépendra aussi de la viabilité de la relation Sonko-Diomaye, car nous sommes dans une période difficile pour le pays. Les défaits de la recomposition politique ne manqueront pas de jouer la carte du « double guichet ». La rupture avec l’ancien système de prédation doit être totale. »
Un an plus tard, ses propos sonnent comme une prémonition. Alors, ce texte sur la situation actuelle du Sénégal qu’il propose à nos lecteurs est à lire avec intérêt.
Almamy Mamadou Wane. La crise politique au sommet de l’Etat a surpris par sa brutalité et son ampleur. C’est un spectacle affligeant qui tranche avec la joie partagée par tout un peuple lorsque « l’empêchement » de Sonko s’est transformé en un tremplin pour Diomaye.
Aucun sophisme complaisant ne saurait masquer la désuétude du slogan victorieux Sonko mooy Diomaye. C’est une déchirure que de voir le coeur des sénégalais meurtri par une déraison coalisée qui tente d’effacer le choix de tout un peuple. Se détourner de son propre programme et s’aliéner ses camarades de parti, une fois la présidence conquise. Qui aurait pu imaginer un tel scénario ?
La gloriole et l’argent peuvent accomplir des miracles dans un monde machiavélien où le reniement peut supplanter l’engagement patriotique. Une transhumance est possible donc par le sommet, par dessus le parti qui, dans un passé récent, avait permis une victoire inédite au premier tour.
Sonko, en se livrant à ses militants lors du téra meeting, a mis en lumière les manoeuvres déployées pour ramener le Sénégal sur les chemins sinueux de la division et de la stagnation. Pourquoi comploter contre un peuple pacifique et résilient qui a montré son goût pour des scrutins libres et transparents ? Et cette jeunesse qui réclame toujours la justice pour les martyrs ?
Une situation déroutante qui mêle une nostalgie pour un clientélisme structurel et une inconscience affichée quant aux grands enjeux qui attendent le Sénégal ceci depuis qu’un vent fort d’émancipation a soufflé au dessus de l’Afrique. Une élection peut ralentir une révolution mais seuls les révolutionnaires arrêtent ou parachèvent la révolution.
L’appel du 8 novembre a dévoilé des velléités et des stratégies inavouables, jusqu’ici insoupçonnées. Il a exposé en pleine lumière les adeptes du double langage tout en modifiant positivement le paysage politique sénégalais. L’opposition, en spectatrice intéressée du combat entre les tenants du pouvoir, attend son heure.
Le président de Pastef est devenu ainsi le premier chef de gouvernement sénégalais à lancer l’alerte contre son propre camp. C’est dire que son environnement politique immédiat est vicié, et truffé de chevaux de troie tapis dans l’ombre. Car, il faut le dire, Sonko est un empêcheur de corrompre en bandes organisées.
Les répliques du séisme politique restent encore à évaluer. Cette déflagration, qui offre une meilleure lisibilité, a ralenti la régénération du système de prédation, très ancré dans le pays, qui résiste en tentant de se réinventer grâce à ses « nouvelles recrues ». En recyclant ouvertement les partisans du régime précédent, le Président de la République semble renoncer au projet plébiscité par les sénégalais.
Que l’on veuille recruter les anciens fossoyeurs de la République en catimini et de façon aussi maladroite rend les choses tragi-comiques. Une telle démarche improvisée et purement électoraliste met à mal, officiellement, la reddition des comptes tant attendue. Elle permet aussi dans une certaine mesure de donner l’avantage au FMI qui peut continuer à jouer la montre au moment où le pays est confronté à une crise financière aiguë.
La gestion rigoureuse des ressources nationales se heurtent à une forme d’intransigeance de la part des bailleurs de fonds et certaines agences de notation y vont de leurs notes « salées ».
Au début de ce siècle, en 2000, le prix Nobel d’économie Joseph E.Stiglitz estimait que :
« Dans de nombreux cas les prêts(FMI-Banque mondiale) étaient destinés à corrompre des gouvernements pendant la guerre froide. Le problme n’était pas alors de savoir si l‘argent favorisait le bien-être du pays, mais il conduisait une situation stable étant donné les réalités géopolitiques mondiales ».
Les pratiques du FMI n’ont guère évoluées, elles se sont aiguisées dans un monde agité et de plus en plus multipolaire…
La politique des complots politiciens et de l’épouvantail financier se déploie pour neutraliser le vote des sénégalais afin d’organiser à nouveau la perméabilité de notre économie et de notre culture. L’antienne est connue, le Sénégal doit rester dépendant de l’extérieur et ne pas être en mesure de jouer sa partition pour une Afrique solidaire et unie.
C’est une tragédie sénégalaise qui perdure depuis le complot d’État du 17 décembre 1962 contre le Président Mamadou Dia et son projet pour le Sénégal. Un moment de l’histoire politique de ce pays qui nourrit de réelles frustrations à travers les générations.
Trahisons et mensonges ont rythmé notre vie politique nationale à telle enseigne que n’importe quel aspirant à une carrière politique estime qu’il faut trahir pour exister, mentir pour réussir.
Cette crise actuelle, exclusivement politique en apparence, résulte de la fracture morale entre le président de la République et son premier ministre.
Force est de constater que c’est Ousmane Sonko, fort de sa majorité parlementaire, acquise de haute lutte, qui arpente seul le chemin tracé initialement en respectant ses engagements.
Lui qui, contre les règles de la science politique moderne, a «transféré » généreusement sa popularité, à Diomaye Faye, pour permettre son élection. Le téra meeting du 8 novembre a été un rassemblement citoyen qui a consacré cette nouvelle façon de faire de la politique, il s’agit d’un anti-machiavélisme au service de la rationalité économique pour une justice sociale qui ne saurait voir le jour sans la mise en œuvre d’une véritable justice. Une justice pour la réconciliation.
Les électeurs qui avaient choisi le candidat Diomaye ont adhéré en nombre à cette nouvelle politique. Là où Sonko administre, régule avec un patriotisme et un souverainisme ancrés ; Diomaye imite, ruse, s’égare et trébuche… Deux styles qui se voulaient complémentaires s’opposent au grand jour.
La volte face présidentielle traduit une sorte d’immaturité politique nourrie par un goût inattendu pour le pouvoir. Le peuple se sent trahi à nouveau. Et cela nous ramène à un passé douloureux rempli d’incertitudes.
Nous entrons cependant dans la phase intermédiaire de la révolution, la phase de « nettoyage » et de restauration des valeurs, une phase où la révolution se débarrasse de ses mauvaises graines, celle où le courage et la loyauté peuvent permettre de récolter la sève nourricière d’un avenir triomphant.
Il est du ressort du Président de la République, au demeurant garant de l’unité nationale, d’évaluer l’étendue de la crise et ses conséquences afin de retrouver le chemin du changement systémique voulu par le peuple sénégalais, un certain 24 mars 2024…
Almamy Mamadou Wane.Essayiste, auteur de plusieurs ouvrages dont : « Le Sénégal entre deux naufrages ? Le Joola et l’alternance. »








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