Vêtu d’un treillis militaire et d’une casquette de garnison bleue, le colonel-major Amadou Abdramane, porte-parole de la junte au pouvoir au Niger, a pris la parole à la télévision locale le mois dernier pour critiquer les États-Unis et rompre le traditionnel partenariat militaire entre les deux pays. « Tenant compte des aspirations et des intérêts de son peuple, le gouvernement du Niger révoque, avec effet immédiat, l’accord relatif au statut du personnel militaire américain et des employés civils du ministère de la défense », a-t-il déclaré, insistant sur le fait que leur pacte de sécurité, vieux de 12 ans, violait la constitution du Niger. Source : TomDispatch, Nick Turse
Insa Garba Saidou, autre porte parole à l’occasion du Niger, s’est exprimé en des termes plus directs : « Les bases américaines et le personnel civil ne peuvent pas rester plus longtemps sur le sol nigérien. »
Ces annonces ont été faites alors que le terrorisme s’est intensifié dans le Sahel ouest-africain et dans le sillage d’une visite au Niger d’une délégation américaine de haut niveau, composée entre autres de la secrétaire d’État adjointe aux affaires africaines Molly Phee et du général Michael Langley, chef du commandement américain pour l’Afrique, ou AFRICOM. La rupture du Niger avec son allié n’est que le dernier coup porté aux initiatives de Washington pour lutter contre le terrorisme dans la région. Ces dernières années, des partenariats militaires américains de longue durée avec le Burkina Faso et le Mali ont également été interrompus après des coups d’État perpétrés par des officiers formés aux États-Unis. Le Niger était en fait le dernier grand bastion de l’influence militaire américaine dans le Sahel ouest-africain.
Ces revers ne sont que les derniers d’une série d’impasses, de fiascos ou de défaites totales qui caractérisent désormais la guerre totale contre la terreur menée par les États-Unis. En plus de 20 ans d’interventions armées, les missions militaires américaines ont été bouleversées à plusieurs reprises en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie du Sud, avec notamment une impasse en Somalie, une intervention transformée en machine infernale en Libye et des implosions pures et simples en Afghanistan et en Irak.
Ce maelström de défaites et de reculs américains a fait au moins 4,5 millions de morts, dont environ 940 000 victimes de violences directes, parmi lesquelles plus de 432 000 civils, selon le projet « Costs of War » de l’université Brown. Pas moins de 60 millions de personnes ont également été déplacées en raison de la violence attisée par les « guerres sans fin » de l’Amérique.
Le président Biden a dans le même temps affirmé qu’il avait mis fin à ces guerres et que les États-Unis continueraient à les mener dans un avenir prévisible, voire pour toujours, « pour protéger le peuple et les intérêts des États-Unis ». Le bilan est dévastateur, en particulier au Sahel, mais Washington a largement ignoré les coûts supportés par les populations les plus touchées par l’échec de ses efforts de lutte contre le terrorisme.
La « réduction du terrorisme » entraîne une augmentation de 50 000 % u… Oui !… du terrorisme
Environ 1 000 militaires et civils américains sont déployés au Niger, la plupart près de la ville d’Agadez, sur la base aérienne 201, à la limite sud du désert du Sahara. Connu des habitants sous le nom de « Base américaine » (en français dans le texte), cet avant-poste est la pierre angulaire d’un archipel de bases militaires américaines dans la région et constitue le cœur des efforts stratégiques de déploiement et de surveillance de la puissance militaire des États-Unis en Afrique du Nord et de l’Ouest. Depuis les années 2010, les États-Unis ont englouti environ un quart de milliard de dollars dans ce seul avant-poste.
Washington s’est concentré sur le Niger et ses voisins depuis les premiers jours de la guerre totale contre le terrorisme, déversant une aide militaire auprès des nations d’Afrique de l’Ouest par le biais de dizaines de projets de « coopération en matière de sécurité », parmi lesquels le partenariat transsaharien de lutte contre le terrorisme, un programme conçu pour « contrer et prévenir l’extrémisme violent » dans la région. La formation et l’assistance aux armées locales proposées dans le cadre de ce partenariat ont, à elles seules, coûté à l’Amérique plus d’un milliard de dollars.
Juste avant sa récente visite au Niger (12 et 13 mars 2024), le général Langley, patron de l’AFRICOM s’est présenté devant la commission des forces armées du Sénat pour fustiger les partenaires de longue date de l’Amérique en Afrique de l’Ouest. « Au cours des trois dernières années, les forces nationales de défense ont retourné leurs armes contre leurs propres gouvernements élus au Burkina Faso, en Guinée, au Mali et au Niger, a-t-il déclaré. Ces juntes refusent de rendre des comptes aux peuples qu’elles prétendent servir. »
Langley n’a toutefois pas mentionné qu’au moins 15 officiers ayant bénéficié de la coopération américaine en matière de sécurité ont été impliqués dans 12 coups d’État en Afrique de l’Ouest et dans le grand Sahel pendant la guerre totale contre le terrorisme. Parmi ceux-ci, on trouve les pays qu’il a nommés : Burkina Faso (2014, 2015 et deux fois en 2022) ; Guinée (2021) ; Mali (2012, 2020 et 2021) ; et Niger (2023). En fait, selon un responsable américain, au moins cinq dirigeants du coup d’État de juillet au Niger ont bénéficié de l’aide des États-Unis. Lorsqu’ils ont renversé le président démocratiquement élu, ils ont à leur tour nommé cinq membres des forces de sécurité nigériennes formés aux États-Unis pour occuper les fonctions de gouverneurs.
Langley a ensuite déploré le fait que, bien que les leaders de coups d’État promettent invariablement de vaincre les menaces terroristes, ils ne le font pas et se tournent alors « vers des partenaires qui n’ont pas de réserves à l’égard des gouvernements putschistes… en particulier la Russie ». Mais il n’a pas non plus fait état de la responsabilité directe de l’Amérique dans la détérioration de la sécurité au Sahel, malgré plus d’une décennie d’efforts coûteux pour remédier à la situation.
« Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort », a dit en plaisantant Hillary Clinton, alors secrétaire d’État, lorsqu’en 2011, une campagne aérienne de l’OTAN dirigée par les États-Unis a contribué à renverser le colonel Mouammar el-Kadhafi, dictateur libyen de longue date. Le président Barack Obama a salué l’intervention comme étant un succès, même si la Libye a alors entamé sa descente vers le stade d’État quasiment en déliquescence. Obama admettra plus tard « ne pas avoir anticipé le jour suivant » la défaite de Kadhafi a été la « pire erreur » de sa présidence.
Suite à la chute du dirigeant libyen, les combattants ouaregs à son service ont pillé les caches d’armes de son régime, sont retournés dans leur pays d’origine, le Mali, et ont commencé à s’emparer de la partie septentrionale de cette nation. La colère des forces armées maliennes face à l’inefficacité du gouvernement a abouti en 2012 à un coup d’État militaire mené par Amadou Sanogo, un officier qui a appris l’anglais au Texas et a suivi une formation de base d’officier d’infanterie en Géorgie, une formation au renseignement militaire en Arizona et un mentorat par des Marines en Virginie.
Après avoir renversé le gouvernement démocratique du Mali, Sanogo s’est avéré incapable de lutter contre les militants locaux qui avaient également profité de l’afflux d’armes en provenance de la Libye. Le Mali étant plongé dans le chaos, ces combattants Touaregs ont déclaré l’indépendance de leur propre État, avant d’être écartés par des militants islamistes lourdement armés qui ont instauré une forme sévère de charia, provoquant une crise humanitaire. Une mission conjointe française, américaine et africaine a empêché l’effondrement complet du Mali, en revanche, elle a repoussé les islamistes jusqu’aux frontières du Burkina Faso et du Niger, semant la terreur et le chaos dans ces pays.
Depuis lors, les nations du Sahel ouest-africain sont en proie à des groupes terroristes qui évoluent, se divisent et se reconstituent. Sous la bannière noire du militantisme djihadiste, des hommes à moto armés de Kalachnikov déboulent régulièrement dans les villages pour imposer la zakat [impôt obligatoire versée annuellement en vertu des règles de solidarité de l’Islam, NdT], terroriser et tuer des civils. Les attaques incessantes de ces groupes armés ont non seulement déstabilisé le Burkina Faso, le Mali et le Niger, provoquant des coups d’État et une instabilité politique, mais se sont également propagées vers le sud, dans les pays situés le long du golfe de Guinée. La violence a, par exemple, augmenté au Togo (de 633 %) et au Bénin (de 718 %), selon les statistiques du Pentagone.
Les responsables américains ont souvent fermé les yeux sur ce carnage. Interrogé sur l’évolution de la situation au Niger, par exemple, le porte-parole du département d’État, Vedant Patel, a récemment insisté sur le fait que les partenariats en matière de sécurité en Afrique de l’Ouest « sont mutuellement bénéfiques et visent à atteindre ce que nous pensons être des objectifs communs en matière de détection, de dissuasion et de réduction de la violence terroriste ». Cette déclaration est soit un mensonge pur et simple, soit un fantasme total.
Au bout de 20 ans, il est clair que les partenariats américains au Sahel ne réduisent pas du tout la violence terroriste. Même le Pentagone l’admet tacitement. Bien que les effectifs des troupes américaines au Niger aient augmenté de plus de 900 % au cours de la dernière décennie et que les commandos américains aient formé leurs homologues locaux, tout en combattant et même en mourant sur place, et même si des centaines de millions de dollars ont inondé le Burkina Faso sous forme de formation et d’équipements tels que des véhicules blindés de transport de troupes, des gilets pare-balles, du matériel de communication, des mitrailleuses, des équipements de vision nocturne et des fusils, et bien que l’aide américaine à la sécurité afflue au Mali et que ses officiers aient été formés par les États-Unis, la violence terroriste au Sahel n’a en aucun cas été réduite. En 2002 et 2003, selon les statistiques du département d’État, les terroristes ont fait 23 victimes dans toute l’Afrique. L’année dernière, selon l’Africa Center for Strategic Studies, un institut de recherche du Pentagone, les attaques des militants islamistes dans le seul Sahel ont fait 11 643 morts, soit une augmentation de plus de 50 000 %.
Remballez votre guerre
En janvier 2021, le président Biden est entré à la Maison Blanche et a promis de rompre avec les guerres sans fin de son pays. Sans tarder, il a affirmé avoir tenu ses engagements. Quelques mois plus tard il annonçait « Pour la première fois en 20 ans, je me tiens ici aujourd’hui et les États-Unis ne sont pas en guerre ». « Nous avons tourné la page. »
À la fin de l’année dernière, cependant, dans l’une de ses missives périodiques de « pouvoirs de guerre » adressées au Congrès [ La War Powers Resolution votée en 1973 impose à la Maison-Blanche d’annoncer dans les 48 heures une intervention militaire et de l’achever dans les 60 jours. La résolution n’est aujourd’hui pas vraiment appliquée, NdT], détaillant les opérations militaires américaines publiquement reconnues dans le monde entier, Joe Biden a dit exactement le contraire. En fait, il a laissé entrevoir la possibilité que les guerres sans fin de l’Amérique puissent, en fait, durer éternellement. « On ne peut pas, à l’heure actuelle, savoir avec précision l’ampleur ou la durée des déploiements des forces armées américaines qui sont ou seront nécessaires pour contrer les menaces terroristes qui pèsent sur les États-Unis. » a-t-il écrit.
La junte nigérienne formée par les États-Unis a clairement fait savoir qu’elle souhaitait que cesse la guerre sans fin menée par les États-Unis. En principe, cela voudrait dire la fermeture de la base aérienne 201 et le retrait d’un millier de militaires et d’entrepreneurs américains. Jusqu’à présent, cependant, Washington n’a montré aucun signe pour aller dans ce sens. « Nous prenons acte de la déclaration du 16 mars … annonçant la fin de l’accord relatif au statut des forces entre le Niger et les États-Unis », a déclaré Sabrina Singh, secrétaire de presse adjointe du Pentagone. « Nous travaillons par les voies diplomatiques pour obtenir des éclaircissements. […] Je n’ai pas de calendrier pour le retrait des forces. »
« L’armée américaine est au Niger à la demande du gouvernement nigérien », a déclaré l’année dernière Kelly Cahalan, porte-parole de l’AFRICOM. Maintenant que la junte a demandé à l’AFRICOM de partir, le commandement n’a pas grand-chose à dire. Les accusés de réception des courriels montrent que les questions de TomDispatch sur les développements au Niger envoyées au service de presse de l’AFRICOM ont été lues par une série de personnes, dont Cahalan, Zack Frank, Joshua Frey, Yvonne Levardi, Rebekah Clark Mattes, Christopher Meade, Takisha Miller, Alvin Phillips, Robert Dixon, Lennea Montandon et Courtney Dock, le directeur adjoint des affaires publiques de l’AFRICOM, mais aucun d’entre eux n’a répondu à une quelconque des questions posées. Par contre, Cahalan a dirigé TomDispatch vers le Département d’Etat. Lequel a, à son tour, dirigé TomDispatch vers la transcription d’une conférence de presse portant principalement sur les efforts diplomatiques américains aux Philippines. Lire La Suite ICI
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