La guerre secrète de la France au Cameroun continue d’étouffer son peuple

Le président le plus âgé du monde, Paul Biya, se présente pour un nouveau mandat au Cameroun. Son régime autocratique trouve son origine directe dans la guerre coloniale brutale menée par la France dans les années 1950 et 1960, pratiquement à l’insu du reste du monde.Source : Jacobin, Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, Les-Crises.

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Le président français Emmanuel Macron serre la main du président camerounais Paul Biya à son arrivée pour des entretiens au palais présidentiel de Yaoundé, le 26 juillet 2022. (Ludovic Marin / AFP via Getty Images)

Ceci est un extrait de The Cameroon War: A History of French Neocolonialism in Africa [La guerre au Cameroun : une histoire du néocolonialisme français en Afrique, NdT], désormais disponible chez Verso Books.

Au cours des années 1950 et 1960, la France a mené une guerre coloniale brutale au Cameroun tout en parvenant à la soustraire largement à l’attention publique. L’historienne américaine Caroline Elkins qualifie le silence qui a suivi la répression britannique des Mau Mau au Kenya « d’amnésie imposée par l’État. » Cette expression s’applique également au Cameroun : tout a été fait pour que cette guerre invisible ne revienne jamais hanter la mémoire officielle française.

Cette amnésie planifiée a donné lieu à des épisodes surprenants, ou du moins révélateurs. Lorsque le Premier ministre français François Fillon s’est rendu à Yaoundé en mai 2009, un journaliste lui a posé une question quant à la responsabilité de la France dans l’assassinat de leaders nationalistes camerounais. Avec un mélange d’ignorance et de mépris, il a répondu de manière tout à fait ahurissante : « Je nie totalement toute participation française quelle qu’elle soit, dans des assassinats au Cameroun. Tout cela n’est que pure invention ! »

Mais les fantômes ont l’habitude de revenir nous hanter. Depuis quelques années, une nouvelle génération d’historiens camerounais fouille les archives et sillonne le Cameroun pour interviewer les derniers survivants. C’est une course contre la montre, car les archives, mal conservées, se détériorent rapidement sous le climat tropical du pays. Quant aux témoins oculaires, ils sont de moins en moins nombreux dans un pays où l’espérance de vie moyenne n’est que de cinquante-cinq ans.

Il s’agit donc d’une tâche difficile. C’est aussi une tâche courageuse : la guerre reste un sujet extrêmement sensible pour le régime camerounais. Le pays est dirigé, et ce depuis 1982, par Paul Biya, un nonagénaire ultra-autoritaire, héritier direct d’Ahmadou Ahidjo (1924-1989), le dictateur installé par la France lors de l’indépendance. Néanmoins, des associations regroupant des vétérans nationalistes, des historiens et des militants s’efforcent de mettre à jour des souvenirs enfouis.

« Des épisodes extrêmement douloureux »

Lors d’une visite officielle à Yaoundé en 2015, François Hollande a évoqué les « épisodes extrêmement douloureux » qui ont entouré l’indépendance du Cameroun. Pourquoi a-t-il tenu ces propos ? Si ces mots sont passés presque inaperçus en France, ils ont été accueillis avec un certain soulagement par l’opinion publique camerounaise.

Au cours des années 1950 et 1960, la France a mené une guerre coloniale brutale au Cameroun pratquement à l’insu du reste du monde.

Pour la première fois, les plus hautes autorités de l’État français, en la personne du président de la République, ont reconnu que quelque chose s’était effectivement passé au Cameroun au moment de la décolonisation. Faisant référence à la répression dans la région de Sanaga-Maritime et chez les Bamilékés, François Hollande s’est même déclaré prêt à « ouvrir les livres d’histoire [et] les archives. »

Sept ans plus tard, le 16 juillet 2022, le successeur de François Hollande, Emmanuel Macron, également en visite à Yaoundé, a annoncé le lancement d’un « processus d’enquête » et promis d’ouvrir les archives à une commission mémorielle composée de chercheurs et d’artistes français et camerounais. « Les historiens se sont penchés sur ce passé : ils nous parlent d’un conflit qui a eu lieu, le mot guerre a été utilisé », a-t-il déclaré. « C’est aux historiens qu’il appartient de faire la lumière sur le passé. »

Cette stratégie lui a permis de reporter d’au moins deux ans toute reconnaissance des crimes de la France, soit le délai imparti à la commission pour remettre son rapport. Elle occulte également le fait que des historiens explorent depuis des décennies des archives largement accessibles, permettant d’établir clairement une bonne partie des faits essentiels.

La commission, dirigée par l’historienne française Karine Ramondy, qui a présenté son rapport aux présidents Macron et Biya à la fin du mois de janvier 2025, a sans surprise confirmé les conclusions des historiens précédents : la France a bel et bien livré une « guerre » au Cameroun dans les années 1950 et 1960, occasionnant des dizaines de milliers de morts et utilisant les mêmes tactiques qu’en Algérie – torture, bombardements, villagisation [La villagisation est un concept socio-politique visant à organiser et regrouper les populations rurales dans des villages structurés, NdT], assassinats politiques, guerre psychologique, etc.

Le rapport, rédigé par quatorze historiens français et camerounais, s’appuyant sur des archives déjà connues et des documents récemment déclassifiés, a été accueilli avec scepticisme au Cameroun. Au-delà de quelques éclairages nouveaux, le rapport, qui compte pourtant un millier de pages, s’accompagnait d’une « initiative artistique » menée par le chanteur camerounais Blick Bassy, chargé de vulgariser les conclusions de la commission et de promouvoir la « réconciliation mémorielle » franco-camerounaise via un large éventail de dispositifs culturels : films, chansons, fresques murales, jeux vidéo, ateliers de cuisine, concours de coiffure, immersions virtuelles en 3D dans des maquis reconstitués, etc.

D’où la question : cette commission reflète-t-elle une réelle volonté de « faire la lumière » sur la guerre du Cameroun et d’engager une véritable politique de reconnaissance et de réparations, ou s’agit-il simplement d’un nouveau plan de communication de la part d’un président français désireux de transformer les différends historiques – avec le Rwanda, l’Algérie et maintenant le Cameroun – en autant de démonstrations de sa « méthode disruptive » ?

Soft Power

Quoi qu’il en soit, il est clair que les « initiatives de mémoire » entreprises par les dirigeants français ces dernières années s’inscrivent dans une nouvelle stratégie de soft power. À l’heure où un « sentiment anti-français » se répand en Afrique et où des puissances rivales empiètent sur le pré carré néocolonial de la France, Paris multiplie les initiatives pour démontrer sa bonne volonté. Les commissions ainsi créées, dont les membres sont directement nommés par l’Élysée, donnent l’illusion qu’une page de l’histoire a été tournée.

Et la reconnaissance frileuse de quelques crimes passés, distillée au compte-gouttes, donne l’impression qu’il n’y a plus rien à explorer. Comme le souligne l’historien Noureddine Amara, la « réconciliation » appelée de ses vœux par Emmanuel Macron ressemble davantage à un exercice de « pacification mémorielle », visant à faire taire ceux qui rejettent les lectures anesthésiantes véhiculées par l’histoire officielle. Lire la Suite ICI 

 

 

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