« La faim justifie tous les moyens »(Par Rami Abou Jamous)

Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, il a dû quitter en octobre 2023 son appartement de Gaza-ville avec sa femme Sabah, les enfants de celle-ci, et leur fils Walid, trois ans, sous la menace de l’armée israélienne. Réfugiée depuis à Rafah, la famille a dû ensuite se déplacer vers Deir El-Balah et plus tard à Nusseirat, coincés comme tant de familles dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Un mois et demi après l’annonce du cessez-le-feu de janvier 2025 — rompu par Israël le 18 mars —, Rami est enfin de retour chez lui avec sa femme, Walid et le nouveau-né Ramzi. Pour ce journal de bord, Rami a reçu le prix de la presse écrite et le prix Ouest-France au Prix Bayeux pour les correspondants de guerre. Cet espace lui est dédié depuis le 28 février 2024. Source: Orient XXI 

« La faim justifie tous les moyens »(Par Rami Abou Jamous), Information Afrique Kirinapost

Gaza-ville, le 23 juillet 2025. Naeema, une mère palestinienne de 30 ans, est assise avec son fils Yazan, âgé de 2 ans et souffrant de malnutrition, dans leur maison endommagée du camp de réfugiés d’Al-Shati, à l’ouest de la ville de Gaza. Plus d’une centaine d’organisations humanitaires et de groupes de défense des droits humains ont averti le 23 juillet qu’une « famine massive » se propageait à Gaza. Omar AL-QATTAA / AFP

Mardi 29 juillet 2025.

Le dimanche 27 juillet, on s’est réveillé avec une annonce du premier ministre israélien disant qu’il voulait faire entrer l’aide humanitaire à Gaza d’une façon régulière, y compris par parachutage. Le monde entier s’est félicité : ce serait la fin de la famine.

Malheureusement, ce n’est pas du tout le cas. Nétanyahou n’a fait que réagir aux protestations qui montent de partout. Le choix de cette date est significatif : le 27 juillet, c’était le début des vacances parlementaires israéliennes. La Knesset ne siègera pas de tout l’été. Pendant cette période, elle ne pourra donc pas faire chuter le gouvernement de coalition. C’est aussi la date de la conférence dirigée par la France et l’Arabie saoudite à l’ONU, où a été discutée la création d’un État palestinien. Nétanyahou veut donc détourner l’attention en affirmant qu’il a commencé à soulager les souffrances des Gazaouis. Mais il n’a autorisé que quelques camions. Cent-trente le premier jour, cent le deuxième. Tous ces camions ont été pillés par une population affamée. Ce n’est rien par rapport aux besoins. C’est une goutte d’eau dans l’océan.

D’après les Nations unies, il faudrait plus de 700 camions par jour pour commencer à secourir la population de Gaza. La famine est toujours là. Je peux en témoigner personnellement : il y a une semaine, le matin du 23 juillet, il n’y avait plus rien à manger à la maison. Mon fils Walid et moi avions pris l’habitude d’un petit-déjeuner minimum : un morceau de pain avec du dokka, une poudre à base de blé que l’on mange d’habitude avec de l’huile d’olive. Maintenant on la mange seule, il n’y a plus d’huile… Walid m’a demandé : « Papa, tu me fais un sandwich ? » Mais il n’y avait pas de pain ni de dokka.

Si maman a pu faire à manger, c’est un grand exploit

C’était une catastrophe pour moi : c’était la première fois que je n’avais rien à donner à manger à mon enfant, alors que je fais partie du petit nombre de chanceux qui ont les moyens d’acheter de temps en temps un kilo de farine et du dokka. Mais on n’en trouvait pas au marché.

Il restait quand même quelques lentilles qu’on a fait cuire pour Walid. Le lendemain, j’ai réussi à trouver de la farine, encore des lentilles et un peu de dokka. C’est notre nourriture depuis dix jours : un morceau de pain et un peu de dokka le matin, en priorité pour Walid. Il y a des centaines de milliers de familles dont les enfants n’ont même pas accès à cela. À la fin de la journée, quand je rentre du bureau, on fait une soupe ou un plat de lentilles, en général. C’est notre seul repas de la journée. On met des morceaux de pain dans les lentilles, pour nous donner l’impression d’être rassasiés.

 

Ce que j’aime chez Walid, c’est qu’il ne se plaint pas. Après dix jours de ce régime, il n’a jamais dit : « J’en ai assez de manger ça, papa. » S’il voit quelqu’un manger des bananes sur YouTube, il ne me demande plus de bananes, il dit : « Inch’Allah, on aura des bananes quand les terminaux s’ouvriront. » Il ne sait pas ce qu’est un terminal, c’est un mot qu’il a entendu prononcer et qui signifie pour lui que la nourriture sera disponible. Quand je rentre le matin et le soir, il vient dans mes bras et me dit : « Maman a fait à manger. » Et il est content. Je crois qu’il sait que nous vivons une famine, et que si maman a pu faire à manger, c’est un grand exploit.

 

Il faut que le mot sorte de la bouche d’un Occidental pour que les gens bougent

J’ai les larmes aux yeux de ne pouvoir fournir à mon fils que le strict minimum. En même temps, je m’estime chanceux que mon fils puisse avoir un bout de pain et une assiette de lentilles. Contrairement à beaucoup d’enfants à peine plus âgés que lui, Walid n’a pas à faire le tour du quartier, une casserole ou une assiette à la main, pour mendier de la nourriture, ni faire la queue devant une des dernières tekiya, les cuisines communautaires, ni devant un point de distribution d’eau, un jerrican ou un sceau à la main. Des dizaines de milliers d’enfants le font tous les jours. C’est cela, une famine.

Il faut que le mot sorte de la bouche d’un Occidental pour que les gens bougent. Je remercie l’Agence France-Presse, c’est grâce à sa tribune que le monde s’est mobilisé. Car, quand c’est un Gazaoui qui le dit, ça ne compte pas. Parce que nous, les Gazaouis, nous ne pouvons pas être journalistes, n’est-ce pas. Ou bien nous sommes pro-Hamas, ou bien nous sommes intimidés par le Hamas — et, de toute façon, on fait de la propagande. Mais quand c’est une agence internationale, c’est fiable. La tribune de l’AFP a lancé le mouvement, et puis il y a eu ces photos d’enfants squelettiques qui ont commencé à circuler. Mais la propagande israélienne continue. Elle inverse toujours la réalité : « Il n’y a pas de famine, c’est le Hamas qui détourne l’aide. » D’ailleurs, tout ce qu’il se passe à Gaza, c’est le fait du Hamas. C’est le Hamas qui tue les gens qui viennent chercher de l’aide aux points de distribution. On n’y distribue pas de l’aide, on y distribue la mort. Lire la Suite ICI

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