La Délinquance Économique et Financière : Défis pour le Développement du Sénégal

Les récents scandales financiers et les révélations de la Cour des comptes (1) mettent en lumière la mauvaise gouvernance économique au Sénégal, illustrant les obstacles majeurs au développement économique du pays. Cette gestion défaillante fragilise les institutions, aggrave les faillites d’entreprises, accroît le chômage et détériore les conditions de vie. Parallèlement, le détournement des ressources publiques et la corruption généralisée facilitent l’enrichissement illicite de certains acteurs politiques et économiques, compromettant la transparence dans des secteurs stratégiques comme les mines, le pétrole et le gaz.

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«Dans des pays comme le Sénégal, l’impact à long terme de la mauvaise gouvernance économique, est plus accentué par la facilité à contourner les structures règlementaires.» Souleymane Gueye  ©Centif.sn 

Quels sont les mécanismes et processus qui alimentent cette délinquance ? Quelle est l’ampleur de cette criminalité ? Quelles sont les conséquences économiques de cette délinquance sur la stabilité macroéconomique, la réduction des inégalités, l’emploi et l’équité territoriale ? Quelles solutions pourraient être envisagées par le régime actuel pour lutter contre la délinquance financière ?

Gouvernance Économique, Corruption, and Délinquance Économique et Financière

Dans des pays comme le Sénégal, l’impact à long terme de la mauvaise gouvernance économique sur la croissance économique, la réduction de la pauvreté, et le développement endogène durable est plus accentué par la facilité à contourner les structures règlementaires (scandales du Covid 19, rapport de la cour des Comptes sur la gestion du régime précèdent , et plusieurs scandales financiers à la direction du Trésor et des Impôts et Domaines, ), des capacités relativement limitées du gouvernement (2) et l’absence d’une volonté politique affirmée de combattre ce fléau.

Cette délinquance économique et financière sape la confiance des citoyens et des investisseurs et crée un climat de corruption endémique Cette corruption n’est pas seulement toxique pour la croissance économique au Sénégal, mais elle détruit également l’incitation à jouer franc jeu, conduisant finalement à une rupture de la foi et de la confiance que les citoyens ont envers les institutions et les autorités.

L’impact de toute activité productive est amoindri dans l’environnement corrompu du Sénégal, dans lequel les gens qui trichent, se livrent à la fraude, et détournent parviennent à réussir. Cette corruption et cette indemnisation des fraudes sont dangereuses pour la société et l’économie sénégalaises. C’est pour cela que les nouvelles autorités ont proposé des ruptures (3) dont la rupture avec la corruption si elle est matérialisée constituera un succès indéniable pour ce gouvernement et jettera les bases d’une croissance économique inclusive et, par conséquent, d’un avenir radieux pour le Sénégal.

Pour atteindre cet objectif une lutte acharnée doit être entreprise pour prévenir et combattre la délinquance économique et financière afin d’atténuer leurs effets néfastes – sur un endettement excessif (de 65.5% du PIB en 2019 à 99.6% du PIB en 2023), une augmentation du déficit budgétaire (de 9,85% en 2019 à 12.5% en 2023), une accumulation irrationnelle de richesse de la part de certaines personnalités politiques, du secteur privé, et de hauts fonctionnaires.

Dans l’ensemble, le développement durable du pays peut être compromis si les impacts négatifs résultant de la mauvaise gouvernance économique et institutionnelle des finances publiques ne sont pas jugulés par de fortes mesures pour prévenir et combattre la délinquance économique et le blanchiment de capitaux.

Ampleur de la criminalité économique

D’après le Fond Monétaire International (FMI), « la criminalité économique et financière est toute activité criminelle non violente qui a pour conséquence une perte financière ». Cette criminalité couvre une large gamme d’activités illégales, y compris la fraude économique, l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent (4).

Au Sénégal, le processus le plus utilisé par les autorités politiques et les hommes d’affaires s’apparente au « schtroumpfage » (5), qui consiste à déposer des sommes d’argent en liquide provenant des deniers publics (abus du marché et de la règlementation, abus de pouvoir, fraude /évasion fiscale) auprès des établissements bancaires dans plusieurs comptes bancaires de particuliers qui les reversent ensuite aux membres du réseau après encaissement.

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« La baisse des recettes fiscales résultant de ce phénomène limite la capacité de l’État à assurer des services publics essentiels.» Souleymane Gueye  ©alison.com/fr/cours/lutter

Ces fonds sont investis dans l’économie réelle par la création de sociétés écrans ou le placement des revenus dans des paradis fiscaux (7.5% des crédits octroyés par la Banque Mondiale sont détournés vers des paradis fiscaux selon un récent audit des finances publiques) à travers une ingénierie très complexe. Une partie de ces fonds sont investis dans des secteurs d’activités tels que l’immobilier, la construction, la restauration, l’achat de biens de luxe, la vente de véhicules d’occasion, et la distribution au détail. A cette délinquance économique, s’ajoutent d’autre risques de blanchiment de l’argent générée par le trafic illicite de drogues et le commerce illicite de stupéfiants et des substances psychotropes qui peuvent exacerber les effets néfastes sur l’économie (perte de productivité, dépenses en santé, criminalité économique organisée).

Ces blanchiments de capitaux au Sénégal sont largement favorisés par l’utilisation généralisée d’argent liquide, l’importance du secteur informel, les incitations fiscales, et un système judiciaire qui ne permet pas à la police d’obtenir des informations fiables sur les acteurs clés du blanchiment d’argent.

Effets Économiques de la Délinquance Économique

Les effets néfastes des flux financiers illicites sur l’économie sénégalaise peuvent être analysés sous l’angle des difficultés à prendre des décisions rationnelles concernant les politiques économiques. Ce défaut de lisibilité de la situation économique, le manque de confiance des agents économiques et des bailleurs de fonds, et l’instabilité associée à ces flux illicites affectent la trajectoire de la croissance économique du pays. En effet, au-delà du problème de gouvernance économique/institutionnelle que reflètent l’importance des flux financiers illicites au Sénégal, les conséquences sur le développement économique du pays sont graves.

L’effet multiplicateur est très important pour une économie, mais dans un contexte où les flux financiers illicites sont prévalents, ces effets multiplicateurs d’investissement et de consommation sur l’économie ne se feront pas sentir du fait du transfert illégal de ces fonds. L’impact sur la croissance économique et la création d’emplois sera moindre. Les réinvestissements et l’expansion des entreprises seront contraries car les profits sont transférés illégalement vers les pays occidentaux. Il est estimé que le stock de capital augmenterait de 55% et le revenu réel par habitant de 15%, si les fonds illicites sont recyclés dans l’activité économique sénégalaise (flux financiers illicites rapport du FMI 2020)

Cela entraîne une hausse rapide du déficit budgétaire, une détérioration du compte courant et une spirale d’endettement susceptible de conduire à une récession économique. L’insoutenabilité de la dette pourrait inciter les investisseurs à se départir des obligations sénégalaises, provoquant une fuite massive de capitaux et déstabilisant l’économie. Heureusement que ce risque est amoindri pour le Sénégal du fait de la politique de transparence affichée par les nouvelles autorités. Face à cette instabilité macroéconomique, le gouvernement pourrait être contraint de recourir à une augmentation de la pression fiscale, ce qui risquerait d’aggraver davantage la crise économique.

Au-delà de ces impacts négatifs, la baisse des recettes fiscales résultant de ce phénomène limite la capacité de l’État à assurer des services publics essentiels tels que la santé, l’assainissement, la protection sociale, l’accès à l’eau potable, l’éducation, l’électricité et la sécurité. Cette situation compromet inévitablement l’indice de développement humain (0,517 avec une position de 169 sur 193) du pays ainsi que le développement de son capital humain qui reste très faible.

Du fait de la dépendance de l’économie aux industries extractives, les flux financiers illicites qui résultent de la source des contrats secrets et inégaux signés par les anciennes autorités impactent la création de valeur ajoutée et conséquemment la transformation structurelle de l’économie sénégalaise et le développement économique.

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« Il faut mettre en place des programmes de formation continue pour les agents chargés de la répression afin qu’ils soient à jour sur les pratiques financières frauduleuses très sophistiquées et complexes. » Souleymane Gueye

Solutions pour lutter contre la Délinquance Économique et Financière

Des solutions efficaces sont nécessaires pour freiner l’ampleur croissante de ces flux, en s’articulant autour des axes suivants :

• Renforcer la lutte contre le blanchiment de capitaux, la corruption et l’abus de pouvoir, en poursuivant les responsables : Le Sénégal dispose de la CENTIF (Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières) chargée de détecter les activités suspectes liées au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme. Toutefois, il pourrait renforcer les ressources et capacités de ses institutions, améliorer l’efficacité des enquêtes, et mettre en place des programmes de formation continue pour les agents chargés de la répression afin qu’ils soient à jour sur les pratiques financières frauduleuses très sophistiquées et complexes.

• Accélérer le recouvrement et le rapatriement des avoirs volés pour restaurer la confiance et renforcer les finances publiques : Le Sénégal participe à des initiatives internationales de coopération pour le recouvrement des avoirs, mais des résultats concrets restent limités. Le pays pourrait accélérer ce processus en établissant des accords bilatéraux ciblés avec les pays où les flux sont principalement destinés et en créant une unité spécialisée dédiée à la traque et au rapatriement des avoirs illicites.

• Encadrer les incitations fiscales en réalisant des analyses coûts-avantages avant toute décision, afin de limiter les abus et maximiser les bénéfices économiques : Bien que le Sénégal applique des incitations fiscales pour attirer les investissements, le processus d’évaluation systématique des avantages économiques reste peu transparent. Une meilleure institutionnalisation des analyses coûts-avantages et la publication des résultats aideraient à garantir une meilleure gestion des politiques fiscales.

• Examiner de manière approfondie le régime commercial lié aux flux financiers illicites, en identifiant les failles réglementaires : Le Sénégal pourrait approfondir l’évaluation des failles réglementaires spécifiques. Des audits réguliers et une collaboration renforcée avec des experts pourrait aider à identifier les vulnérabilités et à les corriger.

• Renforcer la transparence dans le secteur extractif en exigeant la divulgation des bénéficiaires effectifs des contrats miniers, pétroliers et gaziers : Le Sénégal est membre de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) et a instauré un système de déclaration des bénéficiaires effectifs. Toutefois, ces exigences pourraient être élargies à d’autres secteurs et les informations rendues plus accessibles au public pour renforcer la transparence.

• Instaurer des mécanismes de transparence et de traçabilité des paiements dans les industries extractives, y compris la publication des contrats et des revenus générés : Le Sénégal publie des rapports ITIE détaillés sur les revenus extractifs, mais la mise en place d’une plateforme centralisée pour la publication en temps réel des contrats et paiements renforcerait la transparence. Une implication plus active de la société civile dans le suivi de ces données pourrait également être bénéfique.

• Renforcer les contrôles douaniers et les capacités des institutions de surveillance financière pour détecter et prévenir les flux financiers illicites : Des mesures de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme sont en place, mais des défis persistent, notamment concernant le trafic illicite. Le renforcement des ressources douanières, l’acquisition de technologies de détection avancées, et l’amélioration de la coordination interinstitutionnelle permettraient de mieux contrôler les flux financiers.

• Promouvoir la coopération internationale pour le partage d’informations fiscales et financières et la lutte conjointe contre l’évasion fiscale et les transferts illicites : Le Sénégal est membre du Groupe Intergouvernemental d’Action contre le Blanchiment d’Argent en Afrique de l’Ouest (GIABA) et participe à des forums régionaux. Pour aller plus loin, le pays pourrait signer davantage d’accords d’échange automatique d’informations fiscales pour renforcer la coopération transfrontalière.

• Mettre en place des sanctions dissuasives contre les institutions financières et les entreprises impliquées dans des pratiques illicites : Le cadre légal sénégalais prévoit des sanctions, mais leur application demeure inégale et très timide. Une meilleure application des lois, accompagnée d’une publication régulière des sanctions imposées, renforcerait l’effet dissuasif et encouragerait la conformité des institutions financières.

• Sensibiliser les acteurs économiques et les citoyens aux enjeux des flux financiers illicites et à l’importance de la transparence économique : Des campagnes de sensibilisation sont menées par des institutions telles que l’OFNAC, mais leur portée reste limitée. Une approche plus structurée, impliquant les médias, la société civile et les institutions éducatives, permettrait d’élargir la sensibilisation et de renforcer l’engagement citoyen contre les pratiques illicites.

• Renforcer le cadre légal et institutionnel pour garantir l’application stricte des lois contre la corruption et l’évasion fiscale : Le Sénégal dispose d’un cadre juridique de base, mais l’efficacité institutionnelle pourrait être renforcée. Des réformes visant à accroître l’indépendance des institutions de contrôle et à renforcer leur capacité opérationnelle contribueraient à une meilleure application des lois et à la réduction des flux illicites.

Le Sénégal doit renforcer ses efforts existants en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux

En conclusion, les flux financiers illicites et les défis économiques qui en découlent, tels que la fuite des capitaux, le rapatriement des profits, le manque de transparence, le secret bancaire, l’opacité autour des bénéficiaires effectifs et des paiements dans les secteurs minier et gazier, doivent constituer une priorité pour les nouvelles autorités. Pour freiner l’ampleur croissante des flux financiers illicites, le Sénégal doit renforcer ses efforts existants en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le recouvrement des avoirs volés, l’encadrement des incitations fiscales, la transparence dans le secteur extractif, les contrôles douaniers, la coopération internationale, la mise en place de sanctions dissuasives, la sensibilisation des citoyens et le renforcement du cadre légal et institutionnel, tout en comblant les lacunes identifiées afin d’assurer une gouvernance économique plus transparente et durable.

Bibliographie

Photo Une: ©magazinedelafrique.com/african-banker

(1) CENTIF (Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières) et Le parquet financier

“L’investigation, déclenchée, selon le parquet, à la suite d’un rapport de la Cellule nationale de traitement des information financières, chargée de surveiller les mouvements financier suspects, porte sur des faits présumés de blanchiment de capitaux, d’escroquerie sur les deniers publics, de corruption, de trafic d’influence et d’abus de biens sociaux ».

Rapport de la Cour Des Comptes de 2019- 2023

(2) Récente création et l’installation du Parquet financier

(3) Dans sa déclaration de politique générale l’actuel premier du Sénégal Ousmane Sonko a énuméré un certain nombre de ruptures allant de la rupture avec la souveraineté, la corruption, le chômage, l’injustice, l’insécurité alimentaire, l’inégalité des chances et l’exclusion sociale.

(4) En outre le concept de blanchiment des capitaux n’est rien d’autre que le « processus par lequel la source illicite d’actifs obtenus ou produits par une activité délictuelle est dissimulée pour masquer le lien entre les fonds obtenus et le délit initial » est généralement acceptée par la communauté internationale

(5) Voir Amadou Tidiane Cissé » Afrique de l’Ouest, Nouvel Eldorado du crime organise immersion au cœur du business juteux des hors la loi »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Economiste sénégalais vivant aux Etats-Unis, Souleymane Gueye est professeur d’économie et de statistiques au San Francisco College. Son champ de travail tourne autour des questions de dévelopement éceonomique, de la mondialisation et des politiques macroeconomiques. Naturellement, l’avenir du continent noir et du Senegal son pays d’origine le préoccupe. Ses réflexions sur la bonne gouvernance, la transparence dans la gestion des politiques publiques, entre autres, sont sur Kirinapost. Pour lui écrire: Sgueye@ccsf.edu

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