Le réveil a été brutal, ce matin du 12 février 2025. Jimi Mbaye, guitariste et compagnon de route de Youssou Ndour, est décédé dans la nuit du mardi à mercredi. C’est une grosse perte pour la musique et la culture, si l’on sait que Jimi, avec son jeu si particulier, témoignait de la richesse des sonorités traditionnelles.
« Tous les joueurs de claviers m’balax veulent jouer sur DX 7 YAMAHA à l’instar de feu Adama FAYE paix à son âme. Vous savez maintenant pourquoi tous les guitaristes m’balax veulent jouer sur STRATOCASTER. Repose en paix JIMI » Robert Lahoud
« C’est Allah qui fait vivre et fait mourir, et c’est vers Lui que nous retournerons » (Coran S10- V56).
Le 4 janvier dernier, il distillait ses notes, si singulières, dont lui seul avait le secret, au grand Bal de Youssou Ndour et le Super Étoile. Les dates, qui suivirent, étaient les dernières. Jimi a posé sa guitare.
Son jeu est reconnaissable parmi des milliers. On dit souvent que quand un artiste a atteint ce stade, c’est qu’il a trouvé son chemin et pose son originalité. Mamadou Mbaye dit Jimi, en référence au légendaire Jimi Hendrix, fait partie des musiciens qui ont réussi cette prouesse. L’iconique guitariste solo du Super Étoile de Youssou N’Dour avait trouvé sa voie dans les sonorités traditionnelles.
Combien de fois a-t-on entendu quelqu’un dire, dés les premières notes d’un morceau : « ça c’est Jimi » avec assurance ! Le fait est qu’il avait transposé littéralement le Xalam et la kora sur sa guitare Fender Stratocast et c’était la touche Jimi. Fan de Jimi Hendrix, il ne jouait pas toutefois comme Hendrix. Loin du classicisme, il a su sortir des sentiers battus. Rendant son jeu unique, si bien que lorsque Jimi joue, le spectateur était captivé. Le style, c’est l’homme. Sa légende est faite !
Né en 1957 à Dakar, Jimi est issue d’une grande lignée de griots, il est, comme nous le rappelle Nago Seck dans Afrissons, le petit-fils de Oumy Seck et Djiby Salif Seck (descendants de Matakou et Massata Seck). Pourtant son papa, réticent à le voir embrasser une carrière de musicien, ne lui signa pas tout de suite un blanc-seing, bien qu’étant héritier de cette tradition de griots qui racontait au peuple son histoire. Plus tard, après un passage à la basse, Jimi s’installe à la guitare. Instrument plus proche du Xalam, il s’en sert pour se rappeler au bon souvenir de son rôle de rhéteur et de transmetteur. À force de travail et de perspicacité, ce professionnel aguerri est arrivé à plier la guitare à son vouloir-dire, pour parler comme Césaire à propos de son rapport avec la langue française. Son jeu exquis et captivant racontait le Cajoor, le Jolof, le Sine, le Fuuta, la Casamance, le Sénégal Oriental. Ses mélodies mélancoliques et absorbantes, témoignaient de la bravoure, de la dignité, du sens de l’honneur et de l’humanité des peuples du Sénégal et du Mandé. C’était un passeur de mémoire ! Un Dieli, un guitar-hero africain !
Auteur-compositeur, arrangeur, producteur et chanteur, Jimi débute sa carrière en fabricant sa première guitare avec des filets de pêche dès l’âge de 10 ans. Son grand-frère lui offre une guitare par la suite et en 1977, il joue avec l’African Band et Dagoudane Band (Pikine). Ce sont les grands débuts.
Son compagnonnage avec Youssou Ndour débute en 1979. Ensemble, ils vont écrire les plus belles pages de la musique Sénégalaise, avec Mbaye Dièye Faye aux percussions, Assane Thiam au tama, Papa Oumar Ngom à la guitare, Ouzin Ndiaye aux chants, Alla Seck aux cœurs et danse, plus tard Habib Faye à la basse et à la direction musicale. Jimmy a, ainsi, participé, de façon substantielle, à la révolution opérée par le Super Étoile dans les années 80, qui atteindra son apogée dans les 90 et qui continue sa domination outrancière de la scène.
Comme tous les membres du Super Étoile, Jimi devient une référence dans son instrument. Son jeu original et sa virtuosité lui valent d’être sollicité par des sommité de la musique. Il jouera dans l’album So de Peter Gabriel, accompagnera Gilberto Gil, Oumou Sangaré, Viviane Chidid, Abdou Guité Seck, Waly Seck et fera un duo fort remarqué dans l’album du raffiné bassiste, Cheikh Ndoye.
Parallèlement à sa carrière d’instrumentiste, Jimi entame une aventure en solo avec la sortie, en 1997, de son premier album personnel, Dakar Heart (« Le cœur de Dakar »). Un opus où l’on retrouve, outre son fabuleux son de Xalam, de l’afro-pop. Féru de technologie, Jimi investit dans un studio ultra moderne pour concocter ses sauces dont il avait le secret. Il monte aussi son label, sort son second album, Yaye Digalma (« Maman, conseille-moi » en wolof) et ouvre ses portes aux artistes de toutes les générations, connus ou peu connus. Sa détermination à transmettre était connue de tous.
Toujours fidèle à Youssou Ndour avec qui, il parcourt le monde, Jimi a fait raisonner ses solos magiques sur toutes les scènes mythiques : Apollo Theater, Wembley, Bercy, Carnegie Hall, Olympia, Sorano ou Grand Théâtre pour ne citer que celles là.
Lorsque en 2012, Youssou Ndour décide de rentrer dans le gouvernement du Sénégal comme ministre, Jimi quitta le Super Étoile avec Habib Faye. Ils reviendront 5 ans plus tard. Ils ne l’avaient jamais quitté en réalité. Le Super Étoile était leur famille. On ne garde, au final, que l’image de Youssou Ndour en concert à Union Chapel, chuchotant à l’oreille d’un Jimi, en plein solo, pour introduire l’emblématique « Birima », des choses qu’eux deux seuls et Dieu, pouvaient révéler. Leurs grands sourires, à cet instant précis, valent tout les discours sur l’amitié.
Aujourd’hui, il rejoint Habib dans l’au-delà. Qu’à Dieu ne plaise Jimi retrouve Habib au paradis !
Ma première rencontre avec Jimi se passe en 2004, à Paris après un grand Bal à Bercy. Je suis avec Hamid Fall mon grand frère et fiscaliste émérite (Paix à son âme). Grâce à lui, je rentre dans le saint des saints à la fin du spectacle. Cela se limite à quelques salamalecs et félicitations. Déjà, je remarque un gars attentionné. La deuxième rencontre se passe en 2012. À l’époque, je dirigeais la rédaction de Agendakar. À la fin d’un concert du Super Étoile à l’Institut Français de Dakar, je me rapproche de Jimi. Sur le coup, il ne se rappelait plus de moi mais m’accordait l’interview que j’étais venu solliciter. C’est chez lui où il m’invita qu’il se souvint de notre rencontre parisienne et se confondit en excuces de ne pas m’avoir reconnu sitôt que je m’étais présenté à lui. Signe de grandeur ! Et nous passâmes tout l’après-midi dans son studio. Un moment inoubliable pour moi, tant mon hôte avait pris le temps de me raconter son parcours, ses projets, sa vie de guitariste, les artistes pour lesquels il joue, les jeunes talents qu’il encadre…
À partir de cette rencontre, on a gardé le contact par Messenger et WhatsApp. Pas un Korité, Tabaski ou fête de fin d’années sans qu’on échange quelques mots. Chaque fois qu’on a eu aussi à se croiser à un panel sur la musique ou bien au sortir d’un spectacle, ou au hasard des rencontres, Il gardait toujours le même sourire, la même attention et les mêmes drôleries.
Son départ laisse un grand vide dans le cœur des mélomanes et sa famille pleure un digne fils. Jimi est un homme courtois, un homme posé et réfléchi, un vrai gentleman. Il savait théoriser sa musique, expliquer son univers avec élégance. Il était un intellectuel de la musique. Fils d’un érudit du Coran, il avait hérité de son papa la foi inébranlable, la pudeur et l’humilité. Que toutes ses qualités l’accompagnent et témoignent, pour lui, dans sa dernière demeure.
Toutes nos pensées vont vers ses épouses Awa et Aicha, ses enfants, ses parents et sa grande famille du Super Étoile, Youssou Ndour au premier chef.
Qu’Allah fasse descendre sa miséricorde sur Mamadou Mbaye et soutenir sa famille dans cette épreuve. Quant au Sénégal, le pays tout entier dit Jarama à ce passeur de mémoire et ambassadeur de la culture. Adieu l’Artiste !
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