Lors de son discours à l’Assemblée générale des Nations Unies, le président colombien de gauche nouvellement élu, Gustavo Petro, a dénoncé la guerre contre la drogue et la destruction de la planète menée par les États-Unis. Nous reproduisons ici l’intégralité de ses propos. Source : Les Crises, Jacobin Mag, Gustavo Petro
Ce qui suit est une traduction du discours du président colombien Gustavo Petro devant l’Assemblée générale des Nations Unies.
Monsieur le Secrétaire général des Nations Unies António Guterres, Excellences, mesdames et messieurs les chefs d’État et chefs de mission accrédités à la 77e Assemblée générale des Nations Unies ; Madame la Vice-Secrétaire générale des Nations Unies Amina Mohammed, vous tous.
Je viens de l’un des trois plus beaux pays de la planète. Là explose la vie. Il y a des milliers d’espèces multicolores dans les mers, dans les cieux, dans les terres. Je viens du pays des papillons jaunes et de l’enchantement. Là, dans les montagnes et les vallées qui revêtent toutes les nuances de vert, non seulement les eaux abondantes coulent, mais aussi les torrents de sang.
Je viens d’un pays à la beauté gorgée de sang. Mon pays n’est pas seulement beau —il est aussi violent.
Comment la violence et la beauté peuvent-elles coexister ainsi ? Comment la biodiversité de la vie peut-elle être entrelacée avec les danses de la mort et de l’horreur ? Qui est à blâmer pour avoir rompu l’enchantement en faisant régner la terreur ? A qui ou à quoi doit-on faire porter la responsabilité de vouloir noyer la vie derrière la routine des décisions liées à la richesse et à l’intérêt ? Qui nous conduit à la destruction en tant que nation et en tant que peuple ?
A qui ou à quoi doit-on faire porter la responsabilité de vouloir noyer la vie derrière la routine des décisions liées à la richesse et à l’intérêt ?
Mon pays est beau, parce qu’il abrite la jungle amazonienne, la forêt du Chocó, les eaux, la cordillère des Andes et les océans. Dans ces forêts tropicales, le monde émet de l’oxygène et absorbe du CO2 atmosphérique. Parmi des millions d’espèces, l’une de ces plantes qui absorbe le CO2, est l’une des plus menacées sur la Terre. Partout où elle pousse, on cherche à la détruire. C’est une plante amazonienne. C’est la coca, la plante sacrée des Incas.
La jungle que nous essayons de sauver est, au même moment, détruite, comme à une croisée des chemins paradoxale.
Pour détruire la plante de coca, on pulvérise des poisons, des quantités massives de glyphosate qui se déversent dans les eaux, on appréhende ses cultivateurs et on les emprisonne. Pour détruire ou posséder la feuille de coca, un million de Latino-Américains sont assassinés, et deux millions d’Afro-Américains sont emprisonnés en Amérique du Nord.
« Détruisez la plante qui tue », criez-vous depuis le Nord, « Détruisez-la ». Mais cette plante n’est qu’une parmi des millions d’autres qui périssent lorsqu’on déchaîne le feu sur la forêt tropicale.
« Détruisez la forêt tropicale », «[Détruisez] l’Amazonie » tel est le mot d’ordre suivi par les États et les entreprises. Peu importe que les scientifiques aient fait de la forêt tropicale l’un des grands piliers du climat. Pour les gens de pouvoir de ce monde, la forêt tropicale et ses habitants sont à blâmer pour le fléau qui les frappe. Les gens de pouvoir sont rongés par la dépendance à l’argent, à leur propre pérennité, au pétrole, la cocaïne et les drogues les plus dures afin de mieux s’anesthésier.
Rien n’est plus hypocrite que les discours pour sauver la forêt tropicale. La forêt tropicale brûle, Messieurs, pendant que vous faites la guerre et en jouez. La forêt tropicale, pilier climatique du monde, disparaît avec toute sa vie. La grande éponge qui absorbe le CO2 de la planète s’évapore. La forêt tropicale – salvatrice – est considérée dans mon pays comme l’ennemi à vaincre, comme une mauvaise herbe à éradiquer.
La contrée de la coca et des paysans qui la cultivent, parce qu’ils n’ont rien d’autre à cultiver, est diabolisé. Mon pays ne vous intéresse pas, si ce n’est pour remplir ses forêts tropicales de poison, mettre ses hommes en prison et jeter ses femmes dans l’exclusion.
L’éducation de ses enfants ne vous intéresse pas, vous préférez tuer sa forêt tropicale et extraire le charbon et le pétrole de ses entrailles. L’éponge qui absorbe le poison est inutile ; vous préférez répandre davantage de poison dans l’atmosphère.
Nous sommes votre excuse pour le vide et la solitude de votre propre société qui vous ont poussés à vivre dans votre bulle de drogue. Nous vous masquons ces problèmes que vous refusez de résoudre. Il est plus simple de déclarer la guerre à la forêt tropicale, à ses plantes, à ses habitants.
Pendant que vous laissez brûler les forêts, pendant que les hypocrites éradiquent les plantes avec des poisons pour cacher les désastres de leur propre société, on nous demande toujours plus de charbon, toujours plus de pétrole pour assouvir l’autre addiction : celle de la consommation, du pouvoir, de l’argent.
Qu’est-ce qui est le plus toxique pour l’humanité : la cocaïne, le charbon ou le pétrole ? Les diktats du pouvoir ont décidé que la cocaïne est le poison et doit être poursuivie, même si les décès par overdose qui lui sont imputables sont en nombre minimes (on en compte bien plus qui sont dus aux substances qui lui sont ajoutées en raison de son illégalité imposée).
Pendant ce temps, le charbon et le pétrole doivent être protégés, même si leur utilisation peut éradiquer toute l’humanité. Telles sont les façons du pouvoir mondial, de l’injustice, de l’irrationalité, parce que le pouvoir mondial est devenu irrationnel.
Dans l’exubérance de la forêt tropicale, dans sa vitalité, vous voyez la luxure, le péché – la coupable origine de la tristesse de vos sociétés est inscrite dans la profonde compulsion illimitée de possession et de consommation. Comment cacher la solitude du cœur – sa sécheresse au sein de sociétés dépourvues de sentiments, compétitives jusqu’à emprisonner l’âme dans la solitude – si ce n’est en accusant la plante, l’homme qui la cultive, les secrets libérateurs de la forêt tropicale. Selon les puissances mondiales irrationnelles, ce ne serait pas la faute du marché si l’existence est écourtée, c’est celle de la forêt tropicale et de ceux qui l’habitent. La Suite ICI: les-crises.fr/guerres-de-la-drogue-et-destruction
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