Égyptologie, science et imposture idéologique : mise au point nécessaire face aux dérives de Ahmed Khalifa Niasse ! (Par Cheikh Djibril Kane)

Cheikh Djibril Kane• Égyptologie, science et imposture idéologique : mise au point nécessaire face aux dérives de M. Ahmed Khalifa Niasse !

Les prises de parole répétées de M. Ahmed Khalifa Niasse sur l’égyptologie et, plus particulièrement, sur les thèses du professeur Cheikh Anta Diop, sont symptomatiques d’une dérive contemporaine où l’affirmation médiatique tente de supplanter la démonstration savante.

Elles ne relèvent plus d’un débat scientifique contradictoire, mais d’un discours idéologique fondé sur des confusions, des raccourcis et une méconnaissance manifeste des fondamentaux de la recherche historique.

En science, l’affirmation sans démonstration n’a aucune valeur, et le vacarme médiatique ne remplace ni la méthode ni la preuve.

L’argument consistant à invoquer l’inauguration d’un musée au Caire pour prétendre invalider les thèses de Cheikh Anta Diop relève d’un contresens épistémologique majeur. Cheikh Anta Diop est décédé en 1986 et repose à Thieytou.

Il est donc intellectuellement absurde de l’associer à des festivités prévues pour 2025.
Plus fondamentalement encore, un musée n’est ni un colloque scientifique, ni un laboratoire, ni un espace de validation des savoirs. Les thèses se discutent dans les universités, les revues spécialisées, les laboratoires et les colloques internationaux, non dans les cérémonies d’inauguration.

L’absence de référence explicite à l’Université Cheikh Anta Diop lors d’un événement muséal n’invalide en rien une œuvre scientifique débattue depuis plus de soixante ans à l’échelle mondiale.

Il convient ici de rappeler un fait historique incontournable que M. Niasse semble ignorer ou volontairement occulter.

Le Colloque international du Caire de 1974, organisé sous l’égide de l’UNESCO, a réuni les plus grands égyptologues et africanistes de l’époque. Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga y ont défendu leurs thèses face à leurs pairs, sur des bases linguistiques, anthropologiques, historiques et archéologiques.

Aucune réfutation scientifique sérieuse n’a invalidé leurs démonstrations, notamment sur l’africanité de l’Égypte ancienne, l’unité culturelle de la vallée du Nil et les continuités linguistiques entre l’égyptien ancien et les langues africaines. Depuis lors, en près d’un demi-siècle, aucun contre-modèle scientifique cohérent n’a été produit pour déconstruire ces travaux.

Toute approche sérieuse de l’histoire égyptienne rappelle que le cœur de la civilisation pharaonique se situe en Haute-Égypte, au sud, et non dans le seul delta du Caire. C’est dans cette Haute-Égypte, en continuité directe avec la Nubie et le royaume de Koush, que se concentrent les foyers les plus anciens de la civilisation nilotique. Les faits sont établis et documentés.

Le Nil traverse l’Afrique orientale et centrale avant d’atteindre la Méditerranée. L’Égypte a connu sept grandes dominations étrangères : Hyksôs, Perses, Grecs, Romains, conquête arabe à partir de 639, Ottomans et Britanniques.

Le Soudan possède davantage de pyramides que l’Égypte, preuve de la profondeur et de la diffusion régionale de cette civilisation.

Des structures pyramidales existent jusqu’en Afrique orientale et à l’intérieur du continent.
Ces données sont archéologiques, géographiques et historiques, non idéologiques.

Contrairement aux discours figés, l’égyptologie contemporaine a largement évolué. Des chercheurs reconnus ont confirmé, à des degrés divers, l’ancrage africain de l’Égypte ancienne. Frank Yurco reconnaît clairement les traits africains des anciens Égyptiens.

Bruce Trigger intègre l’Égypte dans les dynamiques africaines anciennes. Jean Vercoutter admet les continuités culturelles et humaines entre Égypte et Nubie.

L’ouvrage Black Athena de Martin Bernal a marqué un tournant majeur en démontrant l’influence afro-asiatique sur les civilisations dites classiques.

Aujourd’hui, le débat sur une Égypte africaine nègre ne constitue plus un scandale scientifique. Il ne subsiste que dans des cercles idéologiques crispés et hostiles à l’évolution du savoir.

Les études génétiques récentes, comme celles publiées dans Nature Communications en 2017 sur le patrimoine génétique des momies de l’Égypte ancienne, confirment d’ailleurs une affinité plus forte avec les populations du Levant et de l’Afrique ancienne qu’avec celles de l’Europe actuelle, renforçant ainsi l’idée d’un peuplement autochtone et africain du berceau nilotique.

Au-delà de l’égyptologie, le discours de M. Niasse révèle une hostilité récurrente envers le peuple wolof, qu’il nie, caricature ou disqualifie symboliquement.

Cette posture n’a aucun fondement scientifique. Elle ne repose ni sur l’histoire, ni sur l’anthropologie, ni sur la linguistique. Elle relève d’une idéologie identitaire marquée par une négation culturelle et un mépris qui confinent au racisme endogène.

Le paradoxe est évident. C’est en langue wolof que M. Niasse s’adresse et se fait comprendre, tout en niant l’existence, la légitimité ou la profondeur historique de ce peuple.

Ce type de discours n’est pas du savoir. Il est émotionnel, idéologique et dangereux, car il alimente la division, la stigmatisation et une violence symbolique gratuite.

Le cœur du problème est ailleurs. Ce qui distingue Cheikh Anta Diop de ses détracteurs est l’œuvre. Cheikh Anta Diop a produit des livres, des articles, des recherches interdisciplinaires et des démonstrations vérifiables.

Face à cela, M. Niasse n’apporte aucune production scientifique majeure, aucune recherche originale, aucune contribution académique reconnue.

Un titre honorifique, aussi prestigieux soit-il, ne remplace ni la méthode, ni la rigueur, ni le travail scientifique. Lorsqu’on ne produit rien, on expose mécaniquement ses carences historiques, anthropologiques, archéologiques et linguistiques.

M. Niasse ne réfute pas Cheikh Anta Diop. Il le contourne maladroitement, faute d’outils intellectuels adéquats.

Ses certitudes trahissent ses limites, et ses prises de position relèvent davantage de l’idéologie que de la science.

Cheikh Anta Diop demeure une référence mondiale, non par militantisme, mais par la solidité, la transversalité et la fécondité de son œuvre.

Et c’est précisément pour cela qu’aujourd’hui, même ceux qui ont l’âge des enfants de ses détracteurs sont en mesure de défendre cette œuvre avec des arguments que ces derniers sont incapables de produire.

La science ne craint pas le débat.
Elle craint seulement l’imposture idéologique qui, sous couvert de polémique, sape les fondements mêmes de la connaissance et de la raison.

La mise au point est nécessaire, non seulement face à M. Niasse, mais face à ce phénomène de déliquescence du discours public sur l’histoire.

Cheikh Djibril Kane
Historien-culturaliste

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