Le Sénégal a récemment tourné une page historique en portant au pouvoir un tandem inédit : Bassirou Diomaye Faye, président, et Ousmane Sonko, Premier ministre. Ce duo, issu du parti PASTEF (Patriotes du Sénégal pour le Travail, l’Éthique et la Fraternité), incarne une rupture radicale avec le système politique traditionnel dominé pendant des décennies par les grandes figures du Parti Socialiste et du PDS. L’arrivée au sommet de l’État de ces deux hommes, dont le combat politique s’est forgé dans l’opposition farouche au régime de Macky Sall, soulève de nombreuses attentes, mais aussi d’importants défis.
Entre espoir de transformation, contraintes institutionnelles et contexte économique difficile, l’heure est désormais à l’épreuve du pouvoir.
Le leadership de Sonko et la naissance d’un espoir politique
Ousmane Sonko, ancien inspecteur des impôts et des domaines, a très tôt cristallisé les espoirs d’une jeunesse sénégalaise en quête d’espoir, de justice, de transparence et de souveraineté. Sa carrière politique débute réellement lorsqu’il dénonce publiquement les dérives fiscales et les privilèges des élites. Sa posture de lanceur d’alerte, son verbe incisif et son discours centré sur la souveraineté économique, la fin de la corruption, et la refondation institutionnelle lui valent un large soutien populaire, en particulier auprès des jeunes et des classes moyennes urbaines.
PASTEF, le parti qu’il fonde, devient très vite un mouvement de masse structuré, mobilisant au-delà des cercles militants traditionnels. Plus qu’un simple parti, PASTEF se positionne comme un projet national alternatif, porté par une vision panafricaniste, anticolonialiste et réformatrice. Si le parti joue un rôle important dans l’ascension politique de Sonko, c’est bien son leadership charismatique, sa capacité à incarner un contre-pouvoir crédible et à tenir un discours sans concession, qui en ont fait une figure centrale de la vie politique sénégalaise des années 2010-2020.
La répression politique et l’épreuve judiciaire
Face à la montée en puissance de Sonko, le régime de Macky Sall réagit avec une brutalité croissante. Accusé dans plusieurs affaires judiciaires, notamment de viol (dans l’affaire Sweet Beauty) et de diffamation, Sonko est frappé par une série de mesures visant à l’éloigner de la scène politique : arrestations, surveillance, liquidation judiciaire de son parti, radiations de listes électorales. L’État engage une véritable machine répressive contre lui et ses partisans, avec des conséquences tragiques : des dizaines de morts lors de manifestations, des centaines d’arrestations, et un climat politique tendu, voire délétère.
Ces manœuvres judiciaires et politiques, loin d’affaiblir Sonko, renforcent paradoxalement sa popularité. Il devient le symbole d’une résistance démocratique face à un pouvoir jugé autoritaire et brutal. Sa rhétorique de combat, son enracinement dans le peuple et sa capacité à mobiliser malgré les interdictions font de lui un acteur incontournable, même lorsqu’il est physiquement absent de la scène publique.
Le choix stratégique : Diomaye Faye, le plan B qui devient plan A
Lorsque l’étau judiciaire se resserre au point de compromettre sa candidature à la présidentielle de 2024, Sonko et le parti PASTEF optent pour une stratégie audacieuse : présenter Bassirou Diomaye Faye, secrétaire général du parti et fidèle compagnon de route, comme candidat alternatif. Incarcéré au même moment que Sonko, Diomaye devient malgré lui le visage légal du projet politique de rupture.
Ce choix s’avère payant. Dès sa libération, quelques jours avant l’élection, Diomaye séduit par son calme, sa rigueur, sa loyauté assumée envers Sonko, et sa capacité à incarner une continuité dans la rupture. Son élection au premier tour témoigne d’une adhésion massive du peuple sénégalais au projet qu’il porte avec Sonko, et d’un rejet profond de l’ancien système.
Une cohabitation au sommet : complémentarité ou compétition ?
L’accession au pouvoir du duo Sonko-Diomaye marque une première dans l’histoire politique du Sénégal. Le président et le Premier ministre partagent une vision politique, un passé militant et une base électorale commune. Mais cette proximité soulève également des interrogations sur les équilibres institutionnels et les susceptibilités personnelles. La supposée absence de soutien affiché du président envers son Premier ministre face aux critiques et aux attaques ciblées alimente les spéculations sur une possible fracture au sommet.
Or, cette relation doit être protégée. Car les tentatives de division sont réelles. Le tandem dérange, et ses adversaires — politiques, économiques, nationaux et internationaux — savent que la meilleure manière de déstabiliser le nouveau pouvoir est de l’opposer à lui-même. Une vigilance absolue est donc de rigueur, tant chez les partisans que dans les cercles décisionnels.
Des défis économiques et financiers majeurs
À ces enjeux politiques s’ajoute un contexte économique extrêmement tendu. Le Sénégal, sous Macky Sall, a connu un endettement massif, officiellement justifié par le financement d’infrastructures et de projets structurants. Toutefois, de nombreux rapports et témoignages évoquent des détournements de fonds, une dette opaque et une gestion clientéliste des ressources publiques.
Aujourd’hui, l’État sénégalais est fortement dépendant des institutions financières internationales, notamment le FMI, dont les exigences pèsent lourdement sur les marges de manœuvre du nouveau gouvernement. Entre la nécessité de rompre avec la dépendance économique, la pression de la dette, les attentes sociales immenses et le besoin de redonner confiance aux partenaires, l’équation est complexe. La transition ne pourra réussir sans une réforme structurelle de la gouvernance économique, mais aussi sans un discours diplomatique habile avec les bailleurs de fonds.
L’heure de vérité
L’accession de Sonko et Diomaye au pouvoir n’est pas seulement une victoire électorale : c’est un moment historique dans la quête d’un renouveau politique et démocratique au Sénégal. Ce qui a été accompli jusqu’ici l’a été au prix d’immenses sacrifices personnels et collectifs. Mais si le combat pour conquérir le pouvoir était difficile, l’exercice de ce pouvoir, dans un contexte national et international tendu, sera encore plus exigeant.
Le peuple sénégalais, qui a joué un rôle déterminant dans cette transition pacifique, reste attentif. Il attend des actes forts, des réformes courageuses, une éthique de gouvernance, et surtout, l’unité du duo présidentiel. L’histoire retiendra peut-être que le plus grand défi n’a pas été de faire tomber Macky Sall, mais de ne pas se diviser une fois le pouvoir conquis.
A eux deux, Sonko et Diomaye, de prouver que la fidélité à un idéal peut survivre à la conquête du pouvoir. Et que l’intérêt du Sénégal reste au-dessus de toute ambition personnelle ou pression extérieure.
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