Saint-Louisien dans toute sa chair, brillant étudiant devenu Docteur en droit, il a fréquenté des facultés aussi prestigieuses que la London Schools of Economics. Son parcours fulgurant au sein du sélectif corps des inspecteurs des impôts lui donne une réputation de technocrate chevronné. Cet ancien conseiller du Président Abdoulaye Wade arpente les coulisses du pouvoir et de la haute administration depuis maintenant plus d’une vingtaine d’années. Fiscaliste émérite, ses prises de position comme ses publications en la matière font autorité. « Arrêt sur image: une photographie de la fiscalité sénégalaise au 30 mai 2021. Contribution à une réflexion sur la fiscalité de développement au Sénégal », est le titre du dernier ouvrage qu’il s’apprête à publier. Son nom : Docteur Hamid Fall. Avant la présentation du livre, le 3 juillet au complexe Terrou-Bi, nous avons lu l’ouvrage et rencontré l’auteur. Échanges passionnants et instructifs.
Ce livre pouvait s’appeler « Développement et fiscalité » tant l’auteur Hamid Fall tente de mettre en évidence comment un État par une fiscalité juste, équitable et bien répartie peut financer son développement.
C’est connu, les pays qui arrivent à bien lever l’impôt sont toujours ceux qui se développent le plus rapidement. Seulement pour le Dr Hamid Fall, lever l’impôt ne suffit pas, il faut savoir gérer les ressources qui en découlent. Selon lui, il y a une inadaptation de la fiscalité aux réalités économiques et sociales mais aussi et surtout le sentiment pour le citoyen que l’impôt qu’il paye ne sert pas à grand-chose. Le chercheur croit fortement que le citoyen, de plus en plus conscient devient exigeant et veut sentir les effets de l’impôt qu’il paye dans sa cité. L’impôt est censé faire le bonheur de la collectivité.
« On dit souvent que l’impôt est une prestation pécuniaire sans contrepartie, c’est faux ! il y a bel et bien une contrepartie. Bien sûr vous ne vous pouvez pas dire ma cotisation je la veux pour telle école ou tel hôpital mais elle est censée profiter aux actions et œuvres publiques. Il y a facture d’impôt : j’ai payé 100, je veux savoir comment mes 100 ont été utilisés » explique le penseur qui veut permettre aux contribuables de mieux maitriser l’outil fiscal.
Quel excellent professeur alors que le Dr Hamid Fall pour aider le citoyen à mieux comprendre l’impôt au Sénégal. Il faut dire que l’ inspecteur des impôts et domaines, a été à bonne école. London School Of Economics — UK (Certificat d’Études supérieures en Politique économique internationale et Développement en 2000, Western Illinois University — USA (Certificat Fulbright d’Études supérieures en Économie internationale — Option : fiscalité internationale en 1999), université de Toulouse I, où il devient Docteur en Droit Public (option fiscalité) en 2001 pour ne citer que celles-là. Si on veut donc parler de fiscalité, on ne peut pas trouver mieux. Dès lors quoi de plus normal que de lui accorder une oreille attentive sur ces questions et celles liées au développement.
« L’impôt est censé faire le bonheur de la collectivité »
Que faire alors pour que le citoyen soit satisfait de la facture d’impôt ? Pour le Docteur, il est urgent de promouvoir la bonne gouvernance. Selon lui, beaucoup de jalons ont été posés mais beaucoup reste à faire.
« Nous devons aller davantage vers la bonne gouvernance. Il est impératif d’investir dans la qualité des dépenses publiques. Je crois aussi qu’il faut fortement réprimer les détournements de deniers publics. Enfin et c’est un de nos plus gros handicaps, il faut dissocier le politique du technique. Le tout consiste à restaurer la confiance du contribuable » liste le fiscaliste.
Toujours autour de la discussion sur l’impôt. On en arrive à parler d’équité, de répartition de l’assiette fiscale. Notre hôte pense qu’il y a des choses à corriger à ce niveau surtout en ce qui concerne la taxation sur les grandes entreprises.
« Il faut taxer les plus grandes entreprises et rendre l’impôt plus équitable. Il y a un grand intérêt à revenir à la notion d’équité horizontale par exemple. Quand on a le même revenu, toute chose étant égale par ailleurs, on est censé payer le même impôt sous réserve du nombre de part qui fait varier la charge en fonction de la famille ect… Il y a également l’équité verticale que veut que quand je gagne plus, qu’il soit normal que je paye moins… c’est tout le débat aujourd’hui sur les réformes à mener. Qui parle de justice fiscale ne parle pas de TVA mais parle d’impôt sur le revenu. Nous allons y parvenir à cette justice fiscale j’insiste, en taxant les plus grandes entreprises» dira–t–il
Il apparaît clairement qu’Hamid Fall souhaite que les plus riches soutiennent davantage l’effort de développement. Quand on lui demande s’il y a des possibilités comme dans certains pays, de multiplier les œuvres d’utilités publiques ou les œuvres de bienfaisance et payer moins d’impôts, il répond que ces dispositions existent en l’article 8 du Code Général des Impôts mais ne sont guère promues.
« Exonérer d’impôts les grosses entreprises en cette période de pandémie est une hérésie »
À propos d’œuvres d’utilités publiques, l’inspecteur des impôts qu’il est ne comprend pas les mesures d’exonérations prises en faveur des grosses entreprises lors de la Covid-19 alors l’État a des urgences à satisfaire.
« Pendant la pandémie, les entreprises, au lieu d’être exonérées d’impôts devraient être taxées parce que c’est là où l’État a besoin de plus d’argent pour financer la lutte contre la pauvreté. C’est une hérésie que le Sénégal choisisse l’allégement des impôts sur les sociétés des grandes entreprises. Ceux qui ont décidé cela sont passés complètement à côté » marte-t-il. L’avenir lui a donné raison. La plupart des grosses entreprises ont fait des bénéfices record malgré la pandémie. Seules les PME et les TPE ont été et sont encore durement éprouvées par la crise liée au coronavirus.
Hamid Fall est formel. En matière fiscale, le Sénégal ne réinventera pas la roue. Tous les instruments sont à notre disposition et il s’agit tout simplement de mettre en œuvre une politique fiscale en adéquation avec nos réalités.
« Tout l’arsenal est à notre disposition, mais une fois qu’on a un bon système, il faut savoir le gérer. C’est ce qu’on appelle les finalités d’une bonne gestion de développement » renseigne le juriste.
Peut-on avoir une politique économique en adéquation avec nos réalités quand notre monnaie ne reflète pas cette réalité, lui demandons-nous pour parler un peu du FCFA.
Comme réponse, il nous dira reconnaitre que le FCFA est une bonne monnaie, stable qui bénéficie de bonnes garanties mais qu’il comprend le discours liant la monnaie à la souveraineté car on est mieux servi que par soi-même. Toutefois, il est important averti-il de ne pas s’aventurer à quitter le FCFA juste par orgueil. Une éventuelle sortie devra se faire de façon minutieuse et rigoureuse.
« L’ intellectuel doit être critique, semer des idées et surtout ne pas s’enfermer dans son bureau »
Au bout d’une bonne heure de discussion passionnante et interrompue sur les impôts, l’informel (nous y reviendrons), le FCFA et autres, nous sortons de ce volet économique et abordons le rôle de l’intellectuel dans la cité.
Un intellectuel pour lui doit d’abord « être critique » et il faut que la société lui reconnaisse ce droit d’être critique. À partir de là, pense-t-il, un intellectuel peut alors « semer des idées », les « récolter » et les mettre « à la disposition » des citoyens et des décideurs.
Pour lui, peu de penseurs jouent leur rôle de propositions malheureusement et restent dans leurs bureaux ou universités.
« Écrire des articles, donner des cours ne suffit pas, il faut que la réflexion provienne de votre pratique et de votre vécu, de votre cursus académique mais aussi de votre vie sociale. c’est-à-dire en écoutant et observant la rue, en interrogeant les mouvements et les changements de la société. C’est comme cela que la réflexion peut être au service de la nation de façon utile. Malheureusement, la course à la recherche de la dépense quotidienne ne milite pas pour un tel travail » souligne Dr Fall qui souhaite par ailleurs voir tous les intellectuels de Saint-Louis se mobiliser pour leur ville.
Hamid Fall a grandi à Saint-Louis. Régulièrement, il séjourne dans son « hometown » comme il dit. C’est son terroir, ses racines et sa source d’inspiration. Saint-Louis représente énormément à ses yeux. Une ville qu’il observe avec beaucoup de potentiels mais qui tarde à se mettre sur les rails du développement.
» Le potentiel de Saint-Louis est immense et la ville a besoin de tous ses enfants »
Il est vrai que Saint-Louis est un peu victime de son passé glorieux. Capitale de l’AOF, capitale du Sénégal fraîchement indépendant, il est passé du jour au lendemain du centre à la périphérie. Toutefois avertit-il les investisseurs, sautent de plus en plus les centres pour s’ouvrir directement aux terroirs. C’est une tendance intéressante surtout avec les nouvelles ressources découvertes dans la région. Faudrait-il que tout cela soit préparé de manière efficiente.
« Saint-Louis a une vocation naturelle à devenir un carrefour du savoir par son école coranique, son école française et son université. Saint-Louis est aussi une ville culturelle et touristique, une ville de pêche, une ville de sport et une ville à dimension internationale, mais également une région agricole d’envergure. Malheureusement, tout ceci n’est pas encore valorisé à la hauteur des capacités. Si une ville avec tous ces atouts cités plus haut ne trouve pas son bonheur, la perspective hydrocarbures ne doit pas rassurer. Nous devons plus que jamais être vigilants et soutenir ceux qui voudront construire cette cité à la population jeune dont une grande partie est au chômage. Les défis pour éradiquer la pauvreté galopante et l’érosion côtière par exemple sont importants mais, ensemble, on peut les relever » plaide le saint-louisien.
Est-ce une entrée politique ? Non jure-t-il. La politique n’est pas sa tasse de thé. Il veut être utile. Conseiller d’un maire, membre d’une association ou mouvement actif pour le développement en mode société civile ? Il ne dit pas non, mais refuse d’être encarté.
« On doit pouvoir agir sans être politique. Nos hommes politiques doivent savoir qu’ils ont besoin d’ailleurs de technocrates, de penseurs et de compétences qui sont détachés de tous clivages politiciens pour que leurs projets aboutissent. Mon destin n’est pas d’être un homme politique. Je veux être utile. J’ai été conseiller et très proche collaborateur du Président de la République du Sénégal sans appartenir à aucun parti politique et je crois que je n’ai pas été mauvais… au contraire » conclut-il.
Nous restons un bon moment à parler de politique notamment du Président Macky Sall pour qui il a du « respect », mais aussi de son « brillant » ancien collègue aux Impôts et Domaines Ousmane Sonko devenu un homme politique de premier plan et pour qui, il a une affection particulière. Nous consacrerons un article à ce volet… intéressant. Nous parlons aussi de la nécessaire intégration africaine, de la souveraineté, des institutions de Bretton-Woods, de la coopération avec la France dont certains points seront d’ailleurs au cœur de son prochain livre sur la fiscalité…oui avec Hamid Fall on en revient toujours à la fiscalité.
Photo Une:©Boubacar Touré Mandemory
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