Le discours du président français s’est inscrit dans la continuité inflexible des politiques d’influence, impliquant raccourcis et contradictions rhétoriques d’une part, et d’autre part lucidité manœuvrière, dans la tentative de proposer des stratégies alternatives visant à enrayer la perte d’influence française en y associant officiellement des Africains. Mission civilisatrice contrariée, pré-carré épuisé, nouvelles stratégies d’influence et de domination.
Le discours du président français le 27 février 2023 en prélude à sa tournée africaine n’a pas surpris sur l’essentiel. Au contraire il a confirmé que les interrogations qui avaient pu surgir quant à une éventuelle autre politique africaine de la France du fait de la jeunesse du président, ont vécu. Il ne semble pas y avoir en France ou en Europe, parmi les élites visibles et/ou au pouvoir, des figures identifiables capables de tirer toutes les conséquences politiques de la souveraineté des pays africains, en admettant le reflux naturel des logiques d’empire ou d’influence.
On retrouve en toile de fond du discours d’Emmanuel Macron les grandes lignes des rapports français d’il y a une décennie sur les relations africaines et françaises, notamment celui de 2013 signé par l’ancien ministre Hubert Védrine, coécrit entre autres par Lionel Zinsou et Tidjiane Thiam deux Africains: l’Afrique est trop importante pour risquer de la perdre, le FCFA est un instrument d’influence que la France devrait étendre aux pays anglophones, aucune puissance n’est absente du continent africain les entrepreneurs français doivent être plus compétitifs, etc.
La même année 2013, deux sénateurs français, Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel rédigeaient un rapport à l’intention du Sénat allant dans le même sens sous le titre non équivoque : «l’Afrique est notre avenir ». Emmanuel Macron le rappelle en affirmant sans aucun besoin d’en référer aux Africains « Nous avons un destin lié avec le continent africain ».
Sur le fond donc il n’y a nulle trace d’inflexion des politiques de présence, d’influence sinon les agents et secteurs qui seront mobilisés à ces fins. Dans cette veine conservatrice quelques poncifs reviennent inlassablement, la France actuelle victime de son passé, les Africains qui se trompent dans la désignation des acteurs de leurs malheurs, etc. cela donne : « Nous avons pourtant, malgré nous, assumé une responsabilité exorbitante.
Cela nous vaut aujourd’hui d’être l’objet par amalgame du rejet qui frappe une classe politique malienne qui a échoué à redresser son pays et c’est ce piège qui pourrait, si nous n’y prenons pas garde se reproduire ailleurs » ou plus loin « la France devient le bouc émissaire idéal ». Malheureusement la situation malienne est à la fois plus simple -l’échec de la lutte contre le djihadisme justifiant la présence militaire française-, et complexe dans la mesure où l’action politique et diplomatique françaises n’est pas considérée comme neutre dans le pourrissement de la situation malienne vue du Mali.
Le choix inavouable de maintenir des politiques de présence voire d’empire dans le contexte d’une « mission civilisatrice » contrariée produit des propos quelques peu surréalistes contre les autres puissances concurrentes : « … ce partenariat renouvelé que nous souhaitons, qui est l’inverse des logiques de prédation, qu’elles soient militaires et sécuritaires ou qu’elles soient financières, poussées aujourd’hui par d’autres pays. ».
Pour un pays qui a pratiqué la traite négrière, la colonisation et les formes les plus violentes de néocolonialisme (assassinats des leaders, étouffement des mouvements de libération et de démocratisation, pillages du pétrole, de l’uranium, mainmise des multinationales françaises, etc), on en vient à se demander si l’empire ne parie pas par excès sur l’amnésie des Africains par ailleurs si respectés dans le texte …
Le propos sur le franc CFA, confus et difficilement intelligible a été un sommet dans les contradictions d’Emmanuel Macron, emporté par la volonté d’habiller les desseins d’empire de raison économique, démocratique ou de rupture -un mot qui a disparu du lexique : « Nous les avons obtenus [nos engagements] en réformant le franc CFA, en nous retirant de la gouvernance de la zone UMOA et en faisant la démonstration que cette monnaie est bien une monnaie africaine qui pourra, si les gouvernements de la CEDEAO le souhaitent, préfigurer une monnaie unique qui prendra un autre nom. Nous y sommes prêts ».
Cette phrase trahit la seule véritable intention française affirmée explicitement et constamment depuis 2013, réaffirmée en 2018 dans le rapport eurocentrique de Dominique Strauss-Kahn relativement au Franc CFA : non pas le maintenir mais l’étendre à de nouveaux pays pour repositionner, redimensionner une influence en baisse dans le pré-carré. Le président français assume le fait que cette réforme très formelle est le fait de « ses engagements », et estime paradoxalement avoir fait la démonstration que c’est une monnaie africaine !
Ce n’est pas ce qu’il y a de plus évident, d’autant moins que pour « réformer » le CFA d’Afrique de l’ouest, il aura fallu le vote du parlement français et l’approbation de l’Union Européenne, sans vote ni avis des parlements des pays concernés ! Curieuse monnaie africaine créée et fabriquée en France, exclusivement convertible en franc français puis en euros, dévaluée par la France, gérée à l’international par la Banque de France, déposant ses réserves de change au Trésor français, défendue par des autorités françaises contre la société civile africaine.
L’évocation explosive de l’ECO vécu en Afrique comme une usurpation à la CEDEAO a disparu mais pas l’objectif. Il faudra bien pourtant ouvrir les yeux et admettre que les Africains, qui de ce point de vue devraient s’adresser à leurs représentants, n’aspirent pas à un changement de nom, d’administration, mais plutôt à la fin du franc CFA et à ce qu’il incarne de dépendances. Car en fait, le point central qu’expriment les mobilisations africaines depuis plusieurs années, reprenant en partie les revendications des années 1960, c’est la décolonisation et la mise à distance des anciens colonisateurs dont la France dans la conduite de toutes leurs affaires. Il paraît difficile aux élites et médias français d’entendre cette lame de fond de l’histoire, ce qui rend nombre de discours, de tentatives de replâtrage contre-productifs, avec des risques à terme de dérives non maîtrisées.
Le président français a par contre fait montre de lucidité en observant le rejet anxiogène, le « déclin » de la présence économique française tout en les euphémisant. Il a insisté sur la nécessité d’une compétitivité de l’offre française, d’un changement d’attitude face à la fonte des rentes anciennes et l’impératif de la confrontation au marché. Ce qui est clairement annoncé, ce sont les nouvelles stratégies d’influence qui, à l’instar des Etats-Unis d’Amérique n’emprunteront plus uniquement les canaux officiels de relations de gouvernements à gouvernements, mais ceux des ONG (réelles ou suscitées/contrôlés ?), des réseaux d’intellectuels (sélectionnés par qui ?), bref d’acteurs non institutionnels sans légitimité démocratique.
Ce qui n’est pas forcément rassurant et qui ouvre la porte à des affinités électives sur des critères nébuleux s’apparentant à la tentation de créer des classes relais ou compradores officielles, s’ajoutant à d’autres canaux informels d’influence (services d’intelligence, multinationales, figures médiatiques de la culture, de la science, du sport, etc.). Ainsi il s’agirait par exemple de répandre la démocratie en Afrique en utilisant des intellectuels africains choisis, de faire avancer l’agenda français en Afrique avec la collaboration de la diaspora africaine. Comme le montrent les orientations actuelles de l’Agence française de développement, les secteurs ciblés par ces nouveaux partenariats porteront notamment sur le digital (jeunes), la culture et sa version « industries culturelles », celles dont la Corée du Sud a démontré l’énorme potentiel de soft power mondial.
Notons qu’à aucun moment le discours d’Emmanuel Macron ne cite de documents de référence africains, comme l’Agenda 2063, adopté par l’Union africain et sur lequel les Africains sont tombés d’accord ou même la Zone de libre-échange continentale ZLECAF. Pas de mention de l’idéologie ou doctrine la plus en vogue en Afrique y compris dans les discours des présidents, prétendant donner un avenir collectif au continent et aux diasporas, le panafricanisme ou certains de ses contenus.
Dit autrement, le partenariat français pourrait tenter de concurrencer la Chine et sa fourniture d’infrastructures, il pourrait restituer « les œuvres africaines entrées dans nos collections » aux conditions par la France établies, mais il ne saurait écouter et entendre les demandes et aspirations africaines institutionnalisées par l’Union africaine. Et pour cause au cœur de ces demandes, la décolonisation la plus étendue possible que ni les élites françaises ni les intellectuels africains associés à ces partenariats n’ont la capacité d’intégrer à leurs perspectives.
Une confirmation que les Africains ne doivent rien attendre de personne et travailler à forger par l’éducation, l’initiation, la formation, une élite éthique et consistante, compétente et critique, vouée à contribuer substantiellement à l’amélioration des conditions de vie des Africains et Afrodescendants d’Afrique et des diasporas.
Laisser un commentaire