Il se raconte que c’est grâce à la lyre traditionnelle de Sorano que les instruments de musique moderne ont atterri au Sénégal, et que, si la salsa fut la première musique et la plus écoutée dans le pays, c’est que Cuba n’avait trouvé rien d’autre à donner aux pays en voie de développement pour appuyer leur lutte de libération, si ce n’est ces disques vinyles. Le Mbalakh est venu par la suite tout balayer et écrire les plus belles pages de la musique sénégalaise grâce à des artistes d’exception comme Youssou Ndour, Ismaël Lo, Thione Seck, Baaba Maal, Souleymane Faye, Cheikh Lo, Oumar Pène. Au moment où la plupart d’entre eux fêtent leur 50 ans de carrière, il est intéressant de s’interroger sur leur héritage et sur l’avenir d’un Mbalakh sans ses ténors.
Tout au long de la décennie 1960-70, les musiciens sénégalais jouaient-ils de la salsa mais aussi des reprises des classiques Français et américains.
C’est au début des années 70 que la musique sénégalaise, en tant que label, commence à prendre forme, d’abord par la composition de lyrics en langues nationales, si ce n’est la reprise du répertoire du patrimoine national, puis par l’introduction des instruments traditionnels.
Des choix qui ont été accueillis avec un enthousiasme au moment où le public cherchait un beat qui lui parle, parce que parlant de ses préoccupations, et dans sa propre langue. Ça change tout.
Nous sommes dans la première décennie post indépendance et la quête identitaire est au cœur des préoccupations.
Cinq décennies plus tard, ce label, le Mbalakh, après avoir fait danser deux générations et écumé les plus prestigieuses scènes mondiales, les plus grands festivals, le Mbalakh fait de moins en moins recettes, et semble boudé par la jeune génération.
Nous sommes loin des balbutiements au début des années 70 avec « Chérie coco » de Pape Djiby Ba, « Mba » de Youssou Ndour et en écho, « Sutukum » de Pape Touré du Ifanbondi Jazz, un air venant de l’autre rive de la Gambie, et exprimant les affinités culturelles et linguistiques dans l’espace sous régional.
Loin de la période expérimentale d’un Super Diamono retiré au sud, en Casamance, à la quête de son propre beat, encore hésitant entre un afro beat mâtiné au Jazz du Xalam II, de West African Cosmos à la fin des années 70 début 80, le Mbalakh balbutiant et la salsa qui subissait les coups de boutoir des premiers.
À l’aube des indépendances, la musique dominante est la salsa avec des têtes d’affiche comme Dexter Johnson, Kunta Mame Cheikh, Ablaye Ndiaye Thiossane, Amara Touré, Laba Sosseh et une floraison de groupes installés à Saint Louis du Sénégal, ville fraichement dépouillée de son statut historique de capitale de l’AOF. Comme le star jazz de Saint Louis.
Dakar nouvelle capitale est le théâtre de l’odyssée du Mbalakh avec Ibra Kassé propriétaire du Night-Club Miami et fondateur du Star Band depuis 1960, une constellation des meilleurs musiciens d’alors. Le Miami et son orchestre le Star Band dominait les nuits Dakaroises et devint le temple de jet setters avant l’heure et des célébrités d’antan.
Avec Pape Serigne « Dagana » Seck chef d’orchestre, saxophoniste, chanteur à la voix singulièrement rocailleuse, contrastant à celle fluette de Magued Ndiaye et médium de Pape Djiby Ba. L’expérience produit un vinyle ontologique et fondateur comprenant « Chérie coco » « Caramélo » « Vamos Palmonte » entre autres. Opus qui rencontre un succès fou.
En 1975 survint un différend entre l’orchestre et son partenaire Ibra Kassé. Pape Seck prit le leadership d’un groupe de dissidents dont Yahya Fall, Thierno Kouyaté, Doudou Sow pour mettre en place le Star Band Number One.
Le Star Band Number One sort tout de suite son premier album « Maam Bamba » et en 1976 « Jangaké » le succès est tel que la rivalité entre les deux groupes culmine en 1977 avec le titre « Mathiaky » de Pape Seck qui lancait péremptoire « Rééwmi tolu na fo xamnii kuñu jëlul perdi gá ».
Le Number One enchaine des concerts courus par les adolescents qui ne pouvaient pas les voir en boite à leur âge, et met le feu à chaque fois au stadium Iba Mar Diop, devenu le premier espace d’exposition et de réception publique des œuvres musicales. Avec des titres comme «Jangaké», «Thiély», «Yoro», «Liiti Liiti», chantés en langue nationale et avec un rythme nouveau.
Cette dissidence profite au jeune Youssou Ndour signalé au sénégalais lors d’un concert à Saint Louis (Nord du Sénégal), en hommage au pionnier Pape Samba Diop dit Mba, en effet les échos de cette performance et son jeune âge, alimentent les débats de grand place et attirèrent l’attention du patron de la célèbre boite de nuit le Miami, Ibra Kassé.
Comme pour dire ses ambitions, le futur patron du Super étoile âgé seulement de 15-16 ans intègre la célèbre boite de nuit.
Il se pose comme vis-à-vis de Pape Seck et autres transfuges du Miami, et leur lance, provocateur « Kuy lapi lapi fii nga jaaroone » dans sa reprise de « Thiély », répondant aux piques de « Mathiaky ».
À son tour Youssou Ndour, quitte le star Band de Ibra Kassé pour créer le groupe Étoile de Dakar en 1978, et ce sera une véritable immersion novatrice dans notre patrimoine folklorique au niveau des lyrics, des rythmes, plus syncopés avec la sabar, puis le tama et une présence scénique.
Le groupe connaitra des arrivées et des départs pour faire sa mue. Il prend ensuite le nom de Super Etoile qui ira à la conquête du monde. Une fabuleuse aventure musicale et humaine débuta.
Le fait est qu’à la fin des années 80, le showbiz sénégalais prend forme, à la faveur des sorties internationales des orchestres, qui découvrent l’organisation du showbiz, ses circuits de distribution et leurs majors, ses festivals et son public. Le Touré Kunda et le Xalam montrent la voie en accédant à ce circuit européen. Prosper Niang le légendaire batteur du Xalam aidera beaucoup de groupes locaux à se perfectionner.
À Dakar devenue capitale depuis 1962, après le Festival mondial des arts négres de 1968, les acteurs d’un showbiz structuré se mettent en place dans les années 70 avec Maguette Wade, Francis Cheikhna Ba et autres Demba Dieng « Mounga ». L’audience du Mbalakh atteint alors une masse critique grâce aux médias et à la démographie galopante.
La dynamique s’amplifie avec l’arrivée de la télévision, devenue principal outil d’évasion des familles, avec une nouvelle génération d’animateurs talentueux et surtout au faite de l’évolution du showbiz comme Khalil Sock Gueye, Moise Ambroise Gomis, Michael Soumah, Sonia…
Dans la décennie 90/2000, la musique sénégalaise qui a pris le nom de Mbalakh, au début des années 80, est plus que référencée dans la world musique, une trouvaille des majors de production pour vendre les expériences des stars Européennes avec les leaders Africains que sont Youssou Ndour, Salif Keita, Mory Kanté parmi les plus célèbres.
Le Mbalakh règne désormais au Sénégal avec comme identités fortes et remarquables Youssou Ndour, Omar Péne, Ismaël LO, Thione Seck et Baaba Mal, même si ce dernier réclame son Yéla.
Exit la salsa devenue has been et qui a dû se réinventer par une savoureuse salsa Mbalakh portée par Medoune Diallo, Rudy Gomis et autres Nicolas Menahem, mais reste confinée dans la tranche d’age des séniors. Ce genre reviendra dans les années 90 avec Africando et au début des années 2000 grâce au retour au premier plan de Baobab.
Le succès du Mbalakh embrasse toutes les couches et strates sociales, tant, et si bien, que les émules se bousculent et déjà une nouvelle génération frappe à la porte. La musique est un métier qui nourrit son homme. D’autant que le succès en cet art assure une notoriété qui ouvre beaucoup de portes.
Les groupes de Mbalakh font florès avec des fortunes diverses, mais il y avait à chaque vague des pépites.
Comme le Lemzo Diamono qui fut un cluster, apparu dans cette période. Le groupe créé par le génial guitariste Lamine Faye innove avec le marimba, et lance de nouveaux noms qui feront plus tard leurs carrières : Alioune Mbaye Nder, Pape Diouf, Salam Diallo, Mada Ba et Fallou Dieng. Leur tube « Cocorico » cartonne.
Même chez les Dames les têtes d’affiche se disputent la perruque de Reine. La pimpante Coumba Gawlo Seck en tête de gondole, couronnée disque d’or, après Youssou Ndour, suivie de la sexy et sulfureuse Viviane Chedid sans oublier Titi, Aida Samb pour ne citer que celles-là.
C’est au début de cette décennie que nait la génération « Boul Faalé » à travers le hip hop, encore confiné à une mode de teen agers, condamné à l’évanescence a-t-on cru. C’est ne pas compter sur la déferlante mondiale de ce mouvement et le talent de la bande à Duggy Tee et Awadi, introduite sur la scène internationale grâce à Baaba Maal, le roi du Yéla venant de signer avec Island records.
Ce sont les mutations technologiques avec l’apparition du digital et sa cohorte d’applications qui aura installé la crise du Mbalakh. Avec la disparition des supports classiques que sont les cassettes et CD, les artistes se voyaient priver de leur principale source de revenu. Ne restait que la scène et maintenant internet…
Jusqu’en 2020 les ténors du Mbalakh devenus papy et sexagénaire font de la résistance, sans n’avoir pas baissé la garde sous la poussée de la jeune génération incarnée par Pape Diouf, Alioune Maye Nder, Abdou Guita Seck et plus tard Sidy Diop, ou encore Wally Balago Seck, le fils de son père. Le grand Thione Seck.
Mais à l’exception de ce dernier, les héritiers n’ont pas assuré la relève. Les rangs ne sont pas bien garnis de ce côté, pour dire le moins.
Pire quelqu’un comme Pape Diouf a juste choisi d’être un clone de Youssou Ndour jusque dans sa chorégraphie. Un énorme gâchis au regard de son talent révélé avec le Lemzo Diamono, et confirmé par sa première production ! L’artiste n’a pas seulement signé avec Prince Art, le label, il a aussi prêté allégeance au roi du Mbalakh.
Au-delà de sa longue durée de vie et les mutations technologiques, le nombre insuffisant de talents parmi la génération qui suit les ténors est une des causes, sans doute, du déclin inexorable du Mbalakh.
D’aucuns en sont venus à planter leurs pénates à Paris, se contentant de chauffer les nuits hivernales où d’égayer la Diaspora en été. Pape Djiba Ba, Mor Dior Seck très tôt, Demba Guissé, Khamdel Lo ces dernières années. Dans un registre loin du Mbalakh des artistes comme Wasis Diop, Woz Kaly se sont posés également en France avec une certaine réussite. Ce dernier revient de plus en plus au pays et fait de Dakar sa ville de création.
La première génération était si fournie que vous avez des sommités en deuxième ligne comme Cheikh Lo, Souleymane Faye, Ismaël Lo qui ont explosé les scènes des plus grands festivals en Europe et mené de brillantes carrières.
Si a nouvelle génération des VIJI, Mia Guissé, Amadeus, JAH Mazn X-Press, Obree Daman, a du talent indiscutablement, elle a aussi enlevé de sa musique, la couleur Mbalakh pur et dur en boudant les percus. Ou en les réduisant au murmures, à tout le moins.
Des artistes comme Sahad, Ndary Diouf, Tex, Chadia, Mustafa Naham, Defma Madef, tentent de proposer une musique alternative qui intéresse de plus en plus les festivals…toutefois force est de constater que la musique sénégalaise n’est plus aussi conquérante et attractive que la musique malienne par exemple…il est temps d’agir !
En attendant, les papy, font plus que de la résistance. À l’instar d’un Youssou Ndour, ils tiennent encore haut les couleurs de la musique sénégalaise. Nous ne pouvons que leur souhaiter une longue vie car après eux, c’est le désert. Est-ce à dire que le Mbalakh vit ses dernières années ?
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