L’action politique, depuis l’héritage des Lumières, a créé un espace public laïc et une façon d’interroger le monde, bien au-delà de la seule question du pouvoir politique. Replacer dans ses contextes, la politisation peut-être lue comme un moyen de transformer progressivement des sujets en citoyens par l’affirmation de leur suffrage. La politique est encore une façon de tenir à distance la violence et d’œuvrer à la construction d’un État modernisé et d’une société. Alors comment peut-on comprendre toute la grammaire de l’hostilité, de l’inimitié spontanée à l’aversion persistante qui prend rapidement forme sur la place publique et la toile?
La politisation de la haine que chacun peut observer ne répond pas à un programme mais à des actions continues ou discontinues. Les projets politiques qui s’affirment et s’affichent mettent sur le devant de la scène le recours aux armes et l’emploi de la violence contre les ennemis du moment. La haine n’est jamais considérée comme un principe métapolitique surplombant la scène des affrontements. Elle relève plutôt de processus infrapolitiques qui accompagnent la violence des « factions », qu’elles soient à la tête de l’État ou dans le camp des opposants. Dans un État devenu allergique à la contingence et animé d’une fureur judiciaire, il faut avoir l’ascèse d’un saint pour rester imperturbable. Le désarroi et la peur du basculement sont les sentiments de tous ceux dont le cœur bat généreusement et qui aspirent à plus de justice et d’équité, garantes de la paix. Ce qui prévaut hélas, c’est bien l’hostilité irréductible placée au cœur de l’action. Il n’y a pas de place pour le conflit négocié qui suppose que les uns et les autres se reconnaissent comme des interlocuteurs valables ni pour la réflexion sur la place de la haine et de la violence.
Le compromis semble impensable ou inacceptable. Et pourtant, ce qui nous unit au-delà de toutes nos différences est infiniment plus grand que tous nos antagonismes. C’est ce pays coloré et riche de sa diversité ethnique et culturelle et longtemps assis sur un substrat de paix et d’ouverture, loué et envié par tout un continent. Nous n’avons pas le droit de saborder cet exaltant travail d’édification de la nation sénégalaise. Ce pays connu pour sa téranga légendaire est un bien commun. Il est un et indivisible et ne peut prospérer que sur la culture de l’altruisme. Que chacun d’entre nous se fasse l’artisan de la cohésion sociale pour une paix durable et un développement inclusif en refusant l’instauration de la haine et des positions irréconciliables.L’Etat est le premier qui doit faire cette démarche d’apaisement en sortant de la logique violente dans laquelle, il s’est enfermé comme dans une tour d’ivoire. Il doit surtout se réapproprier l’obligation de rendre des comptes à tous les niveaux : politique, économique, social, environnemental, éthique.
S’imposer une reddition qui conduit à poser de nombreuses questions relatives au pouvoir, au leadership, au contrôle, à la responsabilité individuelle ou collective, aux systèmes de mesure de la performance dans les organisations. C’est ce qui désigne le sens proprement éthique des institutions. Elles élargissent les relations personnelles au « tiers », à « l’anonyme » à celui qui échappe au vis-à-vis des rencontres particulières. Elles attirent ainsi concrètement l’attention sur ce qui est juste pour tous et chacun et le demeure dans la durée de l’histoire, au-delà des personnes privées et des groupes particuliers. La justice pour tous passe concrètement par le fonctionnement correct des institutions. Elles promeuvent une juste répartition du travail et de ses revenus, mais aussi des fonctions et des tâches, des droits et des devoirs qui permettent à chacune et à chacun de recevoir sa part et de prendre part au vivre ensemble commun. Et comme l’affirmait Zola : » Il n’ y a de bonheur que dans la paix et il n’ y a de paix que dans la justice ».
Alors, oeuvrons chacun pour la paix et la cohésion des coeurs et des esprits en faisant de la bonté et de la bienveillance des armes de choc, de joie, des armes de construction massive. À une époque où la radicalisation est de mise – la ruse, la haine, l’ego, le politiquement correct et même les discours identitaires-, la bienveillance est la seule réponse à la crise morale que traversent nos sociétés. Une réponse qui, à défaut de changer le monde du jour au lendemain, lui redonne des couleurs et compense les déceptions qu’il nous inflige, tout en renforçant ce système immunitaire assez paradoxal qui s’appelle l’empathie. D’où l’urgence de radicaliser la bienveillance. De la pratiquer sans peur, sans honte, sans modération et sans nuances.
Nous n’avons pas le droit de brûler ce pays, notre bien à tous. Soyons des guerriers de la bienveillance!
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