Les résultats pour le mois d’octobre 2023 qui ont été publiés le 30 novembre 2023 confirment que la Russie poursuit sa trajectoire de forte croissance qu’elle a entamée au début de ce printemps. C’est une croissance forte, qui s’inscrit naturellement dans un contexte de récupération du choc des sanctions subi en 2022. Cette croissance signe que la Russie a surmonté la majorité des conséquences quantitatives des sanctions imposées par les États-Unis et l’Union européenne.
Les résultats des trois premiers trimestres de 2023 montrent un accroissement du PIB sur la période allant de janvier à septembre 2023, par rapport à la période équivalente de 2022 est de 2,9%. Ce qui est encore plus intéressant est que, par rapport à la même période de 2021, cette hausse est de 1,0%. Nous sommes bien aujourd’hui en présence d’une croissance absolue de l’économie russe, puisqu’elle se traduit par une amélioration des résultats du PIB, non seulement par rapport à 2022 mais aussi par rapport à 2021, soit sur une période d’avant les sanctions. Aujourd’hui, la hausse du PIB est de 5,0% pour octobre 2023.
Les revenus réels des ménages se sont eux aussi accrus dans les trois premiers trimestres de l’année. Pour la période de janvier à septembre 2023, la hausse est de 4,8% par rapport à la même période de 2022 et de 3,4% par rapport à la même période de 2021. Ceci est socialement important. Cela montre que les opérations militaires qui ont lieu depuis la fin de février 2022 n’ont pas eu de conséquences sur le niveau de vie des russes.
Quant à l’investissement, qui était spécifiquement visé par les sanctions prises par les pays occidentaux, il continue de progresser. En effet, sur la période de référence des trois premiers trimestres de 2023, on assiste à une hausse de 10% par rapport à 2022 et de 16% par rapport à 2021.
Si ces chiffres sont encore provisoires, et n’incluent pas les résultats du 4ème trimestre à venir, ils indiquent que la trajectoire actuelle de la Russie s’inscrit dans une perspective de forte croissance, ce qui est confirmé par l’analyse des résultats du mois d’octobre écoulé. La prévision de croissance pour l’année 2023 a donc été relevée par les collègues de l’Institut des Prévisions Économiques de l’Académie des Sciences de Russie (IPE-ASR) de 3,6% à 3,8%. En tout état de cause, et compte tenu des résultats du mois d’octobre 2023 on peut considérer que la croissance russe en 2023 ne devrait pas être inférieure à 3,5%. Autrement dit, la croissance s’avèrerait de 1,3% par rapport à 2021.
I. Stabilité de la croissance
La croissance s’est donc maintenue à un niveau élevé en octobre, en dépit d’une politique monétaire plus restrictive qui a été marquée par la hausse du taux directeur de la Banque Centrale de Russie à 15% le 27 octobre dernier, hausse venant après celles du 15 septembre 2023 qui avait porté le taux directeur à 13%, du 15 août qui avait porté le taux à 12% et du 25 juillet 2023 qui l’avait porté de 7,5% à 8,5%. Il est assez inédit dans l’histoire des observations économiques conjoncturelles de constater qu’une hausse aussi importante, +7,5% soit un doublement du niveau initial, en trois mois, n’ait eu aucun effet sur la croissance du PIB.
L’évolution du PIB montre que l’indicateur a retrouvé son rythme de croissance du second semestre 2021. La croissance russe avait marqué un fort pic lors du premier semestre, correspondant à une forte reprise de l’activité après la période des confinements de la crise COVID-19.
La croissance actuelle doit aussi se penser en fonction de « l’effet de base » de l’année précédente. D’avril 2022 à février 2022 la Russie a été en nette récession, en partie du fait des sanctions. Mais, ce que l’on observe aussi est que la croissance observée depuis mars 2023 fait plus que compenser la baisse de 2022. Ceci est bien le signe que la Russie est engagée dans une croissance réelle et non une simple récupération du choc de 2022.
Graphique 1
Il convient alors de noter que durant le mois d’octobre 2023, la production industrielle s’est accrue de 5,3% par rapport à octobre 2022 et de 3,6% par rapport à octobre 2021. La croissance des activités productives s’établit donc à 7,7%. Cette forte hausse de la production industrielle constitue d’ailleurs une des caractéristiques majeures de la nouvelle trajectoire de croissance de la Russie qui a démarré au mois de mars dernier.
La production agricole s’est, elle aussi, accrue de 5,5% (et de 18,1% par rapport à octobre 2021) et l’activité de la construction a augmenté de 3,2% (et de 12,2% par rapport à 2021). L’activité dans ces secteurs montre que l’économie russe est globalement engagée dans un phénomène de croissance et que ce dernier ne se limite pas au seul secteur de l’industrie.
Le transport de fret, indicateur robuste de l’activité économique, a progressé de 2,8% par rapport à 2022 et le volume du commerce de détail de 12,7% (et de 1,2% par rapport à 2021). Ce dernier chiffre indique une forte reprise de la consommation des ménages, ce qui contribue à tirer de l’avant l’activité. La croissance globale reste largement influencée par celle du secteur industriel, ce qui est une caractéristique de la période actuelle.
Graphique 2
II. Poursuite du rebond de l’industrie
Il convient alors de revenir sur les performances de l’industrie car ces dernières sont le cœur de la croissance actuelle.
L’industrie a en effet globalement redémarré durant le mois de mars 2023, ce qui indique que les sanctions n’ont eu d’effet que sur une période de 11 mois (avril-2022 / février 2023). Ce temps extrêmement court a été une surprise pour les économistes qui suivaient les évolutions de la Russie depuis de nombreuses années. En effet, les réactions de l’économie, et de l’industrie, russe à la suite de chocs majeurs, comme la crise financière d’août 1998 et la mise en place d’une première vague de sanctions par les pays occidentaux en 2014, laissaient présager un rebond significatif. Mais, à l’été 2022, le consensus parmi ces économistes, et notamment au sein du Séminaire Franco-Russe organisé deux fois par an par le CEMI-CR451 et par l’IPE-ASR était que le choc des sanctions pourrait s’étaler sur une période allant de 15 mois (pour les plus optimistes) à 24-30 mois (pour les plus pessimistes). Le fait qu’il se soit étalé sur seulement 11 mois a donc été un (heureuse) surprise. Personnellement, dans des textes écrits encore au tout début de l’année 2023, je n’attendais pas une telle reprise de l’activité avant juin-juillet 2023.
Les résultats de l’activité industrielle montrent que si l’industrie extractive reste encore à la traine, c’est l’industrie manufacturière qui est le principal moteur de la croissance avec des taux de croissance régulièrement supérieurs à 9% depuis le mois d’avril dernier. Ici encore, même en évacuant l’effet de base pour 2022, on est en présence de résultats tout à fait surprenants. La croissance de l’industrie manufacturière en juin dernier s’établit à plus de 8% par rapport à 2021 ! Un tel résultat indique bien qu’il s’est passé « quelque chose » de majeur au sein de l’industrie manufacturière.
Graphique 3
Ces résultats s’expliquent à court terme par la combinaison des trois facteurs que l’on retrouve derrière la croissance actuelle.
- L’impact de l’effort de guerre, qui doit probablement compter pour 40% de la croissance totale. Contrairement à ce que l’on affirme en France et en Europe, la Russie n’a pas mobilisé tout son appareil industriel pour faire face aux opérations militaires en Ukraine. Si les dépenses militaires dans le budget sont importantes, avec plus de 6% du PIB pour 2024, elles restent par exemple inférieures aux dépenses militaires des États-Unis lors de la Guerre du Vietnam où l’on atteignait des chiffres de 7,5% à 8,5%.
- L’impact de la reprise de la consommation des ménages, qui ne semble pas faiblir en dépit de la politique monétaire restrictive menée par la Banque centrale. La consommation des ménages doit expliquer entre 35% à 40% de la croissance de l’industrie.
- L’important effort de substitution aux importations et de relocalisation de toute une série d’activités, effort qui commence à porter ses fruits, et qui induit des effets très positifs dans l’ensemble du tissu industriel.
Ces facteurs de croissance ont été soutenus par une politique budgétaire expansionniste, par un contournement des canaux de transmission de la politique monétaire qui limite son impact sur l’activité, et par la remarquable réaction spontanée des chefs d’entreprises russes qui ont su profiter des opportunités créées par les sanctions et par le départ de certaines entreprises occidentales. Ce sont largement eux qui ont mis sur pied et le contournement concret des sanctions et les mécanismes de substitution aux importations. Ils y ont été naturellement aidés par l’État qui a su les accompagner. La rapidité des réactions de l’État, le fait que la loi sur les pouvoirs économiques de l’État ait été voté le 8 mars (et donc écrite vraisemblablement dans les derniers jours de février) accrédite l’idée que les sanctions avaient été, au moins partiellement, anticipées.
Graphique 4
Un autre facteur extrêmement important qui a permis ce rebond spectaculaire de l’industrie manufacturière est le fait que les importations aient retrouvé, voire dépassé, leur niveau d’avant les sanctions. Or, ceci se produit alors que se met en place une politique de substitution aux importations. Cela indique bien que, de ce point de vue, la situation semble revenue à la normale d’avant la guerre.
III. L’effet résiduel des sanctions s’éloigne
Cela ne signifie pas que les sanctions n’aient pas d’effet. Si, comme on l’a dit plus haut, l’effet quantitatif des sanctions semble avoir disparu, leur effet qualitatif, et notamment sur la productivité du travail, se manifeste encore.
La baisse de la productivité a été importante lors des 2ème et 3ème trimestre de 2022. Elle tend à se réduire mais n’a pas encore totalement disparu. Ainsi, la productivité apparente par tête n’est pas encore totalement revenue à son niveau de 2021.Lire la Suite ICI: les-crises.fr/comprendre-la-croissance
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