Ouvert le 18 Mai dernier au Centre de l’Excellence Africain en Mathématiques, Informatique et Tic (CEA-METIC) de l’université Gaston Berger de Saint-Louis, le colloque du centenaire Sembène Ousmane a réuni plusieurs dizaines de chercheurs, historiens, professeurs venus de la France, des Usa, du Canada et de la sous-région.
Initiée par le département des métiers des arts et de la culture qui consacre un parcours au septième art, le colloque Ousmane Sembène a été un grand moment d’échange. Cette rencontre scientifique à laquelle le centre Daaray Sembène-UPNSO (Université Populaire Numérique Sembène Ousmane)maison de la pédagogie par l’image a pris part, s’est tenue en présence des autorités universitaires et du ministre de la culture. Accompagné d’une forte délégation composée du directeur de la cinématographie, du directeur du Livre et de la lecture et d’experts de la culture, le ministre Aliou Sow a tenu une leçon inaugurale pour l’ouverture du colloque au cours de laquelle il plaida pour la création d’un festival.
« Aujourd’hui, il n’est pas du tout normal que le Sénégal, pays d’Ousmane Sembène, célébré partout en Afrique et partout dans le monde et un des initiateurs du Fespaco, n’ait pas son propre Festival de Cinéma » a t-il plaidé.
Après cette cérémonie officielle, les panels et discussions sur l’œuvre de Sembène se poursuivront au cœur de l’île de la vieille cité, au quartier Sud durant les 3 jours de l’événement. Loin d’être anodin, ce choix porté sur ce quartier s’explique par son histoire : ce coin de l’île qui abrite les musées de la photographie est un nid du savoir, de la créativité. Il a vu naître, grandir de grands hommes qui ont été d’un grand apport pour l’intelligentsia Africain. Des hommes dont Birago Diop ou encore Alioune Diop, fondateur des Présences Africaines, qui fera émerger une élite Africaine réunis autour de la littérature.
Des panels de hautes factures ont rythmé les journées du colloque. Animés par des universitaires venus des 4 coins du monde, ces moments d’échanges ont porté sur la philosophie de Sembène, sa vision du cinéma et ses luttes pour l’Afrique.
Pierre Sanou (Universités Paris 3 et Joseph Ki-Zerbo), Françoise Naudillon (Professeure à l’Université Concordia), Ibrahima Wane (Professeur à l’Université Cheikh Anta Diop) Fatma Zohra Zamoun (historienne de l’art, écrivaine et réalisatrice),Valerie Bertu (Professeure à New York University Paris), Aïda Gueye doctorante en littérature comparée à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, Maxime Scheinfeigel Professeure émérite à l’Université Montpellier 3, Abdoulaye Sall est enseignant-chercheur en littérature africaine à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Marie Julie (Artiste et auteure indépendante), Magueye Kassé Professeur titulaire ont, entre autres, participé au colloque. L’écrivain et professeur sénégalais vivant aux USA Samba Gadjigo, par ailleurs biographe et ami de Sembène était aussi de la partie. Une participation du professeur Samba Gadjigo fort remarquée.
Magueye Kassé spécialiste d’Ousmane Sembène a modéré le débat sur « hétérotopie des possibles ». Dans son propos, il est revenu sur les valeurs apparues avec les indépendances et la reproduction de certaines façons de faire héritées de la colonisation.
« Sembène nous laisse un héritage inépuisable, un trésor de réflexion profonde, pour comprendre notre monde et agir pour sa transformation. Sembène met en évidence des valeurs nouvelles apparues avec les indépendances. Des indépendances produites par le même système d’exploitation économique qui s’appuient parfois sur les religieux qui obscurcissent les consciences et impriment des marques négatives dans les rapports sociaux. Ceddo en est une parfaite illustration » a t-il expliqué.
Le paraître et l’irruption de l’argent également sera dénoncé dans les films de Sembène ainsi que l’incapacité des nouvelles élites africaines post indépendances à diriger leurs pays avec succès »
À sa suite, Daniela Ricci, professeur de cinéma à l’Université Nanterre a souligné dans sa communication consacrée « hétérotopie espace et ailleurs », que Sembène bien que cinéaste africain a pu toucher le cœur de l’italienne qu’elle est.
« On est tous conscient que Sembène faisait ses films pour son peuple mais il a su toucher mon cœur et a changé ma façon de voir les choses » a indiqué la panéliste. Dans sa communication, Daniela Ricci a évoqué le concept d’inversion et traversée des espaces dans la façon dont Sembène aimait tourner.
« La superposition des espaces, la superposition, l’inversion et la juxtaposition a une valeur sociopolitique dans le cinéma de Sembène Ousmane comme dans Borom Sarett à l’intérieur de la ville de Dakar. Et dans cette ville, se joue déjà un ici et un ailleurs séparé. Sembène a beaucoup utilisé ce dispositif de l’inversion. Cette inversion est dans les angles de prises de vues, dans les montages » a t-elle soutenu.
Des panels ont porté sur « La méthode Sembène », quand d’autres se sont intéressés à la fabrique du social esthétique et poétique. Chaque journée était clôturée par la projection d’un film du cinéaste . Pour la journée du samedi, dernier jour du colloque, la salle cinéma de l’institut français refusa du monde pour la projection du mythique film «Guelewar».
Une salle qui vibra à chaque parution à l’écran de Pierre Henry Thioune Guelewar, et qui, comme au théâtre, cria, avec le personnage éponyme, ses sanglantes répliques. Annonçant le générique de fin, la voix de Baaba Maal plongea la salle dans l’émoi, faisant frissonner toute l’assemblée.
Pour Makhète Diallo, ami et collaborateur de Sembène, le réalisateur de Guelewar était lui même un Guelewar. Selon lui Sembene avait un courage et une determination extrêmes.
« Guelewar est le reflet exact de la personnalité de mon ami Sembène. Il était un fervent Guelewar. Il a connu énormément d’obstacles mais s’est battu pour réaliser ‘Guelewar » dit-il les larmes aux yeux. Intenable, il fera pleuré toute la salle. 31 ans après, Guelewar inspire toujours.
Alain Sembène, fils du cinéaste, présent sur les lieux, dira sa fierté d’être le fils de ce grand homme de la culture .
« J’avoue avoir eu des frissons en revoyant Guelewar », témoigna -t-il. En marge des discours, s’en suivra une fructueuse échange avec les étudiants qui feront, un à un, la généalogie de leur passion pour l’auteur- réalisateur.
Immortel, Sembène Ousmane a marqué la culture africaine ainsi que les consciences. Autodidacte, Sembène, gravira les échelons et a apporté finalement une contribution incommensurable à la marche du cinéma africain. Il est évident que pour ce garçon qui quitta l’école de façon prématurée, qu’universitaires et éminents professeurs à travers le monde se penchent sur son parcours et son oeuvre soit une formidable source de d’inspiration pour la jeunesse.
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