Cameroun: La duperie de la doublepensée

À croire que le système totalitaire au Cameroun est entièrement inspiré du roman « 1984 », publié par George Orwell
en 1949.

Prenons par exemple la notion de doublepensée tel que circonscrit par Orwell dans son roman. Il définit le terme comme « la capacité de tenir deux idées contradictoires en même temps et de les croire toutes deux vraies ». Un des slogans au plus fort du régime totalitaire dans 1984 « La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force. » Un vrai délice de ressemblance avec les circonstances du Cameroun.

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Au Cameroun, alors que le Parti au pouvoir mène une guerre sociopolitique et économique contre le citoyen camerounais lamda depuis des décennies, les Camerounais ont toujours dit que le Cameroun est en paix. Et malgré la perte de centaines de milliers de civils tant dans la guerre au Cameroun anglophone depuis 2017, qu’à l’extrême Nord dans la guerre contre Boko Haram, certains le disent encore.

La doublepensée est plus précisément l’acceptation de deux opinions opposées en même temps, ne laissant aucune place pour une pensée critique cohérente.

Dans le roman d’Orwell, le Parti peut dire un mensonge délibéré tout en y croyant lui-même sincèrement.
On peut oublier tous les faits devenus gênants pour le Parti, puis les ressusciter plus tard si les circonstances changent.

La doublepensée, fondamentale pour le pouvoir du Parti, lui permet de maintenir son contrôle absolu sur la réalité et la pensée de ses membres. Il assure que la population accepte sans question les changements constants des faits et des idéologies, garantissant ainsi la permanence du pouvoir du Parti.

Emblème stratégique

Construite par le colon y a 125 ans en plein milieu de la ville de la ville Douala, la prison de New Bell et ses miradors surplombent aujourd’hui le quartier du Marché central, et ce n’est pas par hasard. L’imagerie chronique normalisées du niveau arbitraire de la répression, accompagnées de ce que la populace connaît de ce qui s’y passe à l’intérieur, font pourtant partie intégrante de la « paix » au Cameroun.

À la fin du roman d’Orwell, la répression ne force pas seulement le citoyen à obéir, mais elle détruit aussi son esprit, voire lui donne envie d’aimer le Parti. Au point de refuser l’idée d’une véritable alternance pour reprendre l’exemple frappant de similitude du Cameroun démocratique.

Suite de l’histoire

En s’imaginant une suite contemporaine du roman d’Orwell, les idées pourraient divaguer tout azimut. Au point de se demander ce qui se passerait si cette construction dont font partie la doublepensée et la répression concomitante dédiées au pourrissement des esprits, se fissurait.

Que ce passerait-il au Cameroun si les vieux murs verdis par la moisissure de la prison de New-Bell laissaient progressivement voir des failles béantes? Ou qu’un court-circuit inopportun faisait voler en éclat l’hélice tranchante de ce Ministre, ancien collabo de Fochivé, s’autoproclamant Moulinex pour écraser toute velléité de résistance lors des prochaines élections?

La peur du Parti de perdre son contrôle est palpable, contrairement à ce qui se passe à la fin du fameux roman. La stratégie dont l’objectif était de détruire tous les esprits par les mensonges de la doublepensée, n’a pas marché aussi bien que prévu. L’affaiblissement du régime pour différentes raisons contribue au sursaut dans les idées et les analyses au sein de la population.

Si Orwell avait vécu, le génie de son imagination visionnaire, forcerait tout autant notre admiration.
A défaut, la fantaisie naturelle du cerveau humain peut s’entrechoquer avec le foisonnement des incertitudes.

Quand les réalités de la double pensée auront touché la capacité d’analyse de monsieur-madame-tout-le-monde, la peur du changement et la psychose incarnée par l’amour du Parti, aideront à libérer le silence des entrailles. Le contrôle idéologique ne pourra plus s’abriter aussi efficacement derrière une pensée populaire limitée par des contradictions imposées et le système perdra ce qui lui reste de sa cohérence psychologique.

Le doute et la pensée critique, si d’aventure elles devenaient contagieuses, retrouveraient leur place dans un espace mental où la logique et la mémoire reprendraient naturellement leurs droits. Une pandémie virale avec la capacité de miner le fondement idéologique du système totalitaire.

Car sans nul doute au Cameroun, le maintien malgré tous les obstacles, d’une résistance intériorisée restée silencieuse chez de nombreux Camerounais a empêché une adhésion complète au Parti à travers leur conscience inébranlable de l’absurde.

Répression « désespérée »

Sans nul doute la répression au long cours, issue entre autre du leg colonial, mettrait d’autant plus son cœur à l’ouvrage en voyant s’effriter le pouvoir de domination et d’humiliation extrême de ce peuple qui lui échappe. Une situation qui ressemble étrangement à celle d’un pervers-narcissique.

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D’origine britannique, Rebecca Tickle est d’abord une passionnée de l’histoire et du destin de l’Afrique. Elle baigne dans l’esprit du continent dès sa petite enfance à travers son père journaliste, qui sillonne l'Afrique dans le contexte de la Guerre froide. A l'issue d'une carrière d'infirmière diplômée bien remplie et l’achèvement d’une licence en sciences sociale et politiques, Rebecca Tickle travaille dans le domaine de la résolution de conflit et de la gestion de projet de médiation humanitaire. Elle s’engage ensuite comme chargée de communication puis comme secrétaire générale dès 2009 à la Fondation Moumié basée à Genève, structure œuvrant pour la réhabilitation de la mémoire coloniale tardive et postcoloniale de la résistance nationaliste au Cameroun et au-delà. Elle s'intéresse particulièrement aux maux qui rongent l'Afrique centrale et alimente sa réflexion à travers les dénominateurs communs caractérisant le continent. Portant une attention particulière aux rapports de pouvoir et d'influence depuis les indépendances, à travers entre autre la société civile et les médias, Rebecca Tickle se plonge dès qu’elle en a l’occasion dans cet univers qui lui tient tant à coeur, à travers la littérature, le cinéma africain et la condition humaine sur le continent. Une curiosité insatiable et une veille assidue des actualités depuis près de trois décennies, complétées par un Master en études africaines terminé en 2024 à l’Université de Genève, lui permettent de faire des analyses fortes et de participer sous diverses formes aux débats autour des questions brûlantes qui animent l'Afrique. Rebecca Tickle collabore avec la rédaction de Kirinapost depuis son lancement en 2016.

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