Le peintre Bernard Guillot est un voyageur venu de la berge nord de la mer. Ses tableaux racontent une odyssée. L’odyssée des peuples habités par un ailleurs et qui portent en bandoulière leurs récits, leurs cultures. Dans un contexte marqué par les vagues d’émigration des peuples du sud vers la Méditerranée, suivre les histoires que raconte Bernard Guillot pinceau à la main, nous rappelle que le voyage est inhérent à la vie.

Bernard Guillot : « douter est essentiel »
Exilé, aventurier, citoyen du monde, Bernard Guillot traverse les continents depuis toujours. Ses géants tableaux aux couleurs vives et captivantes sont des fresques du monde tel qu’il va.
À Dakar où il vit et aime travailler, le public n’a pas l’occasion de voir ses oeuvres magnifiques. Il n’aime pas la façon dont ses expositions étaient organisées.
« Je n’ai pas aimé mes dernières expositions et je me suis dit que ça ne servait à rien, donc j’ai travaillé en envoyant des choses en Europe. Moi je suis resté au Sénégal, parce que je travaille bien ici comme peintre » raconte-t-il
Malgré tout, l’artiste se terre dans son atelier pour mettre les voiles et continuer à peindre une odyssée qui l’a mené dans le monde de la mode pendant 33 ans comme styliste de grandes marques, costumier de théâtre et critique musical.
« Je raconte mon quotidien, mon univers, j’ai quand même un certain axe, donc c’est plein de choses mélangées. Il y a des thèmes qui sont récurrents, qui reviennent, comme l’exil. Il y a forcément des choses que je regrette, il y a tous les doutes. Le doute est une chose complètement nécessaire. Il est indispensable et moi j’en ai beaucoup » prévient-il.

Le salon transformé en atelier
Bernard Guillot ne part jamais néant pour peindre. Il a besoin d’un sujet. Toutefois, le sujet ou le thème ne l’enferme pas dans un carcan. Il lui permet juste de prendre le grand large.
« Quelquefois, il y a aussi des sortes de bifurcations, à savoir qu’au départ, comme je ne suis pas abstrait, j’ai besoin d’un thème, d’un titre, même n’importe quoi, une parole, et je commence à peindre là-dessus, et c’est l’avantage du kraft, c’est que je peux l’augmenter, je peux l’augmenter à droite, à gauche, au-dessus, en dessous, je peux l’augmenter pratiquement à l’infini, tant qu’il y a des murs, je ne pourrais pas faire ça avec de la toile » explique-t-il.
Bernard Guillot, cet amoureux de l’opéra italien, aime laisser les vents de l’esprit le guider, non pas comme un bateau ivre mais comme un chemin lucide.
« Ça me vient naturellement, il n’y a pas d’esquisse préalable, il n’y a pas de plan de travail, je me laisse porter. Certains appellent ça »Le moi supérieur ». On l’appelle comme on veut, mais j’ai l’impression que ce n’est pas moi qui dirige. Ce n’est pas une facilité, en tout cas c’est difficile» confie celui qui expose rarement ses œuvres.
Cinq ans après sa dernière exposition, Bernard Guillot, séduit par une galerie nouvellement installée du nom de IKONIK Dakar accepte d’y poser ses toiles.

Bernard Guillot en mode atelier
« Alors je vais être complètement honnête, cette interruption de cinq ans m’a beaucoup servi. Je devrais même remercier les gens qui m’ont déplu, parce que je suis arrivé, j’ai fait une espèce de rejet, et je suis rentré chez moi, je me suis replié complètement dans l’atelier. J’ai détruit, tout ce que j’avais et livré evidement toutes les œuvres déjà vendues. On a transformé l’appartement en atelier et je me suis mis à peindre tous les jours » raconte l’artiste.
L’exposition “L’exil forcé ou nécessaire” est donc le fruit d’une longue période de production. L’ éxil, l’ailleurs, les interconnexions, tous ces peuples qui portent dans leurs traversées, leurs histoires et tous les échanges culturels qui peuvent en découler.
L’exposition est calée après une vive discussion. Le cadre, la coquette galerie Ikonik y est pour beaucoup !
«Ça s’est passé en quelques jours. Une amie m’a téléphoné pour me dire qu’elle venait d’ouvrir une petite galerie et elle m’a proposé d’y exposer. Ma première idée était de dire non. Je lui ai dis je ne veux plus exposer. Je suis allé visiter l’endroit, on a parlé et j’ai été convaincu, à la fois par le lieu et par le discours de la personne» se souvient-il.

Exposition à IKONIK Dakar
Le thème sur l’exil aussi l’emballe. Cela tombe bien. Pendant sa « petite retraite », son pinceau l’a fait bifurquer dans tous les sens, au gré de ses réflexions. « Explique-nous: Tu ne te réveilles pas en te disant, je vais peindre sur l’exil ? »
« Non, jamais ! D’abord Je n‘achète pas beaucoup de matériel, il y a 2 ou 3 couleurs au départ, en général du rouge, du blanc et du bleu, car je ne sais pas comment ça va évoluer. Ce n’est pas programmé, ce n’est pas un projet. Quelques fois je peux chercher un thème qui me permet de continuer, mais après ça peut changer, ça peut même être une phrase, dans un livre que je suis entrain de lire, un concept…voilà, il se présente tout seul. et m’indique la direction. Ces choses, quelque part, on me les fait faire» expliquait-il comme si cela decoulait de l’irréel, du mystique, de l’imaginaire.
Pour Samantha Ripa Di Meana, responsable de la galerie Ikonik, exposer Bernard, allait de soi. Ses œuvres entraient en parfaite harmonie avec l’esprit qui a animé l’ouverture de la galerie.
« Nous avons décidé d’exposer Bernard Guillot parce qu’on voulait raconter une histoire. Une histoire qui vient d’ailleurs, qui vient de la Méditerranée, qui vient de là où vont tous les Sénégalais. Une histoire très ancienne, qui a 2000-3000 ans, qui parle des grecs, de romains, des russes, de catalans, de phéniciens, de siciliens, de gens de tout autour de la Méditerranée » renseigne Samantha Ripa Di Meana

Bernard Guillot, peintre de l’éxil, du voyage, de la rencontre…
Très difficile à interpréter mais qui vous pénétre et vous saisit dès que le regard se pose sur elles, les œuvres de Bernard Guillot sont d’une beauté inouïe. Fruits de ses rencontres et de ses pérégrinations, ses toiles sont des voyages continus…
« L’Asie a été très importante, surtout l’Inde, également le Japon, alors que je n’y suis jamais allé. Je ne connais que par la littérature le Japon, mais les voyages ont été importants parce que ce sont des choses que j’ai emmagasinées, même si au départ je ne m’en rappelle pas, comme les éponges, j’emmène avec moi beaucoup d’éléments que je restitue. C’est très très fascinant» souligne l’artiste désormais installé au Sénégal, pays de Aïda Diagne son épouse. Cette architecte qui partage sa vie est et demeure sa grande passion encore aujourd’hui…31 ans plus tard…
Comme dans la chanson et la littérature, dans la peinture aussi et dans tous les arts, la question du » nous peignons pour qui« ? est récurrente.
« Je n’aime pas parler de ce que je peins, c’est-à-dire, les gens le voient, je le montre, et ça leur appartient, c’est le regard de l’autre qui prime, ce n’est plus le mien. Il y a des rares fois où il y a quelqu’un qui tombe juste, ou des fois une personne qui dit quelque chose de troublant. C’est assez exaltant. Par exemple, à cette fameuse exposition d’il y a cinq ans, arrive un jeune Sénégalais, je ne sais même pas son nom, il doit avoir 35 ans, je ne l’ai jamais vu, et il était tout seul, il regardait, on se met à parler, et il m’a dit quelque chose qui m’a beaucoup touché: « ça me rappelle Les Filles du Feu de Gérard de Nerval » me di-il. Ce n’était pas ça, je l’avais oublié, mais Les Filles du Feu, c’était mon livre de chevet, et quand ce visiteur est arrivé à ce recueil de nouvelles et de poèmes écrits par Gérard de Nerval, un texte en prose devenu classique de la littérature française, j’ai trouvé ça magnifique ! C’est un livre qui m’a accompagné toute mon adolescence. C’était fantastique ! Je l’ai même relu après qu’il m’ait dit ça, il y a ces moments magiques comme celui-ci» avoue-t-il.
Peindre est un besoin chez Bernard Guillot. Il peint tous les jours. Tôt le matin, dans son quartier du Plateau, dans son grand salon, enfin, dans le grand salon de Aïda, transformé en atelier, il peint, écoute son imaginaire et suit son imagination.C’est pourquoi, il est lui est difficile de raconter ses œuvres. « Ça passe par tellement de chemins que je n’arrive pas à tout raconter ».

Un regard sur le monde et ses tremblements
Le travail de Bernard Guillot est passionnant. Ses histoires sont passionnantes. Elles nous apprennent beaucoup, nous reconnectent avec nos mémoires avec intelligence. Comme s’il avait entendu l’historien Abdarahmane Ngaïdé nous prévenir qu’il ne faut pas que «trop d’histoires tuent la mémoire», ses tableaux plongent le visiteur avec pudeur et délicatesse dans un univers oublié…ignoré. Le tout dans un contexte où l’immédiaté s’impose partout et où le temps long n’est ni observé ni interrogé.








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