À partir de 2025, les réseaux 2G et 3G vont peu à peu s’éteindre. De quoi provoquer un énorme gaspillage, de nombreux équipements étant concernés : téléphones, voitures et même les ascenseurs.Source: Reporterre
« Le smartphone, ça me rend accro et c’est intrusif ! » Depuis belle lurette, Louise [*] lui préfère un bon vieux Nokia 108 pour simplement téléphoner et envoyer des SMS. Et, la plupart du temps, ça lui suffit. « Tout le monde dans mon entourage me connaît pour avoir un “petit bigo” », raconte-t-elle. Mais fin 2022, l’étudiante ne capte plus le réseau 2G de son opérateur, Free mobile.
Pas plus de succès avec un autre Nokia 108, trouvé sur Leboncoin et qui marche pourtant parfaitement avec Orange. Sa carte SIM est-elle en cause ? Non, lui assurent les conseillers du service client de Free. Un premier évoque « l’arrêt du réseau pour les vieux modèles de téléphone ». Une seconde lui explique que « la 2G n’est plus présente sur certains territoires ». Adieu le bigophone.
Free mobile aurait-il débranché son réseau 2G ? L’opérateur est catégorique : « Nous n’avons coupé ni la 3G, ni la 2G en itinérance. » Free ne possédant pas son propre réseau 2G, ses clients basculent depuis toujours sur celui d’Orange via un accord d’itinérance qui porte aussi sur la 3G. Ce contrat a d’ailleurs été prolongé récemment jusque fin 2025. Pourtant, la bascule vers le réseau d’Orange n’est plus systématique ces derniers mois.
Louise n’est pas un cas isolé. À Brest, par exemple, d’autres « freenautes » ont remarqué une perte du réseau 2G depuis l’été 2022. Certains ont retrouvé leur connexion depuis, d’autres non… Sur le site de Darty, des consommateurs racontent la même mésaventure. Parmi eux, Laurent écrit le 11 janvier à propos d’un téléphone Gigaset GL390 uniquement compatible 2G : « J’ai acheté ce téléphone mobile pour ma mère de 83 ans, car simple d’utilisation. Cependant, il n’est pas compatible avec son opérateur Free. »
L’intérêt écologique loin d’être tranché
Cette perte de réseau qui affecte certains clients de Free mobile n’est qu’un avant-goût de ce qui attend tous les possesseurs de téléphones portables à clapet ou à touches. Les opérateurs télécoms ont en effet décidé d’arrêter la 2G d’ici la fin 2025 chez Orange — l’ensemble des clients Free seront concernés, puisqu’ils utilisent le même réseau — et à la fin de 2026 chez Bouygues Telecom et SFR. La 3G, elle, ne sera plus disponible fin 2028, excepté pour les abonnés Bouygues qui bénéficieront d’une année de rab.
Cette disparition s’inscrit dans l’ordre des choses pour les opérateurs. Elle va leur permettre de réutiliser ces gammes de fréquences de longue portée. « L’arrêt de la 2G et 3G permettra à Orange d’optimiser la gestion de ses réseaux et de les faire évoluer vers des technologies plus sécurisées, résilientes, économes en énergie et modernes, telles que la 4G et la 5G », explique l’opérateur historique. Cette bascule technologique serait donc moins énergivore. Le ministère de la Transition numérique l’affirme aussi auprès de Reporterre : « La fin de la 2G a un intérêt très net en matière d’empreinte environnementale. »
Certes, la 3G est dépassée et bien moins performante que la 5G. Elle consomme beaucoup d’électricité pour un débit de données faible. « Mais la 2G, elle, est un protocole particulièrement sobre et adapté au transport de la voix », estime Frédéric Bordage, le fondateur de GreenIt, un collectif d’experts travaillant sur la sobriété numérique et le numérique responsable.
L’Arcep, qui mène actuellement une étude sur le sujet au sein de son comité d’experts mobiles, se veut aussi beaucoup plus prudente que le ministère. « Il apparaît que les gains énergétiques ne seraient pas si évidents, expliquait Anaël Bourrous, chargé de mission au sein de la direction mobile et innovation de l’Autorité de régulation à 01Net en février 2022. Du côté du matériel, certains équipements réseaux devront être remplacés, tout comme les terminaux obsolètes des utilisateurs. »
Attention aussi aux « effets rebond », prévient EcoInfo, le groupement de service du CNRS pour une informatique écoresponsable. Les technologies 4G ou 5G — auxquelles on veut allouer les bandes de fréquences de la 2G et de la 3G — « risqueront à terme d’être plus énergivores à cause du trafic qu’elles induiront et des nouveaux équipements à installer », explique le groupement dans sa contribution à la consultation publique de l’Arcep l’an dernier. Autrement dit, plus on augmente les capacités du réseau, plus on augmente l’activité numérique (datacentres, appareils connectés…) et l’empreinte carbone.
Un regain d’intérêt pour les « téléphones idiots »
Combien de téléphones 2G et 3G sont encore utilisés au juste ? Les opérateurs arguent que le pourcentage se réduit chaque année un peu plus. Chez Orange, moins de 8 % de clients seraient concernés. Sur ses quelque 20 millions d’abonnés mobiles, cela représente tout de même plus de 1 million d’appareils. Chez Bouygues, les clients en 2G seraient « moins de 3 % ». SFR n’a pas souhaité répondre pour « ne pas tomber dans l’approximation alors que l’on parle d’une extinction 2G dans près de quatre ans ». Interrogée, l’Agence de la transition écologique (Ademe) dit qu’elle n’a pas d’informations sur la question et renvoie vers l’Arcep. Laquelle explique ne pas collecter les données concernant les cartes actives seulement en 2G, et conseille de contacter… les opérateurs.
On peut toutefois affirmer qu’au minimum plusieurs centaines de milliers de téléphones vont être affectés à partir de 2025 et des années suivantes. Surtout avec le récent regain d’intérêt pour ces « téléphones idiots » (ou dumbphones en anglais), notamment chez les jeunes comme Louise. Une popularité grandissante confirmée par Nokia, l’un des fabricants historiques des téléphones basiques : « En ne proposant que les fonctionnalités essentielles d’appel et d’envoi de messages, ils diminuent la surcharge numérique et réduisent le temps passé sur les écrans. »
« Avec mon Blackberry, je sais que je n’aurai pas à recharger la batterie »
Le constructeur rappelle aussi que leur autonomie peut s’étendre jusqu’à plusieurs jours. Un gros plus pour Frédéric Bordage, de GreenIt. Il continue lui-même d’utiliser un vieux Blackberry, qui lui permet de partir serein plusieurs jours en montagne. « Je sais que je n’aurai pas à recharger la batterie. L’autonomie des smartphones est bien moins importante car, par définition, la 4G ou la 5G pompent beaucoup plus d’électricité. »
Il peut aussi compter sur une bonne couverture sur tout le territoire grâce à la portée plus importante des équipements 2G. Au contraire, avec leurs fréquences actuelles, la 4G et la 5G émettent moins loin et nécessitent la mise en place de plus d’antennes-relais. En supprimant la 2G, il craint qu’on ne se retrouve avec de nouvelles zones blanches pendant une période de transition. Selon lui, on peut se passer de la 3G pour les appels et SMS, mais « couper la 2G est incompréhensible ».
Dès 2020, la question était déjà mise sur la table ronde organisée par le Sénat sur les effets sanitaires et environnementaux de la 5G. Sébastien Soriano, à l’époque président de l’Arcep, s’interrogeait : « Devons-nous supprimer la 2G ou la 3G ? Je m’oriente plutôt vers la 3G, dans la mesure où beaucoup de nos concitoyens utilisent encore la 2G pour se connecter au réseau, ainsi que l’Internet des objets qui fonctionne sur la 2G (dans une machine à café Selecta, on trouve une carte SIM 2G). » C’est le second volet du gaspillage à venir : la mise à mort de tonnes de petits objets communicants. La Suite ICI: https://reporterre.net/Arret-de-la-2G-et-3G
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