Papa Alioune Dieng • En 1972,Mamadou Dia vient de passer 10 ans à la prison de Kédougou. Léopold Senghor propose de le libérer s’il promet de renoncer à la politique. Voici des extraits de la réponse de Mamadou Dia, connue sous le nom de ”Message du prisonnier au Président Léopold Sédar Senghor”.
“Je suis convaincu du fait que tout tourne autour de la renonciation à la politique qui m’est demandée…Je crois qu’il faut distinguer la politique en tant qu’intégration dans la cité, dans la communauté humaine, et la politique en tant que déploiement d’une technologie de conquête du pouvoir. Je me place sous l’angle le plus profondément significatif à mes yeux, et je rencontre là des raisons politiques et morales….On peut renoncer à des droits, mais comment renoncer à des devoirs?…
La constitution sénégalaise me semble exclure la possibilité pour un citoyen de faire acte de renonciation volontaire à sa qualité de citoyen participant aux préoccupations de la politique de la cité. Ceci n’existe nulle part là où il y a démocratie véritable….Parler du développement implique, de quelque bout qu’on prenne les problèmes, cette dimension politique. Qu’on le veuille ou non, c’est le mouvement naturel de tout être humain au milieu de ses semblables, respirant l’air du temps….Je peux ajouter que l’engagement de s’exclure du politique serait la traduction d’un comportement a-national ou antinational. Ce serait dire que le destin de mon pays n’entre pas dans mes préoccupations, ne me regarde pas. Ce serait dire que je me mets au ban de la société sénégalaise, que je ne me considère plus comme un fils du Sénégal….
Cette exclusion volontaire et délibérée aurait d’autant moins de sens que tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes dans l’Afrique d’aujourd’hui, et notre pays, comme tous les autres, doit affronter des problèmes nouveaux et aigus, qui exigent la mobilisation des énergies de tous. Ceci me conduit à dire qu’un engagement de s’exclure soi-même tournerait le dos à toute perspective de concertation et de coopération nationale…
J’aurais pu m’en tenir à ces déclarations et refuser de faire connaitre ce que je souhaiterais faire demain…D’abord il faut qu’il soit clair que je n’entends de nulle façon me mettre à entreprendre la conquête du pouvoir. Le pouvoir n’a jamais été pour moi une obsession…Il faut tout de même prendre en compte le fait que j’ai 61 ans…J’ai toujours réfléchi, dans ma vie, sur le développement qui prime tous autres objectifs. Dans cette perspective, ce que j’appelle une période de développement s’étend sur l’espace de 15 à 20 ans.
Assumer le pouvoir veut dire que l’on considère cet espace pour l’action comme le champ probable qui s’ouvre à celui qui s’engage dans les responsabilités…Mais je tiens à préciser que cette appréciation réaliste n’a pas à prendre la forme d’un engagement invalidant l’idée d’une hypothèse alternative. Ce n’est pas un choix, c’est une constatation faite en fonction d’un intérêt supérieur qui est celui de la nation. Si la démocratie sénégalaise exprime librement une hypothèse différente de mon analyse, je ne pourrais pas dire non sans examen sérieux des raisons invoquées. Mais le dernier mot doit toujours appartenir à la démocratie…c’est un principe intangible auquel on ne peut apposer des arrangements particuliers…
Un second problème important est celui de la relève du pouvoir par les jeunes générations, et je ne veux pas l’éluder…Je tiens à préciser qu’à mes yeux la relève est chose trop importante pour ne point poser ses exigences. Elle ne peut consister à gouverner par personnes interposées ou à dresser les générations les unes contre les autres…Je pense, pour ma part, que les jeunes doivent réaliser, et que les anciens doivent, sinon réaliser, du moins leur prêter appui dans tous les domaines du possible. La relève ne se fera pas sans le concours des anciens…
La voie de recherche action me semble claire…Il s’agit de montrer la relation nécessaire entre la participation effective au pouvoir des communautés de base, l’expression de ce pouvoir dans la communauté nationale, établissant ainsi solidement la problématique de la construction des communautés internationales. Sans cette solidarisation des problèmes aux trois niveaux, il me semble qu’il est impossible d’avancer…”
(Dakar, le 30 Mai 1972, source: »Sénégal notre pirogue » de Roland Collin-Présence Africaine)
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